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Covid-19 : Emmanuel Macron face au défi de la vie des Français (et de sa propre survie)
©LUDOVIC MARIN / AFP

"Nous sommes en guerre"

Emmanuel Macron s'est exprimé lundi soir sur la crise du Covid-19. Le président de la République a annoncé le confinement quasi-total des Français, ainsi que le report du second tour des élections municipales. Des mesures pour soutenir l'économie et les entreprises, le déploiement de forces de police ou l'aide de l'armée ont aussi été annoncés.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Quel regard portez-vous sur les nouvelles mesures de confinements annoncées par Emmanuel Macron? Vous semblent-elles à la hauteur de l’événement ?

Christophe Bouillaud : En l’occurrence, Emmanuel Macron ne fait que suivre le mouvement de tous les autres pays européens confrontés à la pandémie. Toutes les personnes qui suivent un peu de près la déroulement de cette catastrophe annoncée n’auront pas été trop surprises, mais peut-être déçues qu’il n’aille pas encore plus loin dans la mise à l’arrêt total de toutes les activités non essentielles du pays. Visiblement, on va copier dès demain le mécanisme mis en place par l’Italie de déclaration par chacun sur un document dédié de la raison impérative de se déplacer, cela risque d’être totalement ridicule. Je sens que Courteline va redevenir à la mode. Le concours de la plus belle bêtise policière en matière de contrôle des déplacements est donc officiellement ouvert dès demain.   

Mais  il est surtout notable qu’Emmanuel Macron se soit exprimé pour la seconde fois en moins d’une semaine. Il avait parlé jeudi dernier, et nous sommes lundi soir. Ce qu’il a dit ce soir demandera bien sûr des précisions,  en particulier une mise en œuvre juridique pour toutes les mesures restrictives ou d’aides économiques, comme il l’a laissé entendre lui-même en annonçant la demande d’autorisation par le Parlement de pouvoir légiférer par ordonnance sur le sujet, mais l’important est dans cette allocution que le Président a vraiment très lourdement insisté sur la gravité de la situation. Les mesures annoncées peuvent être certes  encore comprises de deux façons : il est assez clair que les Français doivent s’abstenir de mener une vie sociale normale pendant les prochaines semaines, y compris avec ses proches ou ses amis, ce que vient de préciser le Ministre de la Santé ou ce qu’implique les certificats de déplacement annoncés par le Ministre de l’Intérieur, mais il n’est pas encore clairement dit que toutes les activités économiques non essentielles dans l’immédiat doivent obligatoirement s’arrêter, sauf si elles ne peuvent être menées en télétravail de chez soi. Les commerces et les services, hors alimentation, pharmacie, transports publics et quelques autres secteurs, sont déjà à l’arrêt pour tout ce qui concerne les activités impliquant l’accueil de clientèle. Une partie de l’industrie semble être en train de s’arrêter, avec l’arrêt des usines du secteur automobile. A la fin, ne devrait rester en fonction que ce qui permet à un pays moderne de fonctionner : par exemple, les réseaux (eau, électricité, gaz, internet), l’alimentation et l’enlèvement des ordures, et bien sûr toutes les activités qui se trouvent en amont de ces secteurs essentiels, comme sans doute l’industrie agroalimentaire ou l’agriculture. Le débat est similaire en Italie du nord. Cela ne va pas de soi d’arrêter toutes les activités économiques non essentielles à court terme. 

Quoi qu’il en soit, dans la mesure de sa rhétorique et de sa personne, Emmanuel Macron a essayé de faire le job pour lequel la République le paye. Face au désastre comme celui qui s’annonce, il a déployé une rhétorique plutôt classique de la souffrance à venir, de la communauté qui survivrait à l’épreuve, du rôle essentiel de tous et de chacun, et enfin de l’avenir meilleur qui en ressortirait.  

La fermeture de l'espace Schengen vous apparaît-elle inévitable ? N'est-ce pas trop tard?

Oui, c’est une façon au moins symbolique de réaffirmer la solidarité des pays européens entre eux. En effet, l’actualité n’était faite jusqu’à aujourd’hui d’annonce de pays européens fermant leur frontière avec d’autres pays européens, ou de pays extra-européens, comme les Etats-Unis bien sûr, fermant leur frontière aux ressortissants de pays européens. Cela ne change pas grande chose du point de vue de la maîtrise de la pandémie, puisque pour avoir un minimum d’efficacité, cette mesure aurait dû être prise dès le moment où les pays européens ont eu connaissance des problèmes rencontrés à Wuhan, mais cela permet au moins d’afficher l’unité des européens. 

