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Covid, un an après : tous plus gros ?
©Lindsey Parnaby / AFP

Des kilos en trop

Hors épidémie, la France compte déjà 17 % de la population en situation d'obésité.

Jean-Yves Le Goff

Jean-Yves Le Goff

Chirurgien digestif laparoscopique, pionnier mondial de la chirurgie laparoscopique et bariatrique, ancien chef de clinique-assistant et ancien interne des hôpitaux de Paris. Fondateur et Ancien Responsable de l’unité de chirurgie cœlioscopique à l’hôpital Bichat (1988-1997) Spécialiste de la chirurgie de l’obésité (legofftechnique), il exerce depuis 1997 à la Clinique du Trocadéro (Paris 16ème) et à l’Hôpital Privé de Seine Saint-Denis (Le Blanc Mesnil) depuis 2009. 

 

Sociétés savantes/Mandats/autres activité de représentation et d’organisation :  

- Membre de la Société française de la Chirurgie de l’Obésité

- Membre fondateur de la Fondation pour le développement de la chirurgie laparoscopique (FDCL) : 40 pionniers français et belges à l’origine de la chirurgie digestive Laparoscopique.1992 

-  Membre fondateur de l’European Association for Endoscopic Surgery and other Interventional Techniques (EAES). (1990)

-  Membre fondateur de la Société française de Chirurgie Endoscopique (SFCE). (1994) 

- Ancien Secrétaire Général Adjoint du Collège des Chirurgiens Français, Syndicat des chirurgiens Français (1990-1995)

- Ancien Président du Syndicat des Chefs de Clinique Assistants des Hôpitaux de Paris (1988-1990)

-  Ancien Secrétaire Général National des Chefs de Clinique des Villes de Faculté Assistants des Hôpitaux (1988 -1990)

- Organisateur du Congrès des Internes et Chefs de Clinique à Strasbourg. (1988)  : « L’Europe de la santé à l’horizon du grand marché européen de 1992 »

 

Voir la bio »

Atlantico : Pourquoi est-ce encore plus important de se préoccuper de la question de l'obésité aujourd'hui ?

Jean-Yves Le Goff : Ce sujet est intéressant en termes de santé publique car le poids est un indicateur de santé : la prise de poids peut générer des douleurs osseuses, de l’arthrose, une difficulté à marcher mais aussi du diabète et de l’hypertension, une apnée du sommeil, de multiples risques cardio-vasculaires, des désordres métaboliques.

Le surpoids, l’obésité bien sûr sont dangereux à moyen et long terme : différents problèmes de santé peuvent aussi bien être reliés au surpoids qu’à un poids insuffisant. « L’obésité génère 18 pathologies comme le cancer, comme l’hypertension artérielle, mais avec le Covid, on est à 19. » rappelle Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d'obèses, dans une récente tribune (Journal du dimanche, 27.02.21). Elle affirme à juste titre que les personnes obèses sont les grandes oubliées de la campagne de vaccination bien que cela ait étérectifié « il y a 10 jours » : Les personnes atteintes de surpoids et surtout d’obésité peuventallersefairevacciner. »

Depuis près de 30 ans, le monde médical utilise l’Indice de masse corporelle ou IMC (poids/taille au carré) comme l’un des indicateurs du risque de développer certains problèmes de santé liés au poids corporel. Une zone d’IMC allant de 18,5 à 25 a dès lors été identifiée pour les adultes de 18 à 65 ans : c’est la zone de Poids Santé qui représente un faible risque de développer ces problèmes de santé. Avec le temps, la circonférence de la taille a été ajoutée   pour préciser l’impact de la distribution de la masse grasse et nuancer l’interprétation de l’IMC.

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Situation de la France hors pandémie / % obésité

Aujourd’hui en France, 17% de la population est en situation d’obésité, soit  plus de huit millions de personnes. 

Des “normes” ont ainsi été établies afin d’adapter la prise en charge : un adulte dont l’IMC dépasse 25 est en surpoids, 30 est considéré comme obèse, tandis qu’un IMC inférieur à 17,5    montre un sous-poids. L’obésité, comme l’anorexie, sont considérées comme des maladies chroniques pour beaucoup.

