Covid-19 : l’explosion de la majorité en pleine crise sanitaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme tient un téléphone portable affichant l'application de suivi StopCovid développée par le gouvernement français pour tenter de contenir la propagation du Covid-19.
Un homme tient un téléphone portable affichant l'application de suivi StopCovid développée par le gouvernement français pour tenter de contenir la propagation du Covid-19.
©Thomas SAMSON / AFP

Bonnes feuilles

Wally Bordas et Nejma Brahim ont publié « Tout ça pour ça, Couacs, déceptions, démissions : enquête au cœur de l'Assemblée nationale » aux éditions Plon. En seulement trois ans de législature, les parlementaires de la majorité comme de l’opposition ont dû faire face aux crises majeures de l’affaire Benalla, des Gilets jaunes, de la réforme des retraites ou du Covid-19. Ce livre relate, à travers une année d’enquête, les ambitions ratées d’un « nouveau monde » qui ressemble beaucoup à l’ancien, l’expérience en moins. Extrait 2/2.

Wally Bordas

Wally Bordas

Wally Bordas est journaliste pour Le Figaro. Il est spécialisé dans le domaine de l'éducation et suit de près tous les sujets qui touchent à la politique.

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Nejma Brahim

Nejma Brahim

Nejma Brahim est journaliste à Mediapart. Elle travaille sur les migrations et s'intéresse, depuis plusieurs années, à la politique et aux sujets de société.

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« Quand je lis nos boucles, les propos rapportés dans les articles de presse, toujours en off, je me dis que l’on n’a pas besoin de nos oppositions. Quatre-vingt-dix pour cent des propos négatifs sur notre action viennent de notre propre camp. » Cette phrase, rapportée par L’Express en juin 2020, en pleine première crise du coronavirus, a été prononcée par Stanislas Guerini, député de Paris et délégué général de La République en marche. Dans cette période extrêmement difficile au cours de laquelle il aurait pu faire corps autour du président de la République, le groupe LREM ne s’est en effet jamais autant éparpillé, désuni, voire déchiré. Et les divisions entre les députés de la majorité, qui jusqu’ici nourrissaient le débat en interne, ont éclaté au grand jour.

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Les premiers désaccords se sont exprimés autour de la question de la régularisation des sans-papiers. Dans une pétition formulée par François-Michel Lambert, ancien député de la majorité, une vingtaine de parlementaires ont réclamé une régularisation temporaire des sans-papiers pendant la pandémie. Parmi les signataires se trouvaient plusieurs membres de l’aile gauche du parti majoritaire comme Michel Delpon, député de Dordogne, ou Hubert Julien-Laferrière, élu du Rhône.

Une pétition suivie quelques jours plus tard d’une lettre ouverte au Premier ministre signée par plus de 100 députés et sénateurs. Comme souvent, le truculent Aurélien Taché y est allé de son tweet polémique : «Alors que le Portugal régularise ses sans-papiers, la France ferme ses guichets d’enregistrement pour les demandeurs d’asile. Face à la crise Covid-19, faire preuve de solidarité ne doit pas être à géométrie variable.»

Ces critiques ne passent pas inaperçues dans la majorité, et en agacent plus d’un. « Pour une très grande partie des députés LREM, ce sujet n’a même pas existé. Mais comme d’habitude, certains, tel Aurélien Taché, ont l’art de faire parler d’eux », tacle ainsi Anne-Laurence Petel, parlementaire des Bouches-du-Rhône.

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Autre sujet qui divise rapidement le groupe majoritaire : l’application de traçage « StopCovid», mise en place par le gouvernement. Avant même le déconfinement et le développement du logiciel ayant pour objectif de prévenir les personnes ayant été à proximité de quelqu’un infecté par le Covid-19, l’idée suscite une levée de bouclier d’une partie des députés de La République en marche. Rapidement, le numéro 2 du parti, Pierre Person, s’y montre hostile. Dans Libération, Sacha Houlié, élu de la Vienne, fait également connaître son désaccord. « Il n’y a pas de tracking vertueux », estime-t-il. Même point de vue pour Guillaume Kasbarian, encore dans les colonnes de Libération : «Attention à ne pas ériger des régimes autoritaires qui ont mis en place des systèmes intrusifs en modèles d’efficacité. Je ne voudrais pas qu’un autre gouvernement ait, plus tard, l’idée de proposer des applications en matière de prévention sanitaire pour mieux manger ou mieux bouger. Attention à ce que l’on ouvre.»

L’application sera finalement votée, malgré les critiques. Après coup, un membre du bureau exécutif du parti nous confie qu’à ce moment-là de la crise « les échanges ont été très vifs en interne ». « Le sujet était réellement sensible. Sur nos boucles Telegram, ça s’est embrasé d’un coup et c’est parti dans tous les sens. » Et l’exécutif n’était pas au bout de ses peines.

