Covid-19 : mais pourquoi l’Asie s’en sort-elle nettement mieux que les démocraties occidentales ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vietnam Asie coronavirus covid-19
Vietnam Asie coronavirus covid-19
©Manan VATSYAYANA / AFP

Chance ou bonne gestion ?

L'Asie semble avoir mieux géré la crise sanitaire et la lutte contre le coronavirus par rapport à de nombreux pays européens ou aux Etats-Unis. Ce succès des pays d'Asie est-il imputable à une meilleure gestion de l’épidémie de la part des gouvernements locaux ou à des facteurs culturels ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Le continent asiatique semble mieux s’en sortir que l’Occident dans la gestion du coronavirus, à quel point cela est-il vrai ? La situation est-elle uniforme ?

Charles Reviens : Il faut séparer le bilan depuis le début de la pandémie et la situation à date. Dans les deux cas, la situation est beaucoup plus dégradée en Occident si l’on regarde les données de au 15 octobre 2020.

Sur le bilan global, les données cumulées de cas et de décès du tableau ci-après indiquent que l’Europe et l’Amérique du Nord représentent un décès sur deux dans le monde contre un décès sur cinq en Asie, alors même que la population asiatique est quatre fois supérieure à la population occidentale. Si l’on limite l’analyse aux quatre principales économies d’Asie (Chine, Japon, Inde, Corée du Sud), il y a cinq fois plus de cas d’infection et dix fois plus de décès par unité de population en Europe ou en Amérique du Nord que dans ces quatre grandes économies asiatiques.

Il y a par ailleurs des écarts locaux importants au sein de ces ensembles. L’Inde a la moins bonne performance en Asie (avec l’Iran, l’Indonésie, l’Iraq et la Turquie) mais l’impact de la pandémie dans ce pays n’en est pas moins selon les données disponibles nettement moins lourd qu’en Allemagne et en Russie, les deux pays européens présentant des bilans extrêmement favorables par rapport à la France et tous ses voisins hors Allemagne.

Si l’on regarde ensuite la dynamique actuelle de la pandémie, on constate également une moindre dynamique en Asie qu’en Occident, sur la base des cas constatés de contamination au cours des 14 derniers jours : la plus grande partie de l’Asie est sous 20 cas identifiés pour 100 000 habitants, contre plus de 120 (six fois plus) pour les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne.

Stéphane Gayet : En premier lieu, il faut être prudent lors de la réception de données épidémiologiques en provenance de pays asiatiques. Le cas de la Chine est caricatural, mais on sait pertinemment que les dirigeants chinois ont transmis à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) des données arrangées, tant sur le plan de leur temporalité que sur celui de leur véracité. Il est probable que nous ne connaîtrons jamais l’exacte vérité de ce qui s’est passé et de ce qui se passe en Chine ; et sans parler de l’origine du SARS-CoV-2 au sujet duquel plusieurs généticiens et virologues affirment que son génome comporte des stigmates en faveur d’une modification humaine par ciseaux génétiques.

À part le cas de la Chine, il est légitime de penser que les données épidémiologiques provenant du Viêt-Nam, de la Corée du Sud, du Japon, de Taïwan, de Singapour, sont suffisamment fiables pour être prises en compte sérieusement.

Honnêtement, aucun pays dans le monde n’a vraiment géré son épidémie de CoVid-19 de façon tout à fait exemplaire. Certes, on cite souvent les cas de la Suède, du Viêt-Nam, de Singapour et de la Nouvelle-Zélande ; pour se focaliser sur les pays d’Asie de l’Est, il existe des points communs qui les distinguent des pays occidentaux en général, concernant leur réaction face à la crise pandémique.
La première chose qui est une évidence, c’est le rôle de la proximité géographique et culturelle du foyer initial chinois. Le fait qu’une grande puissance industrielle, économique et scientifique comme la Chine, située dans la même partie du monde et ayant un tronc commun à la fois ethnique et culturel, se soit laissé déborder par une épidémie virale les a impressionnés et alertés : ils ont rapidement pris le danger au sérieux, sans tergiverser. Or, en matière d’épidémie infectieuse et particulièrement virale, le temps est déterminant.

Sur le plan économique et financier, beaucoup de ces pays ont un niveau de vie moyen inférieur à celui des pays d’Europe de l’Ouest ; c’est justement quand les moyens sont limités qu’il faut être réactif et même proactif, afin d’être efficient.

Il est évident que la posture politique de ces pays est elle aussi décisive. Certes, la situation est hétérogène dans l’ensemble, mais l’impression générale qui se dégage est celle d’États forts servis par des gouvernements forts imprégnés d’idéologie socialiste à tendance libérale. En présence d’une crise nationale quelle qu’en soit la nature, un État fort fait la différence avec un État mou. Ces pays sont gouvernables et gouvernés ; ils n’ont pas à leur tête des marionnettes inconsistantes. On ne parle pas ici des libertés individuelles ni des Droits de l’Homme ; on parle de l’efficacité d’un pays à juguler une épidémie.