Le Président a évoqué dans son discours le recours à l'armée pour transporter les malades. Pensez-vous que les militaires ont un rôle à jouer dans cette crise ?

De fait, il aurait été étonnant que les moyens de la médecine militaire ne soient pas engagés massivement dans la lutte contre l’épidémie, alors que toute la médecine civile se trouve confrontée à un défi hors de proportion avec l’habituel. Mais, là encore, l’accent mis par Emmanuel Macron sur l’intervention de ces militaires dans le transfert de malades entre régions et aussi dans la création d’un hôpital militaire ad hoc dans le Grand Est me parait essentiellement une façon de réveiller les Français qui n’auraient pas compris que la situation est maintenant vraiment grave, très grave. Une telle annonce peut en effet frapper les esprits, et faire que nos concitoyens prennent peur pour eux-mêmes et leurs proches et mettent en œuvre les mesures demandées de ralentissement de la vie sociale. 

A six reprises, le président a répété la phrase: "Nous sommes en guerre"? Partagez-vous ce sentiment ?

Très largement. Bien sûr, je ne crois pas au sens littéral de cette phrase, et d’ailleurs le Président de la République escompte bien que personne ne se trompe sur son sens. Il l’a tout de même précisé. Elle est valide cependant parce que notre communauté nationale refuse de laisser faire la nature. En souhaitant minimiser le nombre de décès liés au coronavirus, nous voulons imposer notre volonté à ce que nous nommons un agent pathogène. Cette volonté est inscrite dans nos politiques  publiques de longue date : nous voulons faire reculer la mort. Nous n’acceptons pas, ni au niveau collectif, ni au niveau individuel, la fatalité d’une mort liée à un virus quel qu’il soit. Le nombre de morts que serait susceptible de provoquer ce virus en France, si aucune stratégie de santé publique, n’était appliquée, défie l’entendement. On se trouve très au-delà des morts de la canicule de 2003, qui, pourtant, avaient suscité un vaste émoi dans la société. 

Au moins en paroles, le Président a bien laissé entendre que tous les us et coutumes habituels, dont la prudence budgétaire qui a gouverné les politiques publiques depuis des décennies, étaient caducs. C’est typique de l’état d’exception que représente une  vraie guerre pour un pays. On verra ensuite si cela se traduit en actes en particulier en matière de santé. Une guerre seulement de mots, c’est à la fin une défaite… 

Par ailleurs, le Président a bien compris, semble-t-il, que, pour mener une guerre, il faut être légitime à gouverner. Il a donc annoncé que toutes ses réformes, dont celle des retraites, étaient suspendues. La réforme de l’indemnisation du chômage qui devait entrer en vigueur en avril avait déjà été repoussée en septembre, belle manière d’ailleurs de reconnaître qu’il s’agissait bien d’une réforme punitive, comme l’avait dit le très modéré dirigeant de la CFDT, Laurent Berger. C’est là une concession aux oppositions, typique des entrées en guerre en démocratie. De plus, cela enregistre le fait que, au vu des résultats du premier tour des élections municipales de ce dimanche, donc avant même que le pire de la crise sanitaire n’arrive vraiment sur nous, le parti du Président, LREM, n’existe plus électoralement que par des anciens notables de droite (ex-LR) ou du centre (Modem) qui ont su préserver leur fief municipal. Quelques milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers de morts plus loin, même un Emmanuel Macron peut bien se douter qu’il aura tout de même quelque intérêt personnel à avoir calmé un tout petit peu ses opposants, à les avoir embarqué dans la gestion de la crise. Il voulait la « Révolution », mais sans doute pas contre lui… 

Donc, plutôt que de faire appel à l’article 16, qui aurait mis de facto toutes les oppositions hors-jeu, et lui aurait fait porter toute la responsabilité de la crise sanitaire,  Emmanuel Macron demande à son gouvernement de proposer au Parlement une loi d’habilitation pour permettre à ce dernier de prendre toutes les ordonnances nécessaires face à la crise sanitaire et économique qui lui est liée. On verra cette semaine quelle sera l’attitude des oppositions parlementaires, mais cette discussion parlementaire peut être l’occasion de passer en douceur vers une union nationale, avec éventuellement la formation dans la foulée d’un nouveau gouvernement destiné spécifiquement à gérer la crise. 

En tout cas, nous voilà effectivement pleinement entrée dans une période exceptionnelle. Espérons que la liberté d’expression, première des libertés, n’en soit pas victime. 

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