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Coronavirus : Italie, Corée du Sud et contaminations non détectées, la France se prépare-t-elle assez à une potentielle pandémie ?
©MIGUEL MEDINA / AFP

Lutte contre le Covid-19

L'épidémie de coronavirus gagne en ampleur à travers le monde. Des foyers sont apparus et se sont développés dans différents pays comme en Corée du Sud, en Iran et en Italie. La France se prépare-t-elle pour lutter efficacement contre une épidémie sur notre territoire ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Le nombre de patients contaminés par le coronavirus augmente en Corée du Sud, au Japon, en Iran, mais aussi en Italie où un malade est décédé sans avoir été en Chine ni en contact connu avec un autre malade. Dans le Parisien, le ministre de la Santé Olivier Véran dit que la France « se prépare » à une épidémie. Il précise que l'accent est mis sur la multiplication du nombre de laboratoires équipés en tests de diagnostic pour atteindre une capacité de plusieurs milliers d'analyses par jour, et l'achat de masques.

Ces mesures mises en œuvre par le ministère de la Santé seraient-elles suffisantes en cas d'épidémie sur notre territoire, ou de pandémie ? D'autres mesures sont-elles prévues ?

Stéphane Gayet : Le nouveau ministre chargé de la santé se trouve dès sa nomination confronté à la menace épidémique virale. Ce baptême du feu lui donne l’occasion de montrer qui il est et ce qu’il sait faire. Un guide de 37 pages a été élaboré en un temps record et peut être consulté ainsi que téléchargé sur le site du ministère. Il s’intitule « Préparation au risque épidémique CoVid-19 dans les établissements de santé, en médecine de ville et dans les établissements médico-sociaux. Guide méthodologique ».

En communication, le choix des mots est déterminant. Le fait d’annoncer que la France se prépare à une épidémie ne veut pas dire que l’épidémie arrive, mais qu’elle pourrait éventuellement arriver. En tant que médecin clinicien hospitalier, il a acquis l’expérience de ces nuances sémantiques et c’est heureux. Car ce dossier du CoVid-19 est au moins autant affaire de communication qu’affaire de maîtrise technique sanitaire.

Les Chinois ont tout raté avec cette épidémie : la gestion technique sur le plan sanitaire, la communication interne et aussi la communication externe. Cette mauvaise gestion chinoise a largement contribué à une perception exagérée du risque de pandémie. On en est à compter les morts un à un, alors que dans les épidémies meurtrières, on les compte par dizaines.

Mais cette nouvelle souche de coronavirus fait peur. Elle fait peur en grande partie parce qu’elle vient de Chine. La Chine inquiète le reste du monde, car c’est un pays totalitaire qui est devenu extrêmement puissant. On sait pertinemment que les données chiffrées qu’elle communique ne sont pas justes, particulièrement sur le plan sanitaire. Cela contribue à ce phénomène de panique auquel on assiste. Et puis on a tendance à se dire : « Si un grand pays comme la Chine ne parvient pas à juguler cette épidémie, alors ce doit être réellement grave. » C’est une erreur d’interprétation.

Pour répondre à la question posée, ce guide de 37 pages est bien conçu et clair. Tout y est pour faire face à une éventuelle épidémie sur le territoire français. Le plan national est déployé et tous les acteurs sont identifiés et informés. Il y a tout à fait de quoi être rassuré. Il ne devrait pas y avoir d’épidémie de CoVid-19 en France.

En Italie, une dizaine de villes sont désormais à l'isolement. Est-ce une mesure utile ou efficace contre une épidémie ? La France a-t-elle les moyens de la mettre en place, le cas échéant ?

Mettre une ville en « isolement » est une mesure d’un autre temps. Elle ne correspond pas aux méthodes ni aux techniques de prévention du XXIe siècle. Elle part d’une surestimation du risque de contagiosité et de la gravité de la maladie. Elle est non efficiente et elle contribue à exagérer le phénomène de panique collective. De plus, elle est lourde de conséquences sur le plan économique. En l’occurrence, cette mesure n’est pas appropriée, elle ne se justifie pas.

Mettre une ville en « isolement » n’est pas une vraie mesure de santé publique. C’est une décision politique.

Jadis, au cours des grandes épidémies meurtrières (variole, peste, choléra, typhus…), alors qu’on était totalement démuni sur le plan des possibilités diagnostiques et préventives, ces mesures d’isolement (« quarantaine ») avaient du sens et cela d’autant plus que les moyens de communication étaient lents et limités. Aujourd’hui, ce n’est plus réaliste.

