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Crise de confiance en Corée du Sud : Séoul ne croit pas au parapluie américain et veut ses propres armes nucléaires
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THE DAILY BEAST

L'arsenal nucléaire de la Corée du Nord fait peur à Séoul, qui n’aspire qu’à se sentir en sécurité. Selon Trump, les Sud-Coréens devraient avoir leur propre arsenal nucléaire.

Gordon G. Chang

Gordon G. Chang

Gordon G. Chang est journaliste pour The Daily Beast.

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Gordon G. Chang - The Daily Beast

Cela tombe-t-il vraiment sous le sens ? Won Yoo-chul, membre du parti Saenuri au pouvoir, a affirmé à l’agence de presse Yonhap, qui jouit d’un statut semi-officiel en Corée du Sud, que "si la Corée du Nord décide de faire un cinquième essai nucléaire, la Corée du Sud ferait mieux de se doter de capacités nucléaires sur le champ. Les politiques existantes ne suffiront pas à stopper le développement technologique de la Corée du Nord". Ce qui est plutôt préoccupant.

Il est commun de penser cela par les temps qui courent. "Imaginez que votre voisin est dangereux, armé. Il vous faudra prendre des mesures pour vous protéger, et militer pour le contrôle du port d’arme ne vous aidera pas", expliquait Chung Mong-joon en 2013, du temps où il était législateur du parti au pouvoir.

Les Sud-Coréens vivent dans un pays qui semble pacifique au premier abord, pourtant, une majorité d’entre eux souhaitent que leur pays se dote de l’arme la plus destructrice au monde. Cela fait plus de dix ans que leur dangereux voisin - celui qui jouxte la zone démilitarisée - la possède, et un sondage Gallup réalisé en janvier dernier en Corée du Sud a révélé que 54 % des sondés estiment qu’ils devraient avoir leur propre bombe atomique.

Le candidat à l’élection présidentielle américaine Donald Trump a appelé à plusieurs reprises la Corée du Sud à se doter d’un arsenal nucléaire au cours de sa campagne, et beaucoup de Sud-Coréens demandent à Séoul de relancer son programme d’armement nucléaire. Qui pourrait les en blâmer ?

Leur réaction n’est pas à imputer exclusivement au candidat républicain américain, ils ne l’ont pas attendu pour ressentir le besoin de se doter de ces armes. Les voix appelant à un arsenal nucléaire personnel sont de plus en plus nombreuses, ce qui d’une manière plus générale sonne comme un reproche à l’encontre des politiques nord-américaines qui ont échoué à maîtriser Pyongyang. Les répercussions sont loin de ne concerner que l’Asie du Nord.

Ce n’est pas la première fois que les Sud-Coréens songent à posséder la bombe atomique. Un programme d’armement nucléaire avait discrètement commencé au début des années 1970 à Séoul, sous le règne du père de l’actuel présidente, l’homme fort Park Chung-hee. Tout porte à croire que le gouvernement y a mis fin suite à l’assassinat de Park en 1979, en grande partie sous la pression de Washington. Puis en 2004, la Corée du Sud a reconnu qu’elle avait entre autres enrichi de l’uranium de 1979 à 1981 dans le plus grand secret, et procédé à une extraction de plutonium en 1982. Ces deux expériences de production de matière fissile n’ont été menées qu’à des fins militaires, elles constituent donc une violation manifeste du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, que la Corée du Sud a ratifié en 1975.

