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Congrès des maires de France : ce que le profil de nos élus nous dit de... l’illusion de la démocratie participative
©LUDOVIC MARIN / AFP

Illusion ?

Ce mardi s'ouvrira le Congrès des Maires de France. L'occasion de regarder de plus prêt le profil sociologique des maires et de s'interroger sur ce que ce profil dit de l'engagement politique local.

Christian Le Bart

Christian Le Bart

Christian Le Bart est professeur de science politique à l’IEP de Rennes, membre du CRAPE-CNRS, et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne. Il a travaillé sur des objets de recherche divers comme les maires, les étudiants politiques, ou la communication politique. Il a par ailleurs co-écrit Les fans des Beatles : sociologie d'une passion (Presses Universitaires de Rennes).

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Pascal Leprêtre

Pascal Leprêtre

Pascal Leprête est juriste, auteur de "collectivités territoriales, tout ce qu’il faut savoir et comprendre" éditions Gualino 2018, sécrétaire général de  l’Association des Directeurs Territoriaux de France et élu municipal. 

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Atlantico : Y a-t-il un profil type en termes de sociologie des maires aujourd'hui ? Comment le décririez-vous ?

Pascal Leprêtre : La France a la particularité de disposer de 35 000 communes. Sur les 35000 maires qui les dirigent, 30000 d’entre eux sont élus d’une commune de moins de 2000 habitants et 25 000 d’une commune de moins de 1000 habitants.  De cette dichotomie territoriale résulte deux grandes catégories de profils de maires : celle des maires des petites communes rurales et celle des maires des communes urbaines ou périurbaines. Dans les petites communes, les maires sont souvent plus âgés que dans les communes plus importantes, ce qui est la démonstration de la difficulté à renouveler les élus dans ces territoires. Ces maires assurent d'ailleurs souvent plusieurs mandats consécutifs. Ce vieillissement croissant des maires, cumulé aux démissions et aux souhaits souvent exprimés de ne pas se représenter aux prochaines élections municipales constituent un véritable problème pour la démocratie locale.

En termes de catégories socio-professionnelles, on retrouve dans ces petites communes beaucoup de maires issus du secteur agricole. Dans les communes plus importantes correspondant à des secteurs urbains ou périurbains, les maires sont souvent un peu plus jeunes et leur renouvellement y est plus aisé. On retrouve dans ces communes des maires issus de professions plus diverses: cadres du privé, fonctionnaires, professions libérales... Mais d’une façon générale l’âge des maires français, quelle que soit la strate démographique concernée, demeure assez élevé. Selon les chiffres de l'AMF l'âge moyen des maires toutes communes confondues est de 62 ans. Enfin, dernier élément, la fonction demeure très masculin (84%).

Christian Le Bart : Les maires ont un profil très masculin. Il n'y a que 16% de maires femmes. Quand on travaille sur les statistiques, on remarque aussi que les maires ruraux sont une majorité, et qu'il y a encore parmi eux beaucoup d'agriculteurs et beaucoup de représentants des classes moyennes. On a beaucoup d'indépendants également, et un grand nombre de retraités, en particulier en milieu rural, ce qui est le résultat d'une contrainte de temps et d'argent (le rôle est peu rémunérateur). Il y a quand même un rajeunissement depuis quelques années, en particulier à l'échelle communale. La professionnalisation, dans un contexte péri-urbain, permet de faire émerger des maires plus jeunes, plus diplômés, souvent cadres. La figure du notable tient donc toujours mais elle est en train de se transformer. 

Comment expliquez-vous ces caractéristiques ?

Pascal Leprêtre : Les lois de décentralisation qui se sont succédées depuis les lois Defferre de 1982 ont donné de plus en plus de compétences aux communes. La commune est aujourd’hui la seule collectivité territoriale à disposer de la clause générale de compétence qui lui permet d’intervenir dans tout domaine d’intérêt local au-delà de ses compétences strictement obligatoires. L'exercice de la fonction de maire exige une grande technicité mais aussi beaucoup de disponibilité. Ceci explique sans doute la forte proportion de retraités et de cadres chez les maires. S’agissant de la parité homme/femme, si la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, a permis un équilibre parfait au sein des conseils municipaux, les femmes demeurent peu nombreuses à exercer la fonction de maire (16%).

Enfin, le statut actuel de l'élu municipal ne favorise pas les actifs et les jeunes à vouloir exercer cette fonction, le mandat étant difficilement conciliable avec une activité professionnelle à plein temps. Il demeure également peu attractif du fait de la faiblesse des indemnités. Seuls les maires des communes de plus de 10000 habitants, soit seulement 900 maires, touchent plus de de 2 128 euros brut par mois.

Par quel déterminant l'engagement politique au niveau local est-il selon vous biaisé ?