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Le 28 avril 2020, à l’heure de voter le plan de déconfinement présenté par Édouard Philippe, Martine Wonner, députée LREM du Bas-Rhin, se prononce contre. «Pour moi, ce plan était incomplet car il n’y avait aucune stratégie thérapeutique», précise-t-elle après la tempête qu’elle a déclenchée au sein du parti. Quelques jours plus tard, la parlementaire, médecin psychiatre de formation, se voit convoquée par le bureau politique de La République en marche. «J’ai dû m’expliquer en visioconférence devant le bureau. Dans les cinquante minutes qui ont suivi, j’ai été exclue du groupe parlementaire», relate-t-elle. L’élue du Bas-Rhin, qui ne s’attendait pas à son éviction, se dit surprise par une telle décision. «En tant que médecin, j’ai émis un avis. Je n’ai pas compris que l’on stigmatise mes positions. Normalement, sur ce type de vote qui touche aux questions éthiques, nous sommes libres de nous prononcer en notre âme et conscience sans risquer d’être exclus.»

Son ressenti? Le parti a sorti «l’artillerie lourde » pour se débarrasser d’elle, dans un moment où la majorité avait besoin d’unité. Mais si c’était à refaire, elle redirait les mêmes choses sans sourciller. «Cette exclusion ne m’a pas émue. Je dirais même que c’est ce qui m’est arrivé de mieux ! »

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La période se complique quelques jours plus tard. Mi-mai 2020, 17 députés créent le nouveau groupe parlementaire «Écologie Démocratie Solidarité». Parmi eux, d’anciens élus de LREM comme Annie Chapelier, Paula Forteza, Sébastien Nadot, Martine Wonner ou Cédric Villani, mais aussi certains membres qui n’avaient pas encore quitté le groupe, tels Aurélien Taché et Guillaume Chiche. Le groupe, qui se veut indépendant, se déclare «ni dans la majorité, ni dans l’opposition». Il a pour objectif de participer à «une ambition forte de transformation sociale et écologique». «Répondre à l’urgence écologique, moderniser la démocratie, réduire les inégalités sociales et territoriales : nous ne pouvons faire plus et mieux à l’Assemblée nationale», considèrent les 17 parlementaires qui entendent pousser et soutenir les décisions à la hauteur des enjeux mais s’opposer dans tous les autres cas.

Guillaume Chiche, député des Deux-Sèvres jusqu’alors fidèle au président de la République, explique avoir fait ce choix par lassitude. « Cela fait trois ans que je me bats de l’intérieur et je n’ai eu quasiment que des défaites. Je suis passé pour l’emmerdeur, le poil à gratter, l’agitateur. Je suis vraiment déçu d’avoir eu à en arriver là », nous signifie-t-il. Celui qui nous racontait lors d’une rencontre parvenir à gagner des combats en luttant de l’intérieur, estime dorénavant qu’être dans un autre groupe lui donnera la possibilité de plus faire bouger les lignes. «Dès qu’on émettait une idée, certains nous disaient d’arrêter de trahir le groupe. Dès qu’on exprimait un doute, une opposition, on se faisait menacer sur des boucles Telegram, on était insultés, qualifiés de traîtres. Toutes les chapelles ou cercles d’influences que nous avons essayé de créer ont été réprimés. Le groupe est autoritaire, il n’a pas su faire vivre ses différentes sensibilités politiques », explique-t-il. Et tant pis si leur choix fragilise le chef de l’État, que nombre d’entre eux soutiennent encore.

Pour l’ensemble des parlementaires de ce nouveau groupe, la décision a été mûrement réfléchie. Cela faisait d’ailleurs plusieurs mois qu’ils s’y préparaient. En janvier 2020 déjà, lorsqu’elle avait quitté LREM, Paula Forteza, représentante des Français de l’étranger, avait prévenu de la création imminente d’un groupe de parlementaires désenchantés.

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Les déboires de LREM ne s’arrêtent pas là. Quelques jours plus tard, un dixième groupe, baptisé «Agir ensemble», lui, est créé. Il rassemble 17 élus, dont certains faisaient partie du groupe «UDI – Agir», et d’autres, comme Dimitri Houbron, Thomas Gassilloud ou Jean-Charles Larsonneur, du parti majoritaire. Le groupe se veut « constructif », souhaite appartenir à la majorité en soutenant le président de la République, mais aussi faire vivre la diversité en venant « incarner et donner une voix à une sensibilité politique libérale, humaniste, sociale et européenne qui doit pouvoir s’exprimer pleinement ».

