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Covid-19 : ce qui se cache derrière l'inquiétante explosion de la mortalité chez les jeunes Brésiliens
Covid-19 : ce qui se cache derrière l'inquiétante explosion de la mortalité chez les jeunes Brésiliens
©TARSO SARRAF / AFP

Variant

Le Brésil est confronté à l'explosion du nombre de décès chez les jeunes. Plus de 4.000 quadragénaires sont morts en mars, contre 1823 en janvier ; et plus de 2.000 trentenaires, contre moins de 1.000 en janvier. Le mutant du Covid-19 apparu à Manaus est plus agressif que la forme traditionnelle du virus et a la particularité d’être nocif pour les jeunes.

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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Atlantico : Le Brésil, qui subit de plein fouet une dégradation forte de l'épidémie de Covid-19, fait face à un nouveau défi : l'explosion du nombre de décès chez les jeunes. Ainsi, plus de 4000 quadragénaires sont morts en mars, contre 1823 en janvier ; et plus de 2000 trentenaires, contre moins de 1000 en janvier. Même les décès chez les jeunes de 20 à 30 ans ont doublé. Comment expliquer cette situation ? Est-elle uniquement due au variant de Manaus ?

Claude-Alexandre Gustave : Tout d’abord, il convient de rappeler que les données épidémiologiques brésiliennes sont difficiles à interpréter car marquées par une sous-notification majeure des cas et décès. On note un taux d’incidence de l’ordre de 251 cas dépistés / 100 000 habitants / 7 jours, ce qui paraît inférieur au taux d’incidence français à 366 cas dépistés / 100 000 habitants / 7 jours. Cependant, le Brésil teste beaucoup moins que la France : en février, les autorités de Santé Publique brésiliennes ne rapportaient pas plus de 44 000 tests de dépistage par jour (pour 210 millions d’habitants), quand la France en réalise plus de 377 000 par jour (pour 67 millions d’habitants).

Quant aux décès par COVID, le Brésil en décompte officiellement 1445 par million d’habitants, ce qui est très proche du taux de mortalité observé en France avec 1386 décès par million d’habitants. Cependant, on note une forte intensification de la mortalité déclarée au Brésil depuis la fin février. Ces données de mortalité sont notoirement sous-estimées au Brésil où les soignants et médias alertent sur ce qui a été qualifié de véritable « génocide COVID » avec une mortalité historique, qui contraint même certaines localités comme Manaus à enterrer les victimes en position verticale faute de terrains disponibles pour les sépultures.

Source : https://ourworldindata.org/covid-deaths

Avec ces limitations en tête, on peut émettre plusieurs hypothèses sur les raisons de cette mortalité en forte hausse au Brésil, notamment dans les tranches d’âges les plus jeunes. Tout d’abord une exposition virale en forte hausse chez les jeunes actifs ! La COVID n’a jamais été une pathologie exclusive du 3ème ou 4ème âge ! Certes le gradient de risque létal est très dépendant de l’âge mais la mortalité par COVID n’est pas réservée aux plus âgés. A partir des données fournies par Santé Publique France et par l’INSEE, on peut noter qu’en cas de contamination par SARS-CoV-2, les patients âgés de 75 ans et plus ont 5 fois plus de risque de décéder que les patients âgés de 65-74 ans, ou 26 fois plus que pour les 45-64 ans, ou encore 409 fois plus que le 15-44 ans. Ainsi, les 65-74 ans ont un risque de décès par COVID, 5 fois plus élevé que pour les 45-64 ans ou 78 fois plus élevé que pour les 15-44 ans. Cela ne signifie pas que les jeunes ne peuvent pas mourir de la COVID ! Cela indique simplement qu’à contaminations égales, le nombre de décès sera d’autant plus grand que l’âge des patients sera élevé. Cependant, si les contaminations sont décuplées chez les patients plus jeunes, alors le nombre de décès observés peut être très important. On confond encore trop souvent taux de létalité et taux de mortalité. Le taux de létalité représente le nombre de morts parmi un nombre donné d’infectés. Ce taux est effectivement fortement dépendant de l’âge et croît rapidement avec lui. Le taux de mortalité représente le nombre de mort par COVID pour un nombre donné d’habitants. Ce taux dépend, certes du taux de létalité, mais également du niveau d’exposition au virus. Ainsi, même si la létalité peut être faible chez les plus jeunes, la mortalité peut être importante dans ces mêmes tranches d’âges si leur exposition au virus est décuplée. Au Brésil, l’explosion des cas, des admissions hospitalières et décès en ce début d’année 2021 semblent avoir fait suite à la période des carnavals. On peut donc émettre une première hypothèse de forte exposition virale des plus jeunes lors de ces évènements festifs de masse, conduisant mécaniquement à une forte hausse de la mortalité chez les plus jeunes par simple accumulation d’un très grand nombre de contaminations.