Lesmesuresderestrictionsettoutcequ’ellesimpliquententermesderéductiondel’exercicephysiqueont-ellesprovoquéuneprisede poidschezlesFrançaisDispose-t-ondechiffrespermettantdequantifiercettetendance?

Les différentes études disponibles en France le montrent, tout particulièrement en  en mars et avril 2020, date du premier confinement, le contexte sanitaire et les mesures de restriction ont globalement provoqué une prise de poids chez les Français (ruptures de l’équilibre de vie, passage d’une vie mouvement à une vie statique, difficultés de faire du sport donc baisse de l’activité physique, changements de comportements alimentaires, impacts socioprofessionnels -isolement, anxiété, peur pour l’avenir)

Mais aussi l’étude JournalofEating Disorders(cf.Atlanticooctobre2020)

En tant que chirurgien et spécialiste du traitement chirurgical de l’obésité notamment(legofftechnique), j’ai été au premier rang pour voir ce qui s’est passé avant, pendant et après le confinement. Classiquement la plupart des gens ont pris pendant en mars, avril, mai, deux à quatre kilos. Pour les personnes souffrant d’obésité sévère, IMC supérieur à 35 (poids divisé par la taille au carré) ou supérieur à 40 pour l’obésité morbide, la prise de poids est beaucoup plus

Importante. J’ai vu ainsi des patients prendre 10, voire 15 kilos en 2 mois. Le confinement a aussi touché des patients qui devaient être opérés. Ceux-là étaient désespérés, car l’intervention chirurgicale était d’autant plus retardée.

https://fitness-challenges.com/le-confinement-a-t-il-fait-exploser-la-balance-des-français/Étude Ifop pour Darwin Nutrition réalisée par internet du 24 au 27 avril 2020 auprèsd’un échantillon de 3 045 Français âgés de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine

Dans le même temps, pour les patients anorexiques, la période a aussi été extrêmement difficile. Alors que l’on préconise souvent un éloignement de la cellule familiale pour les soigner, ils ont été contraints à cette promiscuité familiale. Comme par définition, ils se font vomir la plupart du temps régulièrement, ceci leur a causé bcp d’anxiété et de troubles quant à la discrétion et a ainsi aggravé leur mal être.

Les Françaises et Français ont grossi depuis le début du confinement et ont en moyenne gagné 2,5 kilos ( cf. enquête IFOP pour Darwin Nutrition menée auprès de 3045 Français à la  fin du premier confinement a montré que la majorité des participants — 57 % — ont dit avoir pris du poids lors du premier confinement.)

Une prise de poids qui ne nécessite pas de refaire sa garde-robe | 5 kilos  entre 2 tailles !

« La prise de poids n’est pas un problème en soi, et était prévisible dans un contexte de stress et de dépense énergétique limitée. Plus de temps à la maison signifie plus de temps à la préparation des repas, mais aussi plus d’occasions de grignoter », explique Quentin Molinié de Darwin Nutrition dans LeParisien.

  • - Une étude dans le cadre de CoviDIAB a été conduite  — un programme d’accompagnement des patients diabétiques — et le questionnaire auquel ont répondu 5280 personnes a montré que chez ces diabétiques avec un excès de poids, un quart avait pris du poids entre mars et mai dernier.
  • Enfin, les données de NutriNet-Santé, qui portent sur une cohorte de 37 000 personnes vivant en France, vont dans le même sens, puisque 35 % des participants ont pris du poids pendant le premier confinement.

Mais la tendance n'a pas été la même dans les derniers mois de l'année 2020.

Selon l’Étude Withings parue dans le Parisien du 25 janvier 2021 | "5 % des utilisateurs français d'une balance connectée ont pris du poids et 4 % en ont perdu, selon des données délivrées par pas moins de 50 000 balances connectées en France.

Selon cette étude, 23% des utilisateurs de ces balances connectées avaient perdu plus d'un kilo en 2019. Ce chiffre s'est élevé à 28% en 2020. Selon cette étude, 53 % des utilisateurs    ont réussi à se maintenir à un poids qu'elles ou ils jugent "de forme" ou "habituel" (contre seulement 44 % en 2019). 