La France aurait-elle les moyens de mettre en place l’isolement d’une ville ? Essayons d’imaginer un instant que l’on ait le projet de mettre la ville de Toulouse en isolement. C’est impensable et pourtant le cas de Toulouse est nettement plus facile que celui de villes côtières ou frontalières. L’Italie s’est fourvoyée, ses dirigeants ont cédé à la panique. Cela va leur coûter cher sur le plan économique.

Cette crise sanitaire intervient alors que le système hospitalier français est sous tension. En cas d'épidémie majeure en France, le problème ne pourrait-il pas venir de l'engorgement des urgences (par des malades qui le seraient vraiment, ou des personnes paniquées par la psychose ambiante) ? Au-delà des mesures annoncées par Olivier Véran, comment le monde hospitalier se prépare-t-il à une telle éventualité ?

On peut dire qu’en France, on est serein. Non pas que l’on ait le sentiment d’être plus compétents que les autres pays pour lesquels le risque épidémique existe, mais nous avons une organisation sanitaire opérationnelle concernant les risques de survenue d’une épidémie. Depuis deux décennies, nous avons mis en place un maillage multiniveaux d’épidémiologie, de prévention et d’alerte face aux risques sanitaires de tous types. Car nous sommes un pays carrefour de l’Europe et même du monde, avec nos huit frontières, notre tradition d’accueil et notre flux record de touristes chaque année.

Avec l’épidémie annoncée, mais non survenue, de grippe A-H1N1 en 2009-2010, nous nous sommes rôdés à la préparation face à un risque épidémique viral respiratoire. Nous étions à l’époque tombés dans le piège de la sur-sécurité, dispendieuse et dénoncée en 2010 par la Cour des comptes. Mais il faut le reconnaître, la logistique était au point, très au point même. C’est pourquoi, sachant que ce virus CoVid-19 est plutôt moins contagieux que le virus grippal, on a de quoi être serein. Les services d’accueil et d’urgences sont eux aussi sereins. Ils sont prêts.

Globalement, par rapport à l'Italie, et a fortiori par rapport à la Chine, notre système de santé est-il mieux préparé pour faire face à une épidémie ou pandémie ?

En France, non dépensons énormément pour la santé, du moins la santé curative. C’est culturel, depuis la création de la Sécurité sociale en 1945, et même déjà depuis la loi sur les accidents du travail de 1898.

Il n’est aucunement besoin d’être chauvin pour admettre que notre système de santé est mieux préparé que celui de bien d’autres pays européens, préparé à faire face à une éventuelle épidémie d’infection respiratoire à CoVid-19.
Mais une fois de plus, cela va nous coûter cher.

Nous avons tendance en France à surestimer les risques, par crainte de ne pas en faire assez. L’exemple des masques que l’on porte face au danger de contamination est frappant. Dans son avis actualisé du 24 avril 2015, le Haut conseil de santé publique de France (HCSP) recommande, afin de se protéger du coronavirus MERS-CoV, de porter, non pas un masque de soins, mais un dispositif à usage unique appelé « appareil de protection respiratoire ». Or, le SRAS-CoV, le MERS-CoV et le CoVid-19 sont tous les trois des coronavirus, ce sont des virus respiratoires appartenant à la même famille et possédant en principe les mêmes propriétés physiques et chimiques. La Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) a, pour sa part, elle aussi classé les coronavirus respiratoires parmi les rares virus (avec celui de la rougeole et celui de la varicelle-zona) pouvant être véhiculés et donc transmis par de très fines particules aéroportées (particules « A ») et qui ont un diamètre inférieur à cinq micromètres (microns). Or, cette affirmation épidémiologique est assez lourde de conséquences, car elle signifie en effet plus ou moins que le fait de porter un « masque de soins » ne protège pas convenablement vis-à-vis du danger de contamination, face à une personne malade du CoVid-19. Mais c’est un aspect préventif sur lequel on n’insiste pas, étant donné que les appareils de protection respiratoire (FFP1 et FFP2) ont un coût qui est nettement supérieur à celui des « simples » masques de soins. Entre parenthèses, il paraît plus que probable que les masques que portent les Chinois dans les lieux publics aient un pouvoir filtrant beaucoup plus faible que celui requis avec le CoVid-19.

Cet exemple illustre à quel point la médecine française a un gros potentiel cognitif, scientifique et technologique, mais qui contraste parfois -voire souvent- avec nos possibilités de financement des soins au quotidien, eu égard au gros volume de la demande et à la fréquence des soins dits non pertinents.

Cela dit, il faut espérer que la gestion du risque de CoVid-19 en France soit non seulement efficace, mais aussi efficiente.

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