Le pouvoir en place à Séoul à l’époque n’a pas vraiment choisi de l’admettre de son plein gré, ils ne l’ont fait que lorsque l’agence internationale de l’énergie atomique, le gendarme du nucléaire de l’Onu, a commencé à poser les bonnes questions. La Corée du Nord a commencé à essayer de construire une arme nucléaire au milieu des années 1960, si ce n’est avant, et c’est l’une des raisons pour lesquelles la Corée du Sud veut sa propre bombe. Katharine Moon, spécialiste reconnue de la Corée et enseignante au Wellesley College et à Brookings, a souligné dans la section commentaires du Daily Beast que les Sud-Coréens sont constamment en compétition avec leurs cousins du Nord : "Quoi que les Nord-Coréens fassent, nous nous devons de mieux le faire", a-t-elle expliqué pour illustrer l’interminable rivalité qui divise la péninsule. Mais ce n’est pas le seul facteur en jeu selon Mme Moon : les Sud-Coréens vivent dans une "société extrêmement militarisée", ils sont "fascinés par la technologie et par le pouvoir". Ils aimeraient jouir du statut d’Etat doté de l’arme nucléaire, et ils ont peur de ne pas être soutenus par les États-Unis.

En réalité, le gouvernement de Séoul a lancé son programme d’armement nucléaire secret au moment de la fin de la guerre du Vietnam, par peur de voir les États-Unis de Nixon disparaître de la région. Plus la Corée du Nord - sans doute l’Etat le plus exsangue qui soit - persiste à mener des programmes de bombes et de missiles, plus le besoin de posséder un moyen de dissuasion se fait ressentir en Corée du Sud. Pendant ce temps-là, les États-Unis - probablement la nation la plus puissante de l’histoire - semblent incapables d’arrêter la Corée du Nord. Par conséquent, l’attitude la plus couramment adoptée, c’est le vote de défiance implicite à l’égard des dirigeants de la seule superpuissance au monde, le pays qui les protège.

Selon Jean Lee, un journaliste de Séoul et membre influent du Wilson Center, les Sud-Coréens qui souhaitent que le pays se dote de l’arme nucléaire - et ils sont nombreux d’après les sondages - ont "pour la plupart laissé leurs émotions" dicter leur réponse, et c’est bien la raison pour laquelle les propositions de programme nucléaire émanant de la Corée du Sud manquent souvent de logique. Prenons l’exemple de Daesung Song de l’Université de Konku à Séoul, qui à l’occasion d’une conférence à l’Université de Georgetown en juin, a imaginé une évolution de son pays en quatre étapes. Pour commencer, il voudrait redéployer les armes nucléaires tactiques nord-américaines en Corée ; puis emprunter une bombe ; avant d’acheter une bombe nucléaire à un pays étranger, les États-Unis par exemple ; et "se lancer dans la production maison d’armes nucléaires pour assurer leur survie".

En ce qui concerne la première étape, les États-Unis avaient encore des armes nucléaires tactiques - bombes conventionnelles, obus et mines - en Corée du Sud jusqu’en 1991, mais ils les ont récupérées pour les déployer sur des plate-formes de surface, maritimes et sous-marines. "D’un point de vue militaire, sortir les armes nucléaires tactiques bien planquées dans leurs plate-formes de surface, maritimes et sous-marines, pour les redéployer dans un bunker en Corée du Sud n’a aucun sens", a expliqué Bruce Klinger, de la Heritage Foundation au Korea Times en début de mois. Pour l’analyste de Washington, les rapatrier sur la péninsule coréenne ne ferait qu’augmenter le temps nécessaire à leur déploiement, et offrirait "une cible de choix à la Corée du Nord qui pourrait alors profiter d’un épisode de tension accrue pour mener une attaque préventive". Les autres idées de Song ne tiennent pas plus la route : l’idée de louer ou d’acheter des bombes est juste totalement idiote, quant à l’étape quatre, qui consiste à en construire une, cela ne jouerait pas en leur faveur sur le long terme.

Il est vrai que la Corée du Sud dispose des moyens techniques nécessaires à la construction rapide d’une arme nucléaire ; des militaires sud-coréens avaient déclaré en 2013 que cela ne leur prendrait que six mois, ce qui est sans doute vrai, car leur pays dispose d’une grande quantité de matériau fissile et de personnes possédant l’expertise technique requise. Cependant, s’ils se mettent à créer leur propre arsenal, cela voudra dire qu’ils se retirent du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et qu’ils vont devoir accepter la vindicte mondiale et les sanctions qui vont avec.