Pascal Leprêtre : Le professionnalisme exigé par le mandat de maire ne favorise pas son exercice par tout citoyen. Même s’il existe une fonction publique territoriale très compétente pour mettre en œuvre l’action municipale, la responsabilité de maire exige des connaissances et une technicité sur les différents domaines d’intervention des communes. Ceux-ci sont très divers allant de l’action sociale à l’urbanisme en passant par le logement ou les affaires scolaires et la petite enfance. La fonction exige aussi beaucoup de disponibilité et donc de sacrifices personnels la rendant difficilement conciliable avec l’exercice d’une activité professionnelle et parfois avec la vie personnelle. Un vrai statut de l’élu local donnant de nouveaux droits pour les maires notamment en matière de formation et de régime indemnitaire est indispensable si on veut dynamiser l’engagement politique au niveau local. Le projet de loi Engagement et Proximité qui est discuté cette semaine à l’Assemblée Nationale devrait revaloriser la fonction de maire et renforcer son statut, espérons que cette évolution législative à venir sera suffisante pour permette de changer les choses.

Christian Le Bart : Ces biais sont liés à certaines exigences : pour être élu local, il faut être connu, il faut avoir une réputation de respectabilité, il faut être attaché à la commune (ancienneté de résidence éventuellement). Tout cela n'est pas distribué aléatoirement dans la société. Il y a des professions plus mobiles que d'autres par exemple. Certaines professions, comme les agriculteurs, ont un capital d'autochtonie : ils sont connus localement, et vont être plus engagés, par exemple dans des associations, etc. Tout le monde n'est pas également attaché à la commune, inscrit dans la vie de la commune et visible dans la commune. Pour devenir maire, il faut du temps, de la disponibilité, un certain niveau de compétences, un peu d'expérience.

Est-ce que ce profil-type ne remet pas en question l'idéal de la démocratie participative au niveau local ? Ceux qui s'engageraient dans un modèle plus participatif serait-ils représentatifs des intérêts de tous ?

Pascal Leprêtre : La décentralisation avait pour but de rapprocher le pouvoir local du citoyen. Ce lien existe au moment des élections avec une forte mobilisation des électeurs. Durant les six années de mandat qui s’en suivent, l’exercice du pouvoir municipal se fait souvent essentiellement autour de la personne du maire et de sa garde rapprochée de quelques adjoints.  Malheureusement les conseils municipaux, sont généralement confinés dans un rôle de chambres d’enregistrement. Or, il faut rappeler que ces assemblées sont paritaires et très diversifiées dans leurs compositions (âges, catégories socioprofessionnelles).

Par ailleurs, le mode de scrutin dans les communes de plus de 1000 habitants permet une représentation des oppositions. Il  résulte de ces différentes caractéristiques, une bonne représentativité des conseils municipaux. Des maires qui redonneraient à leurs conseils municipaux le rôle qui devraient être le leur, à savoir un lieu de débat et d’initiative et qui décideraient de façon plus collégiale, seraient plus représentatifs des intérêts de leur population.

Par ailleurs, les outils de démocratie participative que sont les conseils de quartiers ou les commissions extra-municipales sont autant d’outils intéressants pour asseoir la légitimité de certains projets ou actions, à condition de s’assurer qu’ils ne favorisent pas telle ou telle catégorie de population et des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général qui doit gouverner toute action municipale.

Christian Le Bart : On reproche beaucoup à la classe politique nationale, centrale, parisienne, d'être très sélective socialement, avec une représentation excessive d'hommes sur-diplômés, d'origine sociale favorisée, avec des parcours très homogènes. Mais le raisonnement ne tient pas forcément au niveau local. Il y a même des phénomènes de renversement : les cadres supérieurs sont très pris par leur travail, et très mobiles géographiquement, donc ils ont un capital d'autochtonie plus faible que les autres catégories. Le pouvoir municipal n'appartient donc pas mécaniquement aux plus riches et aux plus diplômés. 

Les dispositifs participatifs qui existent déjà peuvent nous éclairer. Le plus significatif, c'est le conseil de quartier dans les villes de plus de 80 000 habitants. C'est là où la question de la démocratie participative se pose le plus frontalement. Le bilan est contrasté mais globalement, cela marche à peu près. On a pu élargir la base de ceux qui s'engagent, sans bouleverser néanmoins complètement cette sociologie de visibilité dont nous avons un exemple avec les maires. Ce sont surtout des gens qui sont inscrits dans leur quartier qui participent. Encore une fois, l'autochtonie a un rôle prépondérant : le fait d'être connu est lié à l'ancienneté et à l'ancrage dans une commune ou un quartier. Cela peut conduire des gens des classes populaires et des classes moyennes à investir le conseil des quartiers davantage que d'autres catégories sociales. 

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