Avec ces énièmes défections, aux yeux de l’opinion et des médias LREM perd définitivement sa majorité absolue à l’Assemblée nationale. Pour Olivier Becht, député du Haut-Rhin et président d’«Agir ensemble », la majorité s’est au contraire renforcée avec la création de ce dernier groupe. «Sept personnes ont quitté LREM pour venir chez nous, certes, mais comme nous soutenons le président de la République et que nous sommes 17, cela fait 10 voix supplémentaires pour la majorité », calcule-t-il. Reste que les ex-LREM ayant franchi le pas ne cachent pas leur satisfaction d’avoir quitté une structure qui ne leur a jamais laissé la liberté qu’ils attendaient.

Pour Dimitri Houbron, député du Nord, qui a fait le choix de partir, LREM a un problème de gouvernance. « Il est facile de remettre la faute sur ceux qui partent en disant qu’ils ne jouent pas collectif. Or depuis le début, dans le groupe, qu’il y ait une grande érosion n’est pas pour rien : beaucoup de collègues de grande qualité sont partis après des mois de mécontentement.» À l’en croire, de nombreux autres députés LREM ne sont pas en phase avec la manière d’agir du groupe et hésiteraient à le quitter avant la fin de la législature. « Personnellement, il me reste deux ans de mandat que je ne voulais pas vivre frustré parce que je n’aurais pas pu mener les combats qui me tiennent à cœur par crainte d’en voir les conséquences sur ma carrière », explique Dimitri Houbron qui, depuis son départ, se sent beaucoup plus libre dans sa parole. Et même si «Agir ensemble » n’est pas dans l’opposition, il est un caillou de plus dans la chaussure déjà bien pleine de La République en marche.

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Aux yeux du politologue Bruno Cautrès, la crise du coronavirus a apporté « un peu plus de confusion» au tableau déjà «peu lisible » de la majorité. «Ce groupe parlementaire s’est forgé à travers la personne d’Emmanuel Macron : si le Président dit qu’il veut aller au sud, tout le monde veut aller au sud, s’il dit l’inverse, tout le monde dit l’inverse. Mais quelles sont les valeurs, les croyances profondes de ces députés? Certains commencent à s’affirmer en faisant des choix marqués. La création de ces deux groupes en est la preuve », analyse le chercheur. La création d’un ensemble «de gauche» composé d’anciens députés de la majorité affaiblit donc bel et bien le chef de l’État. « Quitter un groupe majoritaire au bout de trois ans révèle un vrai échec. Dans ce laps de temps, les occasions n’ont sans doute pas manqué de se parler, d’essayer de faire vivre les différences. Or leur départ est très argumenté sur le plan idéologique. Il est donc très significatif. » Un avis partagé par le politologue Stéphane Rozès : «Pendant cette crise, les députés LREM auront été encore plus suivistes à l’égard de l’exécutif que d’habitude, ce qui a accéléré les forces centrifuges au sein de la majorité et entraîné la perte de la majorité absolue. »

Ce dernier estime même que, durant cette première crise de Covid-19, les députés LREM n’ont pas «joué leur rôle d’élus». «Leur mission est d’anticiper, de prévenir et de repérer les signaux faibles. Ils ont sous-estimé la pandémie et ont surestimé notre système de santé. Le Parlement et le groupe majoritaire sont la corde de rappel et de transmission entre le sommet de l’État et la nation. Une fois de plus, ils n’ont pas été à la hauteur», juge Stéphane Rozès. À ses yeux, les élus ont péché par manque d’expérience, de vision, parce qu’ils ne sont pas animés par la politique. «Ces personnes venant de la société civile sont des techniciens qui n’ont pas l’intuition, ne ressentent pas les choses. Ils n’ont aucun sens politique», condamne-t-il.

Pour Bruno Cautrès, la première crise sanitaire aurait pu être l’occasion, pour certains députés de la majorité, de sortir du lot, comme c’est le cas lors de grandes crises, mais rien. «Nous n’avons vu s’affirmer dans la majorité aucune grande voix, aucune parole forte. Aucun député n’est arrivé à théoriser quoi que ce soit, à donner des éléments de réflexion qui donnent le sentiment qu’une personnalité s’affirme. Je serais incapable de citer un seul s’étant détaché pendant cette séquence. Une crise historique aurait dû favoriser l’émergence d’une personne arrivant à être en phase avec l’émotion de la population, à trouver les mots.» Une absence de parole forte qui montre à quel point les parlementaires du groupe majoritaire «sont sur le banc de touche».

Extrait du livre de Wally Bordas et Nejma Brahim, « Tout ça pour ça, Couacs, déceptions, démissions : enquête au cœur de l'Assemblée nationale », publié aux éditions Plon.

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