Une seconde hypothèse pouvant expliquer une forte hausse de la mortalité par COVID chez les plus jeunes, tient à la saturation des hôpitaux et notamment des services de réanimation. En reprenant les données fournies par Santé Publique France à propos des COVID sévères nécessitant une hospitalisation ou une admission en réanimation, on remarque que les patients âgés de 75 ans et plus représentent à eux-seuls 49% des hospitalisations. Cependant, ils ne représentent que 19% des admissions en réanimation. En effet, les soins intensifs de réanimation sont souvent bien trop « violents » pour être supportés par des patients de plus de 75 ans, pour qui la probabilité de survie en réanimation est inférieure à 20%. Ce ne sont donc pas les patients les plus âgés qui saturent les réanimations. En France, 38% des patients admis en réanimation pour COVID grave ont 65 à 74 ans, 37% ont entre 45 et 64 ans et 6% ont entre 15 et 44 ans. Plus les patients sont jeunes, plus leurs chances de survie en réanimation et grâce à la réanimation sont grandes. En cas de forte diffusion épidémique, ces patients jeunes sont donc ceux pour qui l’impact de la saturation des réanimations est le plus néfaste, avec une forte dégradation de leur chances de survie. Ce phénomène a été documenté par l’Institut Pasteur montrant que le risque de mortalité hors réanimation était plus que doublé pour les 0- 59 ans quand les réanimations sont saturées ! Or au Brésil, depuis plusieurs semaines on constate une saturation de l’ensemble des services de réanimation sur tout le territoire. Ceci pourrait donc également expliquer une forte dégradation des capacités de prise en charge des COVID sévères chez les plus jeunes, et donc expliquer une forte progression de la mortalité dans ces tranches d’âges.

Une troisième hypothèse repose sur le principe immunologique de l’ADE (Antibody Dependent Enhancement), bien décrit pour la Dengue, et qui peut être associé au phénomène d’ERS (Enhanced Respiratory Syndrome) dans le cas de la COVID. L’ERS correspond à une atteinte respiratoire aggravée via nos propres anticorps censés pourtant nous protéger. Après une première infection ou une vaccination, nous produisons notamment des anticorps spécifiques contre SARS-CoV-2. Parmi ces anticorps ont trouve des anticorps neutralisants (capables de se fixer au virus ET de bloquer sa fusion avec nos cellules), et des anticorps non-neutralisants (simplement capables de se fixer au virus mais sans bloquer sa fusion avec nos cellules). Ces derniers peuvent représenter un danger en cas de réinfection car ils se fixent au virus mais ne l’empêchent pas d’infecter nos cellules. Au contraire, ils peuvent même lui permettre d’infecter des cellules auxquelles le virus n’aurait pas naturellement accès. C’est notamment le cas des monocytes/macrophages (cellules impliquées dans la réponse inflammatoire) et qui expriment à leur surface, un récepteur capable de fixer les anticorps (le CD32). Lors de l’ADE, les anticorps non-neutralisants fixés au virus sont captés par les monocytes/macrophages via le CD32, puis sont internalisés par la cellules et servent alors de « cheval de Troie » pour le virus qui parvient à entrer dans ces cellules sans passer par ACE2. Ceci permet donc au virus d’infecter des cellules pro-inflammatoires auxquelles il n’a pas normalement accès. Ceci peut s’associer à une exacerbation des atteintes respiratoires et ainsi favoriser une COVID sévère lors d’une 2ème infection. Ce phénomène est théoriquement possible après une 1ère infection ou vaccination, en cas de faible production d’anticorps neutralisants (infection paucisymptomatique ; infection/vaccination ancienne…), ou en cas de réinfection par un variant doué d’échappement immunitaire et de résistance aux anticorps neutralisants. C’est notamment le cas des variants brésiliens P.1 (notamment porteur des mutations K417T et E484K) ou P.2 (avec la mutation E484K), ou encore des variants sud-africains B.1.351, ou californien B.1.429…

Ce qui nous amène à la 4ème hypothèse, portant sur la virulence intrinsèque des variants en circulation au Brésil. Près de 71% des cas recensés actuellement au Brésil sont associés au variant P.1 (Manaus) ou au variant britannique B.1.1.7. Pour le variant P.1, on sait qu’il est plus de 2 fois plus transmissible et associé à 1,6 fois plus de réinfections que les souches « historiques ». Bien que sa virulence n’ait pas encore été formellement caractérisée, la tragédie qui a frappé Manaus depuis décembre 2020 laisse craindre une létalité bien plus grande que celle des autres variants avec un impact majeur même chez les plus jeunes. De plus, une étude récemment publiée (pas encore revue par les pairs) et basée sur les données épidémiologiques de l’état du Parana (sud du Brésil) entre le 01/09/2020 et le 17/03/2021 , suggère que la létalité associée au variant P.1 est multipliée par 3 chez les 20-29 ans, par 1,93 chez les 30-39 ans, par 2,1 pour les 40-49 ans, et par 1,8 chez les 50-59 ans. Quant au variant B.1.1.7, on sait également qu’il est 1,5 à 1,7 fois plus transmissible et 1,6 fois plus létal que les souches « historiques », avec une circulation accrue chez les plus jeunes. On sait aussi que ces variants sont associés à des charges virales accrues, ce qui pourrait favoriser une évolution plus rapide et plus défavorable de la COVID. Tout ceci concourt donc à accroître l’impact de l’épidémie chez des patients jeunes, et pourrait donc expliquer la forte hausse de mortalité chez les 20 – 40 ans au Brésil. Enfin, il ne faut pas exclure de potentielles causes liées à une prévalence élevée de comorbidités à risques chez des patients jeunes au Brésil (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires…).