Ce succès des pays d'Asie est-il imputable à une meilleure gestion de l’épidémie de la part des gouvernements locaux, ou à un effet de la chance et du hasard, ou encore à des facteurs culturels ?

Charles Reviens : L’analyse des écarts de performance entre Asie et Occident relève d’une analyse multifactorielle incluant des éléments de circonstances ou des considérations médicales qui ne sont pas traitées ici.

Parmi les autres éléments d’explication qu’on peut avancer, il y a probablement l’expérience et la sensibilité aux questions de maladies infectieuses supérieures dans de nombreux pays asiatiques de fait des expériences des pandémies SARS ou MERS qui avaient frappe beaucoup plus durement cette zone.

Il y aurait par ailleurs intérêt à analyser l’écart de moyens technologiques médicaux entre certains pays d’Asie et l’Occident qui est régulièrement mis en avant par le professeur Eric Raoult, notamment en ce qui concerne la Chine. Il y a enfin de nombreux éléments relevant de différences anthropologiques ou sociologiques entre pays occidentaux et asiatiques ; mais il ne faut pas oublier les immenses différences qui existent entre des pays asiatiques qui présentent toutefois des performances systématiquement supérieures à celle de l’Occident : niveaux de revenus et de développement technologique, habitus d’hygiène, niveau de la discipline collective, caractère libéral ou autoritaire des régimes politiques, etc.

A l’appui cette grande diversité, plusieurs contributions ont mis en avant le caractère extrêmement varié de l’action des pouvoirs publics dans différents pays d’Asie présentant des résultats particulièrement convaincants : politique de test/traçage/isolement extrêmement précoce en Corée du Sud, surréaction initiale et fermeture des frontières au Vietnam, identification et traitement des clusters et des surcontaminateurs au Japon.

Dans une logique plus transversale, Le Lancet a publié le 24 septembre un benchmark des modalités de sorties des mesures de restrictions dans plusieurs pays asiatique et européens, sur la base du référentiel suivant :

Il ressort de ce travail plusieurs éléments de convergence de l’action publique en Asie. Un point particulièrement notable concerne le puissant couplage entre dépistage/identification rapides des personnes contaminées et leur isolement dans des lieux dédiés (hôpitaux ou autres). Une contribution récente de Guy-André Pelouze indique que l’absence d’isolement des cas positifs constitue le véritable angle mort de l’approche française alors que c’est un outil particulièrement efficace pour maîtriser la contamination.

Le Lancet note par ailleurs une beaucoup plus grande rigueur en Asie dans les contrôles aux frontières liés à la pandémie : interdiction totale de territoire, mesures de quarantaine/dépistage pour les voyageurs provenant de l’étranger. 19 pays d’Asie ont ainsi complètement bouclé leurs frontières pour une période de 30 semaines, contre 2 pays en Europe.

Stéphane Gayet : La chance et le hasard sont des termes que l’on utilise parfois pour qualifier des situations complexes que l’on ne comprend pas. Dans la diffusion d’une épidémie, il y a indéniablement une part de hasard, mais le « hasard » agit aussi bien de façon favorable que de façon défavorable ; il ne peut donc pas être invoqué pour expliquer le succès relatif de plusieurs pays dans la gestion d’une crise sanitaire.

Je crois qu’il n’est pas déplacé de dire que leurs gouvernements se sont montrés plus intelligents dans la gestion de leur épidémie ; c’est vrai sur les plans de leur réactivité, de leurs experts, de leur courage politique et de leur pragmatisme. Il persiste chez plusieurs pays d’Europe de l’Ouest un sentiment de supériorité imprégné de nostalgie colonialiste ; s’il existe une supériorité technologique, économique et financière, elle n’est sûrement pas intellectuelle ni culturelle.

Sur le plan culturel, il existe probablement une influence de la religion, d’interprétation toutefois complexe. Mais on est frappé, indépendamment d’une empreinte religieuse, par ce sentiment de la collectivité, du bien commun, de la solidarité et de la nation, qui existe dans ces pays asiatiques et qui nous fait défaut aujourd’hui. C’est pourtant essentiel pour parvenir à vaincre un fléau tel qu’une épidémie virale. Toutes les personnes qui ont côtoyé ou qui côtoient des Vietnamiens, des Chinois, des Coréens, des Japonais… font le même constat : il y a chez ces peuples quelque chose qui nous fait défaut et qui contribue à leur cohésion, leur discipline et ainsi leur force ; il y a de la fierté et c’est normal chez tout être qui se respecte, mais on ne perçoit pas beaucoup cet égoïsme et cet égocentrisme qui sont tellement prévalents chez nous. Quand on y ajoute une assez bonne confiance dans le gouvernement, on comprend mieux les raisons de leur succès en la circonstance. Il n’y a pas de secret ; cette pandémie CoVid-19 est en elle-même une leçon de vie pour nous tous.

