Constitutionnalité de l’obligation vaccinale contre la Covid 19 : la question à laquelle personne ne veut répondre<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil constitutionnel a omis de répondre à la question de la conformité à la Constitution de l’obligation vaccinale.
Le Conseil constitutionnel a omis de répondre à la question de la conformité à la Constitution de l’obligation vaccinale.
©Yannick Mondelo / AFP

Illégal

Il ne fait pas de doute que rendre obligatoire la vaccination contre la Covid 19 est une mesure illicite et contraire à la Constitution. Les termes de l’analyse sont assez simples.

François Winston

François Winston

François Winston est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire spécialisé dans les questions juridiques.

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Il ne fait pas de doute que rendre obligatoire la vaccination contre la Covid 19 est une mesure illicite et contraire à la Constitution. Les termes de l’analyse sont assez simples. Les vaccins actuellement disponibles sont en phase d’essai clinique et pour de longs mois encore, le vaccin Pfizer jusqu’à décembre 2022, le vaccin Moderna jusqu’en janvier 2023. La participation à un essai clinique ne peut se faire sans s’être assuré du consentement libre et éclairé des participants. Le droit européen, en particulier le règlement européen 536/2014, directement applicable en France, est sans ambiguïté sur ce point. L’origine de cette exigence est à retracer dans le « code de Nuremberg », un ensemble de critères dégagés par le Tribunal de Nuremberg lorsqu’il a jugé des expérimentations sur des humains pratiquées par les médecins du IIIè Reich. Enfin, cette nécessité du consentement libre et éclairé peut être rattachée à divers principes de niveau constitutionnel, notamment la protection de la santé, le droit à la vie et à l’intégrité physique, ou le principe de dignité de la personne humaine. Le fait qu’à l’instigation des gouvernements, les vaccins contre la Covid 19 soient, de façon exceptionnelle et atypique, utilisés à très grande échelle, ne change rien à ce fait que nous en sommes au stade des essais cliniques au sens du règlement 536/2014. L’obligation vaccinale pour les soignants instituée par la loi du 5 août 2021 est donc à la fois contraire à un règlement européen et contraire à la Constitution. Le Pr. Philippe Ségur, dans un article publié récemment dans la Revue des Droits et Libertés Fondamentaux, aboutit en substance aux mêmes conclusions.

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L’élaboration et le vote de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire aurait dû être l’occasion pour le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel de s’exprimer sur cette question d’une particulière importance. Or, contrairement à l’idée répandue selon laquelle l’un et l’autre auraient validé l’obligation vaccinale, ni l’un ni l’autre n’ont en fait abordé cette question.

Le Conseil d’Etat - c’est l’une de ses fonctions - a rendu un avis sur le projet de loi préparé par le gouvernement avant son passage au Parlement. Dans ce document, il consacre un assez long développement à démontrer qu’une obligation vaccinale justifiée par les besoins de protection de la santé publique ne méconnaît ni la Constitution ni les traités. Mais ce faisant, il ne répond pas à la question posée : il raisonne en effet entièrement comme si les vaccins contre la Covid 19 étaient des vaccins connus et éprouvés depuis longtemps, comme par exemple la vaccination anti tétanique ou le BCG. La question à laquelle il lui fallait répondre n’était pas : peut-on rendre obligatoire une vaccination ? Elle était : est-il juridiquement possible d’imposer à une partie de la population de participer à un essai clinique ? Et la réponse à cette question-là est évidemment négative, pour les raisons rappelées ci-dessus. Faute d’avoir procédé à une correcte qualification juridique des faits, le Conseil d’Etat a ainsi examiné une question qui n’était pas posée par le projet soumis à son avis, et a omis d’examiner celle qui lui était réellement posée. En bref, le Conseil d’Etat a fait un hors sujet. Tout au plus peut-on être reconnaissant au Conseil d’Etat d’avoir rappelé dans son avis que « l’application du « passe sanitaire » à chacune des activités pour lesquelles il est envisagé de l’appliquer doit être justifiée par l’intérêt spécifique de la mesure pour limiter la propagation de l’épidémie […] et non par un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner », une recommandation que les autorités ont toutefois manifestement passée par pertes et profits.