Mais cette étude est à relativiser, elle s’adresse à un échantillon très particulier, à des personnes qui surveillent leur poids, leur masse musculaire et graisseuse en permanence, qui font du sport régulièrement en principe.

Il est à signaler qu’il n’existe pas encore d’étude scientifique globale et comparative significative à partir de cohortes. 

Le télétravail et la tentation dugrignotage ont-ils amené les Français à moins bien senourriretdoncàprendredupoids?

En effet, le confinement est propice à la prise de poids car le stress favorise la prise de nourriture liée aux émotions (les grignotages par exemple) et l’absence d’activité physique modérée, laquelle diminue les dépenses énergétiques.

Besoin de réconfort, compulsions alimentaires et grignotages auxquels on cède plus facilement étant près du frigidaire ! Prise alimentaire plus importante en dehors des 3 repas     générées par les émotions, l’ennui, le stress, le sommeil perturbé, le temps passé sur les écrans et une consommation d’alcool accrue(étudeViQuoPSantéPubliqueFrance/"Vie quotidienne et prévention dans 60 foyers français à l’heure du coronavirus", mars 2020)

Pour les problèmes d’obésité sévère et morbide (obésité sévère : IMC > 35 et morbide >40), les facteurs psychologiques (abandons, deuils non assumés, attouchements sexuels, viols, incestes, divorces non résolus) interviennent pour 80 à 90 % des cas (5% sont génétiques, 5 à 10% sont culturels)

Avec la pandémie, tous ces facteurs sont exacerbés et le contexte d’anxiété généré par l’épidémie vient s’ajouter à leurs problèmes psychologiques. Or, plus ces obèses sont anxieux, plus ils mangent. La nourriture est considérée et envisagée par eux comme un anxiolytique (il s’agit d’une véritable addiction). Cela entraine évidemment une prise de poids certaine et aggrave la mésestime de soi, la peur du regard des autres, des difficultés à se déplacer, les complications associées … C’est une spirale négative qui continue à les attirer vers le bas et dont il est encore plus difficile à se soustraire en ce moment. Ces patients n’ont pas la capacité à se projeter dans l’avenir, car ils n’arrivent pas à penser que la pandémie a toutes les chances de s’arrêter en un à deux ans par l’obtention d’un

vaccin et celle d’une « immunité collective » … Le traitement de ces patients doit être chirurgicale, conservatrice, non mutilante, associée à une prise en charge psychologique fondamentale. En effet, les obèses sévères et morbides particulièrement ont besoin d’être soutenus et encadrés et structurés.

La prise de poids dépend à la fois de l’apport calorique, et des calories dépensées.

L’effet du confinement (et encore à ce jour avec le télétravail et une activité qui tarde à reprendre) était prévisible : dépense calorique en chute libre + grands moments de solitude à deux pas du frigo…

Mais pourquoi en vient-on à manger, même sans faim ? Le Professeur Boirie explique que la peur du virus et le confinement ont pu générer du stress ; modifiant ainsi les relations à l’alimentation.

En situation de contrariété, on peut aller chercher dans la prise alimentaire de quoi soulager les tensions. Elle n’a pas qu’une fonction de nutrition, elle est aussi hédonique, émotionnelle…

La hausse des dépressions observée pourrait-elle également se doubler d’une prise depoids ?

Constances est une cohorte épidémiologique « généraliste » constituée d'un échantillon représentatif de 200 000 adultes âgés de 18 à 69 ans à l'inclusion, consultants des Centres d'examens de santé (CES) de la Sécurité sociale

L’épidémie elle-même aggravée par la quarantaine forcée pour combattre le COVID-19 appliquée par des fermetures à l'échelle nationale peut produire une panique aiguë, de l'anxiété, des comportements obsessionnels, de l'accumulation, de la paranoïa, de la dépression et des troubles de stress post-traumatique (TSPT) à long terme. Ces phénomènes ont été alimentés par une "infodémie" diffusée via différentes plateformes de   médias sociaux. Des manifestations de racisme, de stigmatisation et de xénophobie à l'encontre de certaines communautés sont également largement rapportées.

