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Ecole gratuite pour tous, système de santé, protection sociale… Le modèle social français est-il devenu un problème ?
Ecole gratuite pour tous, système de santé, protection sociale… Le modèle social français est-il devenu un problème ?
©Reuters

Le déni français ?

Après la révision à la baisse de la croissance économique par l'OCDE, François Fillon a déclaré au Figaro que "si on ne réagit pas maintenant, nous pourrons dire adieu au mode de vie auquel nous sommes tellement attachés". Notre modèle social est-il en sursis ?

Sophie Pedder

Sophie Pedder

Sophie Pedder est Chef du bureau de The Economist à Paris depuis 2003.

 

Elle est l'auteur de Le déni français aux éditions JC Lattès.
 

 

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Atlantico : François Fillon a déclaré dans une interview au Figaro que "si on ne réagit pas maintenant, nous pourrons dire adieu au mode de vie auquel nous sommes tellement attachés : école gratuite pour tous, système de santé, protection sociale…". Le modèle social français est-il devenu un problème ?

Sophie Pedder : La France n'est pas obligée d'en finir avec son modèle social, mais si elle souhaite le conserver, elle doit le réformer. C'est ce que d'autres pays comme l'Allemagne ou la Suède ont compris dans le passé, ou ce que font actuellement l'Espagne et l'Italie.

La France doit se mobiliser aujourd'hui avant qu'une crise bien plus grave ne mette le pays sous contrainte et impose des mesures bien plus difficiles à accepter pour les Français. Le modèle social, sous sa forme actuelle, habitue les citoyens à un train de vie qui n'est plus abordable car il est financé à crédit depuis 1974, date du dernier budget voté à l'équilibre. Depuis, la dette à littéralement explosée.

Est-il normal qu'un cadre qui perd son emploi touche 6000 euros d'allocations chômage du fait d'un précédent salaire très élevé alors que, selon François Hollande lui même, un individu est considéré comme « riche » à partir de 4 000 euros par mois ? Le Danemark, souvent admiré en France pour son modèle de « flexisécurité », a plafonné les allocations aux alentours des 2 000 euros. Autre exemple, la Bundesbank – la banque centrale allemande, probablement la plus influente d'Europe après la BCE – a 9 500 employés, là où la Banque de France en compte plus de 13 000.

Le gouvernement de Jean Chrétien (le Premier ministre du Canada de 1993 à 2003, ndlr), a diminué de 15% le nombre de fonctionnaires durant l'exercice de ses fonctions. Exiger des efforts ne consiste pas à détruire un modèle social. Au contraire, l'objectif est de le conserver. Mais il faut s'accorder à de véritables sacrifices.

Quelles sont les principales limites du modèle social français ?

Le modèle social français, sous sa forme actuelle, cumule deux principaux défauts. En premier lieu, les dépenses publiques sont bien trop élevées. Elles représentent 56% du PIB, un niveau parmi les plus élevés d'Europe et supérieur à celui de la Suède. Principale conséquence : les taux d'impositions en France sont plus élevés que presque partout ailleurs sur le continent. Malgré tout, la France ne parvient plus à financer ses dépenses sur la base de ses seules recettes fiscales : le système social vit donc... à crédit.

Deuxième problème : il crée un manque de compétitivité. Preuve en est, la France est sortie du Top 20 des économies les plus compétitives du monde en 2012 selon le Forum économique mondial de Davos. La Suède se retrouve en quatrième place, les Pays-Bas en cinquième position et l'Allemagne est sixième. La France est 21e, une situation dramatique. Il y a un très grand déficit de compétitivité, les deux problèmes du modèle social français étant liés.

Le modèle social français n'a t-il pas constitué un atout en période de crise comme le suggérait la couverture de The Economist en mars 2009, en le plaçant devant les modèles allemand et britannique ?

Le modèle social français a protégé le pays d'une récession économique encore plus grave. Mais la crise s'est aggravée au niveau européen et a mis en exergue les faiblesses des économies qui n'ont pas adopté les réformes nécessaires pour relancer la croissance et créer de la richesse. Les atouts du modèle français pendant la crise sont devenus des inconvénients en période de reprise.

Depuis, la croissance allemande a largement dépassé celle de la France qui se trouve en quasi-récession. Cette dernière n'a plus le choix : elle doit rétablir son modèle social en l'axant sur une base financière soutenable en coupant dans les dépenses et relançant la compétitivité.

François Hollande et la classe politique française ont-ils pris en compte la nécessité de réformer le modèle social français ou sont-ils encore dans le « déni » comme le titrait The Economist lors de la campagne présidentielle ?

Nous assistons actuellement à un "retour sur terre" assez douloureux. Il y a une prise de conscience très tardive au sujet de la gravité de la crise, une situation qui tranche avec les débats qui ont animé la campagne électorale de 2012. Les Français n'ont pas été préparés aux mesures difficiles qui vont être prises et que le gouvernement actuel devra inéluctablement voter. Le pouvoir en place ne pourra pas boucler son budget sans réduire les dépenses. Soyons clair : les hausses d'impôts ne suffiront pas.

En janvier 2012, Nicolas Sarkozy a commencé à aborder le besoin qu'il y avait à s'inspirer du modèle allemand. Mais la réflexion fut de très courte durée et a été abandonnée aussitôt la campagne commencée. Droite comme gauche, le sujet n'a jamais été traité.

Quelles principales réformes doivent être adoptées pour préserver le modèle français ?

Il ne faut pas procéder à des coupes budgétaires de manière aveugle. Il faut s'attaquer avant tout aux dépenses sociales qui n'incitent pas les Français à travailler. Ainsi, il faut conserver, comme ce fut le cas en Suède, les allocations familiales qui permettent aux femmes de reprendre le travail après une naissance. Mais sur la question des régimes de retraite par exemple, la France n'aura d'autres choix que de diminuer les montants attribués - comme ce fut le cas aux Pays-Bas - ou d'augmenter l'âge de départ.

Outre les dépenses sociales, il faut que le pays se saisisse des dépenses administratives. Agglomérations, régions, départements, villes, communes... la France est devenue un véritable mille-feuille. Le gouvernement précédant avait commencé à maîtriser les effectifs de la fonction publique de l'Etat, mais les effectifs ont continué d'augmenter dans les collectivités territoriales. Ainsi, elle dispose de 90 agents publics pour 1000 habitants contre 50 outre-Rhin. L'Allemagne est-elle sous-administrée pour autant ? La France ne peut plus se le permettre.

N'y a t-il pas une fierté culturelle des Français vis-à-vis de leur modèle social ? Est-elle un atout ou retarde t-elle les réformes ?

Effectivement, il y a une certaine fierté des Français autour de leur modèle. Mais il ne faut pas croire qu'il est plus performant que les autres. Par exemple, la France a un système d'éducation qui est dans la moyenne des pays de l'OCDE, voire parfois en dessous lorsque l'on se penche sur certains critères particuliers. Un nombre préoccupant d'étudiants sortent chaque année sans diplôme par exemple. Enfin, un modèle social est-il performant lorsqu'il compte plus de trois millions de chômeurs ?

Il faut réformer en profondeur le système français pour le préserver. Mieux vaut agir en amont dès maintenant que sous la contrainte des marchés.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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