La Corée du Nord était et reste un Etat isolé qui se fiche pas mal d’être mis à l’écart, mais la Corée du Sud fait partie intégrante de la communauté internationale, et ils ont besoin d’alliés. Le cas échéant, elle perdra sa place de choix dans les instances internationales, et surtout, il se pourrait que les sanctions qui vont inévitablement s’ensuivre mettent à mal leur économie qui repose sur l’export, à l’heure actuelle classée 11ème au monde.

En outre, dans ces conditions, les États-Unis quitteront sans doute la Corée du Sud, ce qui rendra le pays plus vulnérable qu’il ne l’est déjà. Les isolationnistes Nord-Américains se demandent bien pourquoi il faudrait envoyer 28 500 soldats américains en Corée du Sud si Séoul dispose de ses propres moyens de dissuasion. Et cela ne relève pas du domaine de la théorie, puisque M. Trump a remis en question la promesse de défendre la Corée du Sud, tout en sous-entendant que rien n’oblige les États-Unis à rester l’allié d’une Corée du Sud dotée de l’arme nucléaire. En Corée du Sud, certaines personnes ont fait remarquer que les États-Unis sont très amis avec Israël, une nation dotée de l’arme nucléaire. Mais la situation n’est pas la même, car Israël n’a jamais ratifié le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, les États-Unis n’ont pas de troupes déployées là-bas, et Israël n’a pas vraiment besoin d’aide extérieure.

À l’opposé, la Corée du Sud dépend de l’aide "invisible" des États-Unis et de la coopération du Japon, l’allié des États-Unis. De plus, Séoul peut compter sur les armes nucléaires nord-américaines. "La Corée du Sud est déjà soutenue par la plus importante des puissances nucléaires de la planète. Les États-Unis sont leur allié", remarque Robert Collins, un Américain qui vit en Corée du Sud et travaille en étroite collaboration avec les forces nord-américaines déployées sur la péninsule coréenne, dans un email envoyé au Daily Beast. La pression exercée sur Séoul pour construire une bombe finira-t-elle par se relâcher ? Dans un email envoyé au Daily Beast, Jean Lee, du Wilson Center, remarque que les nouvelles générations ne soutiennent pas la course à l’armement nucléaire. "Ils se sentent clairement moins concernés par cette question que leurs parents ou leurs grand-parents", note-t-elle à propos des 19-29 ans. Mais le nombre de Sud-Coréens souhaitant que le pays possède son propre moyen de dissuasion risque tout de même de croître dans un futur proche. Sung-Yoon Lee, qui enseigne à la Fletcher School au sein de l’Université Tufts, a expliqué au Daily Beast que le "tabou nucléaire" n’a plus autant de poids en Corée du Sud. Et ce n’est pas tout : "les passions populaires évoluent, certes, mais la force de dissuasion nucléaire nord-coréenne fait planer une menace grandissante depuis un quart de siècle, ce qui ne peut qu’inciter la Corée du Sud à réévaluer sa posture nucléaire, et il est possible que cela se produise au cours des dix prochaines années".

Washington ne peut donc pas persister à mener son inefficace politique nord-coréenne pendant des décennies, tout en espérant rester un allié de poids pour Séoul. Et les Sud-Coréens ne sont pas les seuls à suivre l’évolution des choses de près. Malheureusement, la crise de confiance qui mine Washington s’étend comme une tâche d’huile dans l’Est de l’Asie. Les États-Unis sont en train de perdre leur position dominante au moment où la situation est critique, ce qui laisse leurs alliés en plein désarroi, enhardit l’agresseur, et jette les bases d’une prolifération rapide. Collins pense que si la Corée du Sud se dote de l’arme nucléaire, d’autres nations feront de même. Il faudra donc s’attendre à ce que d’autres états "se désengagent" du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires dans un futur proche, et à ce que leur arsenal nucléaire soit déployé dans toute la région. Et probablement au-delà.

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