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Dans le cas du Conseil constitutionnel, les choses sont encore plus simples : la question de la conformité à la Constitution de l’obligation vaccinale lui a bien été posée dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois votées, mais il a simplement omis d’y répondre. Bizarrement, cette question ne lui a pas été posée par les députés et sénateurs qui avaient formulé un recours constitutionnel. C’est le Premier ministre lui-même qui a demandé au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de plusieurs articles de la loi, dont l’article 12 relatif à l’obligation vaccinale, même si c’était « sans soulever aucun grief à leur encontre », comme le souligne le Conseil. Pour autant, la longue décision n°2021-824 DC rendue le 5 août dernier par le Conseil constitutionnel ne comporte aucune analyse de l’article 12. Il n’est mentionné cursivement qu’une seule fois, lorsque dans son examen de l’article 14 contesté par des sénateurs, le Conseil relève au passage que ceux-ci ne contestent pas l’obligation vaccinale. Sur cette question précise, le Conseil constitutionnel a rendu une copie blanche.

Que penser de ces constats surprenants ? Deux interprétations sont possibles.

L’une est bienveillante : pour le Conseil d’Etat, on peut imaginer qu’il n’était pas informé de ce que les vaccins contre la Covid-19 sont durablement en phase d’essai clinique ; pour le Conseil constitutionnel, on peut considérer que s’il a négligé d’examiner la question de l’obligation vaccinale, c’est parce que les parlementaires requérants ne la contestaient pas et que le Gouvernement n’avait soulevé aucune question précise sur ce point. En somme, face à la nécessité de répondre à nombre d’autres griefs figurant de façon explicite dans les recours des parlementaires, le Conseil constitutionnel aurait, comme dans beaucoup de ses décisions, fait le choix méthodologique de se contenter de répondre aux questions posées, sans soulever de sa propre initiative d’autres questions de constitutionnalité.

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L’autre interprétation est inquiétante : on peut alternativement craindre que le Conseil d’Etat ait eu conscience du caractère expérimental des vaccins contre la Covid-19 mais ait préféré raisonner comme s’ils ne l’étaient pas, et que le Conseil constitutionnel ait sciemment botté en touche, l’un et l’autre préférant ne pas traiter une question redoutable qui aurait souligné le statut de participants à un essai clinique des millions de Français qui se sont fait vacciner en toute confiance. Ou encore, peut-être l’idée, martelée par le Gouvernement, que la seule option de lutte contre le virus serait une vaccination généralisée, a-t-elle été internalisée par les deux juridictions.

Dans le premier cas, ce serait inquiétant pour la qualité de nos institutions. Dans le second cas, ce serait préoccupant sur la capacité du Conseil d’Etat comme du Conseil Constitutionnel à assumer l’indépendance d’analyse et de jugement indispensable à l’exercice de leur rôle dans l’équilibre des pouvoirs. Quelles que soient les causes, il en résulte un angle mort : la question hautement sensible de la constitutionnalité et de la conformité au règlement européen de l’obligation de participer à l’essai clinique des vaccins développés contre la Covid-19 a été éludée par les institutions qui auraient dû s’en saisir.

Face à cette impasse, quelle peut être la démarche pour enfin obtenir une réponse ? Deux voies sont possibles à brève échéance.

La première et peut-être la plus simple est, à l’occasion d’un recours contre une décision d’un employeur, public ou privé, par exemple un hôpital ou un EHPAD, prise à l’encontre d’un employé qui refuse de se faire vacciner, d’invoquer l’incompatibilité de la loi avec le règlement 536/2014. Le juge, administratif ou judiciaire, serait alors amené à constater la contradiction, et à rendre une décision conduisant à écarter l’application de l’obligation vaccinale, puisque le règlement européen l’emporte sur la loi nationale. Au surplus, le constat de plus en plus fréquent que les vaccinés peuvent être tout autant porteurs du virus que les non vaccinés, faisant du test et non du vaccin le moyen le plus sûr de contrôle de la contagion, pourrait aider le juge à s’affranchir de l’idéologie du tout vaccinal.

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La seconde voie, qui peut s’ajouter à la première, est celle de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Pour mettre en œuvre cette procédure qui permet de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité à la Constitution d’une loi déjà promulguée, il suffirait, dans le cadre du recours évoqué comme première piste, d’invoquer également l’inconstitutionnalité de l’article 12 de la loi du 5 août 2021 pour les motifs indiqués au début de cet article. Le fait que le Conseil constitutionnel soit passé à côté du sujet dans sa récente décision ne réduit en rien les chances de succès d’une telle initiative. Après tout, dans sa décision Le Conseil constitutionnel indique qu’il « n’a soulevé d'office aucune question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision » ; en somme, presque une invitation à le saisir d’une QPC…

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