Quelles sont les principales différences entre l'Asie et l'Occident face à la crise sanitaire ? Y-a-t-il des éléments dans la gestion de crise asiatique que l’Occident aurait intérêt à adopter ?

Charles Reviens : On a vu l’écart massif concernant les contrôles d’accès au territoire beaucoup plus stricts en Asie. Les règles d’isolement des personnes contaminées sont en Europe beaucoup plus lâches qu’en Asie, avec le plus souvent la simple consigne pour les personnes positives de rester à leur domicile hors cas graves et non par exemple dans des hôtels ou lieux dédiés. On comprend aisément l’écart sur les risques de contamination entre les deux approches.

Les modalités de communication publique ont également été différentes. On peut citer le choix sud-coréen d’une division du travail de communication claire et constante entre le volet scientifique pris en charge exclusivement par les responsables non politiques des agences de santé publique, et le volet pédagogique et de l’édiction des règles comportementales porté par les responsables politiques.

Se pose ensuite la question de la crédibilité des pouvoirs publics liée à leur exemplarité. Les polémiques se sont succédées en Grande-Bretagne sur le non-respect des règles de confinement par Dominic Cummings, le principal conseilleur de Boris Johnson tandis que le Premier ministre français Jean Castex a admis ne pas utiliser l’application publique de traçage stop-covid dont l’échec a été finalement reconnu par Emmanuel Macron. A l’inverse le ministre de la santé néozélandais David Clark a dû démissionner en juillet pour n’avoir pas respecté à deux reprises les règles nationales covid-19.

De toute façon, il est sans doute désormais trop tard pour les pays occidentaux et la France de s’inspirer des pays asiatiques pour la présente crise, ceci d’autant plus que la performance asiatique est très fortement liée au caractère extrêmement précoce de certaines mesures : la Corée du Sud disposait de tests PCR agréés par le ministère de la santé dès le 4 février 2020 d’où un déploiement extrêmement rapide’. Espérons seulement que les leçons seront prises pour les prochains risques épidémiques…

Au final le niveau de disruption sociale et économique n’a pas grand-chose à voir entre l’Asie, où la vie est aujourd’hui globalement normale, et la plupart des pays occidentaux, où se généralisent de nouveaux confinements ou couvre-feux. Sur le plan économique, le FMI prévoit la stabilité du PIB de la zone Asie-Pacifique (baisse de 0,2%), contre une récession de 5,9% aux Etats-Unis de 7,3% en Europe.

Stéphane Gayet : À quelque chose malheur est bon ; même à beaucoup de choses, je crois. Nous nous pensions forts et armés pour vaincre à peu près tous les fléaux. Notre superbe est giflée et notre vanité ridiculisée. Il n’est pas nécessaire de continuer à nous flageller quant à la gestion déplorable de cette crise. Demandons-nous si nous aurions fait mieux avec un autre gouvernement ? C’est fort possible, mais personne ne peut l’affirmer.

Parmi les pays de l’Union européenne, on avait un temps vanté la gestion néerlandaise, avant de constater qu’elle n’avait pas beaucoup mieux agi que les autres. Certes, l’Italie a été résiliente après son hécatombe fulgurante ; certes, la Grèce a été résistante, sachant tirer au mieux profit de ses maigres ressources. Finalement, c’est encore l’exemple de la Suède qui et le plus intéressant : ce pays a réussi à résister à la tentation du confinement généralisé et obligatoire : le résultat est mitigé, mais les Suédois ont évité un désastre économique à la différence de nous ; n’est-ce pas préférable ?
Le cas de l’Allemagne est à mon avis tout aussi intéressant : la gestion a été sur le plan fédéral forte, engagée et rigoureuse, tout en laissant aux länder suffisamment d’autonomie ; avec en fin de compte un résultat honorable.

En ce qui nous concerne, la gestion de cette crise sanitaire, faisant suite à la gestion de la crise des gilets jaunes, a été l’éclatante révélation que notre système politique est à bout de souffle. Jacques Chirac parlait de fracture sociale et il avait raison ; à cette fracture sociale s’est ajoutée une fracture gouvernementale, je veux dire un fossé entre le gouvernement et la population ; c’est aussi grave, je crois. L’École nationale d’administration (ENA) fabrique-t-elle des élites omniscientes capables de tout appréhender et de tout gérer en autocratie ? Je ne le crois pas. Ce n’est pas parce que l’on est doué d’une grande agilité intellectuelle et verbale que l’on est capable de vraiment comprendre ce qu’est un virus, ce qu’est l’histoire naturelle d’une épidémie virale respiratoire et comment gérer intelligemment et efficacement – et si possible de façon efficiente – cette épidémie. Le mythe de Zeus est une belle histoire, mais ce n’est qu’un mythe.

En fin de compte, ce qui nous a manqué ? : compétence, honnêteté, modestie, courage et respect réciproque.

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