Corruption : l'élève France peut mieux faire d'autant que Transparency International oublie un certain nombre de spécialités nationales dans sa notation<!-- --> | Atlantico.fr
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La France est le 10e pays de l’Union européenne le moins corrompu.
La France est le 10e pays de l’Union européenne le moins corrompu.
©Reuters

L'autre part d'ombre

La France est de nouveau l'un des pays européens les moins bien classés par le dernier rapport de Transparency International. Celui-ci est cependant incomplet, car il oublie une tout autre forme de corruption, moins visible et plus difficile à combattre.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Atlantico : Le tout dernier rapport de Transparency International place la France 10e pays de l’Union européenne le moins corrompu. Principalement focalisé sur l’évolution des flux financiers, ce rapport n’oublie-t-il pas de dénoncer d’autre formes de corruption politique, tout aussi importantes en France ?

Gilles Gaetner : Effectivement. Puisque lorsque l’on évoque ces flux financiers on se concentre principalement sur la grande corruption internationale entre politiques et entreprises, notamment sur les gros contrats passés sur les marchés internationaux. Il existe pourtant une forme de corruption plus directement politique qui ne connaît pas la crise en dépit de la multiplication des lois de transparence et autres codes de déontologie. Il suffit de voir que les tribunaux sont toujours autant chargés de ce type d’affaires pour s’en rendre compte d’ailleurs. On le voit à Marseille avec le cas du sénateur et président du Conseil général des Bouches du Rhône, Jean Noël Guérini, qui est mis en cause pour corruption passive, trafic d’influence et favoritisme, mais aussi dans l’Aude avec le sénateur Robert Navarro, Premier Secrétaire de la Fédération socialiste qui a eu la main lourde sur l'achat de pizzas pour les militants du parti et qui a été mis en examen pour abus de confiance. Il est d’ailleurs amusant de constater qu’à chaque fois que ces affaires émergent elles concernent le parti qui se trouve dans l’opposition (l’ensemble des cas Kucheida, Guérini et Navarro ayant éclaté avant les élections du 6 mai 2012, NDLR).

Par ailleurs, la reproduction des élites à la française ne crée-t-elle pas, de par sa consanguinité, un climat favorable à la corruption du personnel politique ?

Dire une telle chose ne serait pas des plus aimables pour nos élites qui, en principe, sont supposées être irréprochables et au-dessus de tout soupçon. On s’aperçoit cependant, et c’est assez nouveau, que la haute-fonction publique est composée de fonctionnaires qui sont souvent alpagués pour favoritisme ou trafic d’influence. Cette consanguinité m’apparaît cependant plus importante en ce qui concerne directement le personnel politique, en particulier chez les élus locaux où l’on voit parfois le père succéder au fils, où la femme prendre le poste de son mari. On a même vu dans les DOM-TOM un maire condamné à la prison ferme qui continuait de signer les papiers que lui apportait le Secrétaire Général.

Bien que l’opération soit totalement légale, le fait de voir d’anciens ministres intégrer des postes à haute responsabilités dans le privé ne provoque-t-elle pas une porosité douteuse entre milieux d’affaires et monde politique ?

Les départs d’anciens ministres pour le secteur privé constituent un procédé de carrière qui a toujours existé et qui ne pose pas, à mon avis, de problèmes déterminants en termes de porosité. S’il est vrai que dans certains cas la pratique peut poser problème, il est évident que l’on ne peut pas promouvoir l’interdiction professionnelle. Il est vrai que si un ancien ministre de la Ville se retrouve à la tête d’une grande entreprise de construction il y aura des risques accrus de corruption et de favoritisme. Ce qui était réellement préoccupant cependant était le passage depuis l’Assemblée nationale vers le Barreau, qui créait des situations évidentes de conflits d’intérêts pour d’anciens députés, mais cette passerelle législative a été supprimée depuis.

Le magazine allemand Der Spiegel avait utilisé un outil de mesure intéressant (voir ici) en questionnant des dirigeants de quatre grands pays européens (Allemagne, France, Italie et grande Bretagne) sur l’état de corruption des fonctionnaires. La France arrivait ainsi à un taux de 50 % contre 90 % pour l’Italie et seulement 17 % pour la Grande-Bretagne. Peut-on dire que nos employés d’État sont particulièrement corrompus ?

On peut dire qu’au niveau local il existe un petit niveau de corruption, sachant qu’il est difficile lorsque l’on est peu important dans la hiérarchie de monter des opérations conséquentes de corruption. Ainsi dans des petites communes de 5 000 à 10 000 habitants on pourra tomber sur un employé municipal qui acceptera de vous fournir des places de théâtre sold out, de rendre un dossier prioritaire ou encore de faciliter vos allocations en échange d’un billet d’avion pour le Maroc pendant les vacances de Noël. Je n’ai jamais constaté cependant d’affaires retentissantes qui se seraient déroulées au niveau local, à l’exception du secteur bancaire où l’on a pu constater des cas, comme ce receveur des postes de la banlieue parisienne qui avait réussi à détourner près de 100 000 euros en quelques années.  La corruption prend en général un degré important au niveau des exécutifs locaux entre des maires, des adjoints et des représentants importants d’entreprises du BTP.

Comment expliquer que si peu de résultats aient été obtenus quand on sait que la condamnation des élus a pratiquement triplé entre 1984 et 1997 ?

On sait effectivement que depuis la fin du premier mandat Mitterrand on a connu une bonne dizaine de lois de moralisation, de déontologie et d’amnistie qui ont fini par créer une mille-feuille incompréhensible : trop de lois tue la loi. On peut se demander en conséquence s’il existe une véritable volonté politique de lutter contre ce problème, en particulier quand on sait que Bercy se refuse à faire sauter le "verrou fiscal" dont il bénéficie depuis un certain temps et qui bloque toute poursuite dans ce domaine sans accord de cette autorité. Il s’agit là d’un fait étonnant puisqu’en France il y a 55 000 infractions fiscales en France chaque année et que seulement 960 personnes passent dans le même temps devant la Commission des infractions fiscales. Il s’agit d’un nombre encore plus faible pour ceux qui passent devant la Correctionnelle, et ce sont le plus souvent des maçons portugais que des grands dirigeants d’entreprise ou des hommes politiques qui sont concernés. Le cas de l’affaire Cahuzac (blanchiment de fraude fiscale), dont on parle moins, est assez évocateur dans cette même veine puisque personne ne sait si la Commission des infractions fiscales a statué sur son sort pour que l’on décide éventuellement de le poursuivre. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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