Coûts de production : et la dernière délocalisation européenne en date s’est faite vers... les États-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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La concurrence avec les producteurs d'acier chinois poussent les producteurs européens à se montrer inventifs.
La concurrence avec les producteurs d'acier chinois poussent les producteurs européens à se montrer inventifs.
©Atlantico / Marie Slavicek

La course aux profits

L'industrie énergétique européenne est frappée de plein fouet par la crise des prix de l'énergie. Poussées par la course aux profits, les entreprises du secteur tentent de mettre en place diverses solutions. A cet égard, une compagnie autrichienne a décidé de délocaliser sa production de fer... au Texas.

Wolf  Richter

Wolf Richter

Wolf Richter a dirigé pendant une décennie un grand concessionnaire Ford et ses filiales, expérience qui lui a inspiré son roman Testosterone Pit, une fiction humoristique sur le monde des commerciaux et de leurs managers. Après 20 ans d'expérience dans la finance à des postes de direction, il a tout quitté pour faire le tour du monde. Il tient le blog Testosterone Pit.

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Le coût du travail en Autriche est élevé, tandis que le secteur de l’emploi est largement sous l’emprise des syndicats qui ont réussi à imposer de strictes règles régissant ce que les travailleurs peuvent et ne peuvent pas faire, leur donnant notamment le droit de prendre de longues périodes de vacances grâce à tout un ensemble d’instruments étatiques. Par ailleurs, l’Autriche affiche un taux de chômage de 4,7%, le plus faible de la zone euro, et l’un des moins élevés au monde. Le pays est une petite puissance industrielle, largement dépendante dans le domaine des exportations de de son partenaire commercial allemand, les deux pays étant pieds et poings liés sur le plan économique.

Malgré tout, l’Autriche n’est pas épargnée par les difficultés : certaines grosses institutions bancaires peu solides semblent encourir de gros risques face aux “perspectives de croissance” de pays en Europe de l’Est comme la Hongrie ; la faillite de l’entreprise de construction, Alpine Bau, qui employait 15 000 personnes ; la stagnation de l’économie allemande ; et maintenant la délocalisation de l’industrie de l’acier.

Les revenus de l’entreprise Voestalpine basée à Linz, spécialisée dans la production d’acier et qui emploie près de 46 000 personnes, ont diminué de 4% pour atteindre 15 milliards de dollars. Voestalpine accuse le “ralentissement général de l’économie,” et “le frein de plus en plus puissant que connaît l’économie asiatique (et notamment celle de la Chine)”. Dans ces conditions, on comprend donc pourquoi l’optimisme de l’entreprise est en berne…

Comme de nombreux géants du secteur, la compagnie doit faire face à la pression qui l’oblige à accroître ses profits alors que ses revenus déclinent. La nécessité de réduire les coûts a donc fini par s’imposer. L’une des solutions alors préconisée : délocaliser dans des pays à faibles coûts ! L’entreprise a donc annoncé, dès les premières pages de son rapport annuel, parmi les mesures attendues, qu’elle s’apprêtait à réaliser  “l’investissement étranger le plus important de toute son histoire – la construction d’une usine de transformation supplémentaire,” non pas dans un pays à faibles coûts comme la Chine ou l’Indonésie, mais au Texas.

Le contrat est désormais signé. L’usine sera construite dans la baie de Corpus Christi par l’industriel allemand Siemens et par son partenaire américain MIDREX Technologies, une entreprise acquise par le producteur d’acier japonais Kobe Steel il y a trois ans. L’usine aura recours à la technique mise au point par MIDREX afin de produire un fer HBI “de qualité, le meilleur pour la production d’acier brut”. Au moins la moitié des capacités de production de l’usine, estimées à 2 millions de mètres cube, sera envoyée en Autriche au sein des sites de production de l’entreprise à Linz et Donawitz.

