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©SEBASTIEN BOZON / AFP

Le Covid m’a tuer ?

L’analyse des résultats électoraux dans les principales démocraties occidentales montre que depuis la pandémie les électeurs privilégient la compétence à la révolte. Mais que se passe-t-il si les compétents ne le sont pas ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Aux États-Unis, en Allemagne, au Portugal ou aux Pays-Bas, les élections partielles ou nationales récentes semblent montrer une préférence pour les partis traditionnels face aux mouvements populistes. La crise sanitaire a-t-elle tendance à favoriser le choix de la stabilité plutôt que des mouvements populistes ? Qu’est ce qui pousse les électeurs à ce choix ? A quel point le phénomène est-il constatable dans les urnes ?

Christophe Boutin : Comme toute crise grave, comme toute crise générant un sentiment d’angoisse dans une population donnée, la crise sanitaire tend effectivement à conduire les membres du groupe attaqué à se rapprocher des pouvoirs en place et à être moins contestataires. On ne veut pas en effet alors surajouter au risque que représente la crise - ici donc la crise sanitaire, mais c’est valable pour bien d’autres - celui d'une crise politique qui déstabiliserait cet État qui apparaît comme un indispensable garant de cette sécurité qui, d’un coup, fait défaut. Or les votes populistes que l'on constate depuis maintenant plusieurs années tendent à placer sur le devant de la scène politique des gens qui, soit, y avaient jusque-là une place marginale, soit ne participaient même pas directement à la vie politique de leur pays. Ils n’en bénéficient donc pas.

Ce phénomène de soutien aux pouvoirs est particulièrement perceptible si l’on prend en compte le « baromètre de la confiance politique » que publient tous les ans Sciences-po et Opinionway. Sa dernière version (vague 12, février 2021) montre très clairement que, depuis décembre 2018, la confiance des Français dans les institutions progresse. Elle est certes variable, plus grande envers les institutions de proximité que sont les trois conseils, municipal, départemental et régional, mais cette remontée concerne aussi le gouvernement ou l'institution présidentielle. La crise sanitaire a bien impacté cette remontée, mais de manière très temporaire et limitée, comme le montre la comparaison entre les résultats de février et avril 2020, et, depuis cette dernière date, l’embellie se poursuit (plus 10 points depuis décembre 2018). Ajoutons que, de manière très significative, le dernier pic de confiance dans les institutions est celui qui a suivi les attentats de janvier 2015 en France.

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Les mouvements populistes restent donc dans la plupart des cas étrangers à ce mouvement naturel de vouloir croire dans les institutions, quitte à s’illusionner volontairement, pour échapper à l’angoisse, puisque ce sont souvent des mouvements nouveaux, qui ne participent pas au gouvernement et qui proposent souvent un programme de rupture d’avec le système en place. Pour autant, s’il peut y avoir un certain tassement, on a aussi l’impression d’une confusion dans les éléments présentés par l’étude que vous évoquez, mêlant élections présidentielle et législatives aux États-Unis et élections partielles de pays européens. Et si la personnalité de Donald Trump pouvait paraître avoir un côté populiste, il n'en restait pas moins le candidat d’un parti républicain qui est un acteur majeur de la vie politique américaine depuis bien longtemps, et qui ne saurait être résumé au populisme

Les populistes ont-ils perdu du terrain pendant la crise sanitaire ? Les gouvernements populistes se sont-ils montrés capables de gérer la crise sanitaire ?

Notons d’abord la différence entre les mouvements populistes d’opposition, peut-être impactés par la crise pour les raisons que j’ai données, et le populisme au pouvoir qui, au contraire à tendance à bénéficier de la crise comme tout pouvoir. Certes, certains voudraient que les pouvoirs populistes, forcément incompétents, se ridiculisent face à la crise sanitaire, entraînant la colère de leurs électeurs. C’est ainsi qu’on évoque souvent la chute de Donald Trump qui, pourtant, ne saurait être liée uniquement à la manière parfois un peu étonnante dont l’ancien président américain tentait de répondre à la question de la crise sanitaire. De la même manière, les attaques qui portent sur le gouvernement Bolsonaro au Brésil sont assez largement partisanes et demandent sans doute à être examinées de près.

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Enfin, si l’on prend le cas européen, les gouvernements « populistes » ou « illibéraux », avec notamment en première ligne la Hongrie et la Pologne, ne semblent pas avoir démérité dans la gestion de la crise sanitaire par rapport certains donneurs de leçon. Non seulement donc l’impact de la crise est modéré pour ces populistes de gouvernement, à cause du réflexe évoqué de se regrouper derrière le pouvoir légitime – on rappellera qu’ils ont été démocratiquement élus -, mais, chez eux comme ailleurs, les oppositions, bien en peine de trouver des formules miracles qui permettraient de sortir de la crise, ne sont pas particulièrement virulentes.

Les impossibilités d’organiser des rassemblements ou des manifestations ont tari, au moins momentanément, le répertoire d’action des mouvements populistes ?

N’oublions pas que le populisme est beaucoup plus un symptôme qu'une cause, du moins dans l'acceptation moderne, celle que l'on rencontre notamment au sein des démocraties européennes, à rebours d'un populiste idéologique qui reposait sur un corpus que l'on peut effectivement définir, mais qui concernait l'Amérique latine d'il y a maintenant quelques décennies. Le populisme naît essentiellement en Europe d’un blocage, de l’impossibilité des électeurs à empêcher le pouvoir de s'engager dans une direction qu’ils se refusent absolument à suivre. Pour eux, ni la majorité, bien sûr, qui fait ces choix, mais pas plus l’opposition classique, qui en ferait de proches si elle était au pouvoir et n’entend nullement « renverser la table », ne répondent à leurs craintes, à leurs angoisses.