La vaccination - même si elle est très en retard au Brésil - pourrait-elle, en protégeant les personnes âgées, par conséquence donner l'impression que le virus fait plus de victimes chez les jeunes ?

La réduction de mortalité chez les plus âgés peut partiellement expliquer une chute de la moyenne d’âge observée parmi les cas de COVID hospitalisés, ou pris en charge en réanimation, ou décédés. Cependant, cela ne permet pas d’expliquer une augmentation du nombre absolu de cas graves et de décès parmi les plus jeunes !

Actuellement on observe un recul du nombre de cas graves et de décès chez les patients les plus âgés. Ceci est partiellement lié à leur vaccination, mais s’explique également par une meilleure protection de ces populations, et malheureusement aussi par ce qu’on pourrait appeler un « effet de moisson » : les plus de 75 ans ont été très durement frappés depuis le début de l’épidémie, avec un taux de mortalité massif. Ainsi, parmi cette tranche d’âge, on trouve désormais une majorité d’individus qui ont soit déjà survécu à la COVID, ou qui sont vaccinés. Mécaniquement, leur mortalité ne peut que décroître.

Indirectement, ce phénomène peut être partiellement responsable d’une hausse de mortalité chez les plus jeunes qui, pensant que les plus vulnérables seraient désormais protégés, s’exposent plus fréquemment au virus en relâchant le respect des mesures barrières et protocoles sanitaires. Ainsi, les plus jeunes s’infectent plus fréquemment, avec des variants plus transmissibles et plus létaux, ce qui conduit à une hausse de la mortalité parmi des patients plus jeunes. C’est d’ailleurs un scénario redouté en lien avec les stratégies vaccinales ciblées sur les patients les plus âgés. Lorsque ces derniers seront largement vaccinés, il existe un fort risque que la population abandonne alors les mesures barrières et mesures de lutte contre la circulation virale, pensant que les patients vulnérables sont protégées via la vaccination. Ceci provoquerait alors une explosion des contaminations dans l’ensemble de la population, avec pour conséquences i) une morbi-mortalité décuplée, ii) une neutralisation du bénéfice vaccinal sur la saturation des hôpitaux, iii) une évolution virale accélérée et une sélection de variants en échappement immunitaire. Le conseil scientifique allemand et le « Independent SAGE » britannique ont alerté depuis longtemps à ce sujet mais semblent peu entendus :

L'augmentation du nombre de cas chez les plus jeunes signifie que les femmes enceintes ont plus de chances d'être infectées. Que sait-on de ces cas ? Y-a-t-il un danger pour la vie des foetus ou des nourrissons ?

La grossesse constitue un état d’immunodépression acquise et transitoire. C’est un phénomène physiologique visant à faciliter l’implantation et l’interconnexion entre le fœtus et l’organisme maternel. Les femmes enceintes ont également une capacité respiratoire réduite en raison du volume occupé par le fœtus et le liquide amniotique. Se posent alors deux problèmes : un risque accru de COVID sévère chez les femmes enceintes, et un risque de diffusion du virus au fœtus.

Une étude parue dans le journal Nature début mars, semble indiquer que les femmes enceintes infectées par SARS-CoV-2 ont un risque accru de 62% d’admission en réanimation pour COVID sévère, et de 88% de recourir à une ventilation mécanique. Le risque d’accouchement prématuré semble également augmenté. Quant aux nouveau-nés d’une mère infectées, ils ont un risque plus élevé d’être admis en réanimation néonatale. Une autre parue dans Nature en octobre 2020, rapportait peu de cas documentés chez les nouveau-nés. Dans 45% des cas, les infections sont asymptomatiques. Les cas symptomatiques sont associés à des anomalies pulmonaires au scanner dans 64% des cas, de la fièvre (44%), des symptômes respiratoires (52%) ou gastro-intestinaux (36%), voire neurologiques (18%).

La transmission au fœtus semble environnementale dans 70% des cas (c’est-à-dire due aux proches ou personnel hospitalier après l’accouchement), et materno-fœtale dans 30% des cas seulement. Les anticorps maternels de type IgG sont détectés dans le sang de cordon et donc chez le fœtus après l’infection ou la vaccination de la maman, ce qui pourrait conférer une protection relative et temporaire du nouveau-né contre le virus.

Au-delà de la maternité, une mortalité par COVID accrue dans les tranches d’âges plus jeunes pose le problème des enfants orphelins, phénomène qui semble prendre de l’ampleur au Brésil, ou même en France avec l’exemple du lycée Delacroix à Drancy, où 20 élèves ont déjà perdu leur mère ou leur père à cause de la COVID.

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