L’usine de transformation emploiera 150 personnes. La différence entre le coût du travail représenté par ces 150 employés  et celui que représenterait 150 travailleurs autrichiens n’est pas suffisante pour justifier l’investissement de 715 millions de dollars – auxquels s’ajoutent les frais de transports annuels d’un million de mètres cubes de fer à destination de l’Autriche. Une autre raison doit motiver cet investissement. La voici : “l’usine aura seulement recours au gaz naturel.”

Les avantages sont donc avant tout écologiques : le gaz naturel est beaucoup plus “respectueux de l’environnement que les agents de réduction comme le coke”, affirme l’entreprise. Une telle orientation permettra à l’entreprise de réduire son “empreinte carbone” et d’achever “ la réalisation de ses ambitieux objectifs environnementaux.” Une bonne initiative de la part d’une compagnie du secteur de l’énergie. Mais tout ceci n’est que du baratin d’entreprise : on trouve également du gaz naturel en Autriche ; rien ne justifie donc ce départ au Texas.

Mais il y a bel et bien une raison à cette initiative : la survie !

Le prix du gaz naturel aux Etats-Unis représente “près du ¼ du prix européen” reconnaît l’entreprise. Ceci permettra à l’entreprise de produire du fer HBI à bas prix pour ses usines de Linz et Donawitz, assurant ainsi leur “ compétitivité sur le long terme”. Sans tenir compte de ce jargon d’entreprise du secteur énergétique, il conviendrait plutôt d’entendre la raison suivante : l’entreprise restera ainsi compétitive face aux producteurs d’acier chinois ; tel est le seul moyen de rester dans la course!

Un producteur autrichien d’acier a donc décidé de construire une usine aux États-Unis, en raison de la présence d’une abondante quantité de gaz naturel bon marché. Mais la compagnie autrichienne n’est pas la seule dans ce cas. Depuis que les prix du gaz naturel ont atteint leur niveau le plus bas au début de l’année 2012, certaines compagnies, américaines et autres, ont annoncé la mise en œuvre de plans visant à construire des infrastructures aux États-Unis, afin de bénéficier le plus largement possible de ces réserves de gaz naturel.

Cette initiative a fait son apparition dans l’enquête annuelle réalisée par l’Association des Chambres de Commerce et d’Industrie allemandes (DIHK). Interrogés au sujet de leurs projets d’installation à l’étranger, les industriels allemands expliquent le revirement de leurs priorités : les États-Unis sont la seule région du monde à s’être imposée. En 2005, seulement 20% des entreprises allemandes souhaitaient investir aux États-Unis. En 2012, ce pourcentage atteignait 26%. En 2013, elles sont près de 30%, soit le taux le plus important. Les industries allemandes ont ainsi invoqué un ensemble de raisons, notamment celle du recours au gaz naturel.

En agissant tels des ogres, les directeurs d’entreprises allemandes du secteur de l’énergie risquent portent là une lourde responsabilité pour l’avenir. Alors que le prix du gaz naturel aux États-Unis a presque doublé depuis le début du mois d’avril de l’année dernière, celui-ci demeure en-dessous du coût de production du gaz brut dans les puits de plusieurs localités. L’industrie continue de souffrir. Et le forage du gaz sec a été réduit de façon considérable. Même les hausses importantes de prix aux États-Unis feraient pâle figure comparé aux sommets qu’ont atteint les prix en Allemagne, qui sont largement déterminés par les contrats de longue durée passés avec la compagnie russe Gazprom.

Ces coûts ont bien évidemment des conséquences désormais visibles à la surface. La reprise de l’économie allemande depuis la crise financière a été rude, bien que depuis 2011, l’Allemagne affiche une insolente moue mesquine. On appelle cela “la recette du succès” allemand, un système supérieur qui permettrait à l’économie de poursuivre sa croissance, en dépit de la crise de la zone euro qui sévit. Cet optimisme perdure tandis que les stocks de marchandises ont atteint un nouveau record, mais l’économie est en train de prendre une toute autre voie.

Ce billet a initialement été publié sur le blog Testosterone Pit

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