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C'est dans ce cas que se crée véritablement une « révolte populiste », pour laquelle, effectivement, les mouvements de rue sont, au bout d'un moment, quasiment la seule modalité d'action politique possible. C’est ce que l’on a connu en France avec la crise des Gilets jaunes, où au moins à son début, quand se manifestait un populisme lié à la fois un sentiment de déclassement social mais aussi à celui d’une perte d’identité, d’une insécurité culturelle.

À partir du moment où ne restent à ces sursauts que l'action de rue pour toucher l'opinion, il est certain que les limites actuelles de telles manifestations, sous couvert de crise sanitaire – que ce soit justifié ou non est une autre question –, ont nécessairement un impact sur ces mouvements. Mais ce n'est pas le seul que l'on doive évoquer. Le populisme dénonce volontiers – à tort ou à raison – des médias mainstream dont il estime qu’ils sont liés au pouvoir et se contentent de diffuser une pensée unique, une idéologie, qui, là encore, interdit de remettre en cause les grands choix structurant nos sociétés - autorisant tout au plus une variation modérée de ces derniers. C'est pourquoi les médias et réseaux sociaux sont devenus aussi importants pour les mouvements populistes : c'est sur la toile que leurs membres prétendent trouver les informations nouvelles interdites ailleurs ; et sur la toile encore qu’ils se rencontrent, s’agrègent et décident d’actions communes.

Or le contrôle le contrôle des réseaux sociaux a très largement augmenté avec la crise sanitaire, au point que l'on voit certains d’entre eux censurer toute mise en cause de la politique suivie face à la Covid 19, n'hésitant pas à interdire temporairement ou définitivement ceux qui diffuserait de « fausses informations » sur le sujet. La notion est pourtant bien floue, certaines informations présentées au début de la crise par les pouvoirs politiques et les principaux médias comme relevant de la désinformation et/ou du « complotisme » ayant ensuite été confirmées, mais elle permet un contrôle accru, qui est d'ailleurs fait à la fois par les États, mais aussi, de plus en plus, par les Gafa eux-mêmes. Cette évolution trouvera-t-elle sa fin en même temps que la crise sanitaire ? Il est permis sinon d'en douter, à peine de se faire traiter de complotiste, au moins de s’en inquiéter au regard de l’ampleur des atteintes aux libertés qu’elle induit.

Si le choix de soutenir des partis traditionnels, qui leur semblent plus compétents, ne se traduit pas par une amélioration de la situation en sortie de crise, les populistes vont-ils se trouver, à terme, renforcés ?

Ne confondons pas ici le fait soutenir des partis qui sont au pouvoir parce qu’ils y sont -  autrement dit de faire bloc derrière le pouvoir en place parce que l'on n'a pas envie de bouleversements politiques qui fragiliseraient la société -, et celui de leur attribuer une compétence qu'ils n'ont pas forcément. Encore une fois, il faudrait disposer d’un recul que nous n’avons pas pour savoir si ce que vous appelez les « partis traditionnels » se montrés plus compétents que les partis populistes au pouvoir ailleurs en Europe pour gérer la crise sanitaire. Les deux éléments, pouvoir et compétence, sont donc deux points différents, même s’ils ont effectivement un élément commun : l’aveuglement volontaire de ceux qui veulent sortir de l’angoisse dans laquelle les plonge la crise et donc absolument croire aux capacités politiques des gouvernants et aux compétences techniques de leurs experts – les deux pouvant se cumuler comme en la personne de l’hôte de l’Élysée selon certains de ses ministres.  

Ce qui est certain en tout cas, c'est que la sortie crise va en terminer avec cette angoisse, et donc avec cette surprotection du pouvoir en place, qu’il soit, populiste ou pas. Ressurgiront alors, comme lors d’un dégel, les éléments qui avaient conduit, avant la crise sanitaire, à la crise qui fit émerger le populisme. Or certains de ces éléments pourrait bien être partiellement au moins renforcés par l'impact de la crise sanitaire. Nous avons évoqué, avec les Gilets jaunes, ce sentiment de déclassement et d’insécurité identitaire : les crises économique et sociale que certains voient se profiler à l’issue de la crise sanitaire – et peut-être même se combiner à elle - ne feront rien pour écarter cela. Les Français, qui voulaient peut-être avant tout, avant même les éléments financiers, avoir la sensation de retrouver la maîtrise de leur destin, l’auront un peu moins encore, pas plus que les Grecs quand la Troïka européenne leur imposa sa politique d’austérité.

Nous serons bien loin en fait de la question de la compétence ou pas des divers pouvoirs dans la gestion de la crise – contrairement à ce que craignent nombre de pouvoirs en place, qui tremblent au seul mot de « responsabilité ». Parce que les gens voudront tourner la page d’une période sinistre de dépression, parce qu’on trouvera toujours deux ou trois lampistes, parce que l’opposition, qui sait bien qu’elle n’aurait pas fait mieux, ne demandera pas de têtes. La crise qui viendra renouera plutôt avec cette volonté des peuples d’être souverains et, comme tels, maîtres leurs destins, de leurs alliances ou de leurs territoires. On comprend pourquoi la question de la maîtrise des moyens de communication et des manifestations que nous avons évoquée resterait alors cruciale pour des pouvoirs qui entendraient leur refuser cette possibilité.

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