COVID-19 : l’Europe a-t-elle commis l’erreur de rouvrir ses frontières intérieures trop tôt ?<!-- --> | Atlantico.fr
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frontières tests coronavirus covid-19 virus pandémie maladie
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©SAKIS MITROLIDIS / AFP

Diffusion du virus

C’est en tous cas la question que se posent un certain nombre d’Etats qui réinstaurent des quarantaines pour leurs ressortissants de retour de vacances dans de plus en plus de pays.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : L'Union européenne a-t-elle commis une erreur sanitaire lorsqu'elle a décidé de rouvrir ses frontières intérieures au moment de l'été ?

Stéphane Gayet : Les déplacements de virus n’ont rien à voir avec les flux de devises monétairesou de biens tels que des matières premières ou des produits finis. L’ensemble des virus ne constitue pas une masse comme une masse monétaire. On ne peut pas, en fonction des nécessités, réduire ou augmenter un flux de virus. Un virus est presque immatériel : ce n’est qu’une information génétique que les cellules multiplient et que les êtres humains se transmettent.

Si l’on gère une épidémie virale comme on gère une inflation, une déflation, une surproduction ou tout autre événement financier ou économique, on est à peu près certain de se fourvoyer et de commettre des erreurs potentiellement graves. Or, c’est un peu l’impression que la gestion de l’épidémie donne actuellement : on ouvre les vannes, on ferme les vannes… Les énarques et les ingénieurs ne sont pas omniscients ni capables de tout gérer avec compétence et efficacité ; pourtant, on a vraiment le sentiment que ce sont eux qui prennent les décisions en matière de CoVid-19 : les experts sont écoutés de façon polie, mais distante. Les erreurs et incohérences se succèdent, c’est navrant et dommageable. Je répète que le port du masque en extérieurexcepté certaines situations telles qu’un attroupement de personnes immobiles – n’a le plus souvent pas d’intérêt. Je répète que les « cas » que l’on détecte actuellement à foison ne sont pour l’immense majorité d’entre eux pas des malades et que la circulation du virus dont ils sont les témoins n’est pas forcément la « bombe à retardement » que l’on nous présente. Les phénomènes infectieux et immunologiques sont nettement plus complexes que les phénomènes économiques. Quand on détecte une personne comme « positive SARS-CoV-2 asymptomatique », on ne sait pas en réalité depuis combien de temps elle l’est.

Pour répondre à la question posée : alors que mon propos liminaire pourrait laisser penser que je vais déplorer la réouverture des frontières intérieures de l’Union européenne, je pense au contraire que cette mesure a été judicieuse. Car la vague épidémique n’a à présent plus aucune force et semble évoluer lentement vers sa fin, malgré quelques petits moutons dus à des événements particuliers. Il n’y a pas de guerre contre le SARS-CoV-2, c’est plutôt une lutteterme souvent employé en épidémiologie et en hygiène : lutte contre l’infection – et il ne faudrait pas que cette lutte se termine par une victoire à la Pyrrhus, en d’autres termes que le pays soit exsangue une fois que l’épidémie sera éteinte.

On gère le risque infectieux sans pouvoir le supprimer. Dans cette affaire, il faut trouver le bon rapport « contrôle de l’épidémie sur stimulation de l’économie ». Étant donné que les pays européens du pourtour méditerranéen comme la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce vivent beaucoup du tourisme pendant les mois d’été, il était, de mon point de vue, vital économiquement d’entraver le moins possible la circulation des personnes durant cette période de l’année.

Faire circuler le virus ne présente-t-il pas un nouveau risque pour les personnes vulnérables ?

Les médias nous parlent chaque jour de cas détectés par milliers. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Ce sont des personnes qui sont presque toujours valides et mobiles, menant leurs activités. Dans la très grande majorité des situations, ce sont des sujets asymptomatiques (aucun symptôme ni signe) ou paucisymptomatiques (très peu de symptômes ou signes).

On sait à présent que la CoVid-19 est une maladie assez contagieuse, donc que son virus le SARS-CoV-2 se transmet avec facilité d’une personne à l’autre ; on sait également qu’elle est immunisante ; on sait enfin qu’une très grande proportion de personnes jeunes (adolescents et adultes jusqu’à 30 à 35 ans) développe une forme asymptomatique ou paucisymptomatique. Dès lors, il est non seulement attendu, mais aussi souhaitable, que le virus circule comme il le fait présentement : ce phénomène contribue amplement à l’immunisation collective ou de groupe.

Mais cette circulation active du virus fait peur aux pouvoirs publics, au motif que les porteurs (et excréteurs, donc contagieux) de virus pourraient rencontrer et contaminer des séniors vulnérables. L’argument est plus théorique que solide ; car, si l’on excepte les immunodéprimés sévères, l’intensité d’une maladie est souvent proportionnée à la quantité initiale d’agents infectieux que la personne a reçue lors de sa contamination : cela s’explique par le fait que le système immunitaire s’adapte en cours d’infection ; or, plus la charge microbienne initiale est forte – ce que l’on appelle l’inoculum – et moins le système immunitaire a le temps de s’adapter, en raison de la vitesse du processus infectieux favorisée par le grand nombre de microorganismes présents brutalement ; c’est assez logique.

Or, la contagiosité des personnes infectées varie selon l’intensité de leur maladie (symptômes et signes) : plus un sujet est cliniquement malade (symptômes et signes marqués) et plus il est excréteur de virus et donc contagieux.

C’est pourquoi une circulation « à bas bruit » du virus chez des personnes asymptomatiques est – avec un virus respiratoire comme le SARS-CoV-2 – est un phénomène à la fois pratiquement inévitable et essentiellement bénéfique, étant donné qu’il induit une immunisation tant individuelle que collective.

L'immunité globale est-elle l'option la plus fiable pour combattre le coronavirus ?

Comme je viens de l’exprimer en deuxième partie, c’est le phénomène en fin de compte le plus souhaitable et le plus efficace. Sachant que l’on ne peutpas éradiquer ce virus, que sa contagiosité est assez importante, que la maladie est immunisante et qu’un très grand nombre de personnes infectées font une infection sans gravité.

Mais il ne s’agit pas de laisser faire les choses sans aucune intervention (comme au Brésil, par exemple) : la circulation du virus doit s’effectuer doucement et non pas massivement ; d’où l’intérêt du port du masque lors des rencontres à l’intérieur des locaux, du respect de la distance de sécurité (1,50 mètre) et de la décontamination des mains. Les mesures d’hygiène ne s’opposent pas à toute contamination interhumaine : elles la réduisent à un minimum acceptable et ce minimum acceptable est parfois bénéfique, comme ici.

Donc, mon avis est que l’idéal serait que la population en arrive progressivement à un taux élevé d’immunisation collective ou de groupe, ce qui permettrait de réserver la vaccination à des personnes d’une grande vulnérabilité. Il faut encore ajouter qu’actuellement, avec toutes les rumeurs et fausses informations qui circulent sur les vaccins à venir, la vaccination contre la CoVid-19 fait presque plus peur que la maladie.

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