Les programmes visant à lutter contre le COVID-19 vont perturber le mode de vie habituel des enfants et peuvent provoquer une détresse mentale florissante. Les aspects psychosociaux des personnes âgées, de leurs soignants, des patients psychiatriques et des communautés marginalisées sont affectés par cette pandémie de différentes manières et nécessitent une attention particulière.

Pour mieux gérer les problèmes psychosociaux des différentes strates de la société, des modèles de prévention et d'intervention en cas de crise psychosociale devraient être développés de toute urgence par le gouvernement, le personnel de santé et les autres parties prenantes.

Source : Psychosocial impact of COVID-19 | Souvik Dubey 1, Payel Biswas 2, Ritwik Ghosh 3, Subhankar Chatterjee 4, Mahua Jana Dubey 5 , Subham Chatterjee 6 , Durjoy Lahiri 7 , Carl J Lavie 8 Affiliation PMID: 32526627 PMCID: PMC7255207 DOI: 10.1016/j.dsx.2020.05.035

Comment,alorsquede nombreusesrestrictionsrestentenvigueur,essayerde limitercesprisesdepoids?

Si le confinement a eu un impact plutôt positif pour certains en faible nombre. C’est peut-être que certaines habitudes, certaines contraintes du confinement ont été bénéfiques chez ces patients et que, dans la mesure du possible, il faudrait essayer de les maintenir au-delà du confinement — par exemple le télétravail peut, chez certaines personnes, les aider à être moins stressées, à prendre plus de temps pour manger, plus de temps pour l’activité physique, sans pour autant altérer la qualité du travail.

À l’inverse, chez ceux qui ont pris du poids pendant le confinement (le plus grand nombre), il faut à mon avis préciser ce qui a été particulièrement délétère chez eux, et voir ce qui peut être modifié au cours du temps, après le confinement. [L’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (APHP), l’Université de Paris et l’INSERM ont mis en ligne récemment un service qui s’appelle Nutri-covid, pour essayer de répondre à ceux qui souhaitent une aide nutritionnelle pour corriger]

Proposer sans attendre un accompagnement nutritionnel à ceux qui ont détérioré leurs habitudes de vie et qui ont actuellement du mal à revenir à la situation antérieure. Pour des patients obèses ou à risque, le rééquilibrage est impératif.

Le rattrapage doit se faire sans brutalité, en respectant à la fois un équilibre nutritionnel et en évitant les plats transformés et cuisinés. 

  • Ne pas laisser les kilos pris s’installer : les perdre rapidement
  • Bouger | Réouverture des salles de sport
  • Manger de façon plus régulière et plus maîtrisée
  • Mieux dormir
  • Pratiquer régulièrement une activité physique avec plaisir de façon assidue
  • Oublier les régimes et ne surtout pas se lancer dans un régime sévère (éviter de perdre du muscle en perdant du poids trop vite, et prévenir l’effet yoyo à l’arrêt du régime)
  • Dormir (le manque de sommeil fait grossir). La fatigue dérègle notre métabolisme et nos hormones de la faim (ghréline et leptine)
  • Pour perdre ces kilos pris pendant le confinement, il faut retrouver un sommeil suffisant (avant minuit et après 7 heures du matin) -
  • On a tendance à plus manger quand on est chez soi que lorsque l’on est au bureau ou à l’extérieur. 
  • Les personnes, malades ou pas, ont aussi besoin de sortir pour évacuer leur stress, en allant faire du sport par exemple. À cet égard, la fermeture des salles de sport est une catastrophe qui pourrait être palliée par des mesures draconiennes (plexiglas de protection entre les appareils espacés, distanciation de plus de 2 mètres dans les cours collectifs, dans les grandes salles, nombre réduit de participants, port de visière systématique pour limiter les effets du souffle du sportif, mise en place d’appareils d’aspiration de l’air et de ventilation comme en Allemagne, d’autant que beaucoup de salles de sport avaient déjà appliqué beaucoup de mesures prescrites aujourd’hui …)

En conclusion, il y a une limite forte qui est commune à toutes les études citées : les données n’ont pas été comparées à ce qui se passe habituellement à la même période de l’année, indépendamment du confinement. 

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