Congé parental pour les pères : les résistances de la société française restent plus fortes que les incitations, même renforcées<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement projette de modifier les congés parentaux.
Le gouvernement projette de modifier les congés parentaux.
©Reuters

Papas poules

Selon l'Insee, un père sur neuf souhaite prendre un congé parental d'un mois. Salaire, carrière, pression sociale : autant de facteurs qui dissuadent les pères à prendre des congés pour s'occuper de leurs enfants.

Gilles Séraphin

Gilles Séraphin

Gilles Séraphin est un sociologue travaillant sur les questions de politiques familiales. Il est notamment l'auteur de "Comprendre la politique familiale" aux éditions Dunod (2013).

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Atlantico : Alors que le gouvernement projette de modifier les congés parentaux (passant de 3 ans à 2 ans et demi, les six derniers mois pouvant être pris que par l'autre parent), les derniers chiffres de l'Insee montrent qu'un père sur neuf seulement utilise son congé parental. Pour quelles raisons les pères ne demandent pas le congé parental d'un mois auquel ils ont droit actuellement ?

Gilles Séraphin : En fait, il faut distinguer deux types de congés : le congé de paternité de 11 jours, et le congé parental d’éducation de un an, renouvelable deux fois, à faire éventuellement valoir à la fin du congé de maternité de la mère.

Le premier est de plus en plus pris. Une indemnité proportionnelle au salaire (mais plafonnée) est versée. Le second est beaucoup plus rarement demandé. Dans ce cadre, le père, comme la mère, peut, sous certaines conditions, notamment le nombre d’enfants, bénéficier du Complément de libre choix d'activité (CLCA), forfaitaire et non pas proportionnelle au salaire.

Les raisons pour lesquelles les pères demandent très peu ce congé sont multiples :

  • Des raisons économiques tout d’abord, puisque souvent le choix est fait dans le couple que le bénéficiaire de ce congé est celui qui bénéficie du plus bas revenu ; or, il s’agit souvent de la mère ; dans tous les cas, le montant du Complément libre choix d'activité (CLCA) est peu élevé, légèrement supérieur à 572 € mensuels.
  • Des raisons sociales et culturelles ensuite : il est encore souvent considéré qu’il est préférable que ce soit la mère qui assure le soin du jeune enfant, à plus forte raison quand il est très jeune. En outre, un père qui interrompt pendant une ou quelques années son activité professionnelle pour s’occuper de ses enfants est encore trop souvent mal considéré par l’employeur, voire par ses collègues de travail. C’est sûrement aussi la raison pour laquelle les pères prennent peu de temps partiel, même si c’est un droit, et même s’ils peuvent bénéficier du CLCA (proportionnelle au temps partiel) dans ce cadre.

La société exerce-t-elle une pression forte sur les pères? Dans quelle mesure est-ce plus compliqué d'assumer un congé parental pour un homme que pour une femme ?

Il s’agit encore de l’image du rôle des mères et des pères dans la société. Il est aujourd’hui, en France, tout à fait accepté qu’une femme concilie vie familiale et vie professionnelle, c’est-à-dire qu’une mère exerce un emploi. Mais, parallèlement, il est tout aussi accepté, voire considéré comme normal, qu’une mère prenne un temps partiel, voire un congé lors de la naissance d’un enfant.

En revanche, ça se complique du côté des hommes. Un père se considère déjà, assez régulièrement, comme celui qui assure la subsistance du foyer. Son rôle serait donc plus d’apporter de quoi vivre, en assurant une vie -voire une carrière- professionnelle, en continu. Certes, les attitudes évoluent fortement, et les pères désirent de plus en plus s’investir, eux aussi, dans leur rôle parental. Toutefois, du côté de l’employeur, un père qui demande un temps partiel ou le bénéfice d’un congé parental sera, assez souvent, vite considéré comme un salarié qui ne s’investit pas, ou pas suffisamment, dans la vie de l’entreprise.

Le gouvernement souhaite imposer dans l’année de congé parental, accordée pour le premier enfant, un partage : six mois pour chacun des parents. Est-ce une bonne solution d'inciter les pères à prendre des congés ? Pourquoi ?

Oui, toute mesure qui incite les pères à mieux s’investir dans la vie familiale est bonne ! Bonne pour la vie familiale et l’éducation des enfants tout d’abord ; bonne pour assurer une meilleure égalité des chances entre hommes et femmes dans la vie professionnelle ensuite. Ce sera seulement le jour où un employeur aura autant de « risques » (congés parentaux, congés enfant malade…) d’embaucher un homme qu’une femme que cette égalité sera assurée, avec une embauche qui se fonde sur la compétence uniquement.

Toutefois, je ne crois pas que les 6 mois réservés soient la meilleure solution.

En effet, les pertes financières pour l’ensemble du couple risquent d’être plus élevées que lorsque le congé est pris par la mère (puisque les hommes ont en moyenne des salaires plus élevés). Ainsi, ce congé de 6 mois ne serait pas pris. Or, dans ce contexte, que faire de l’enfant, vu que nous vivons en France un déficit chronique de places d’accueil et que l’école maternelle est un droit qu’à partir de 3 ans ? Certes, le gouvernement a annoncé la création de 275 000 places d’accueil dans les 5 années à venir. Mais la création est progressive alors que les besoins sont immédiats et risquent fortement d’augmenter au vu de ce raccourcissement du congé à 2,5 ans.

Quelles sont les mesures qui pourraient donner envie aux pères de s'arrêter de travailler pour s'occuper de leurs enfants en bas âge ?

Comme il l’a souvent été suggéré, une meilleure solution aurait été de créer parallèlement au congé parental d’éducation de trois années, un congé d’une année, à partager pourquoi pas entre le père et la mère, rémunéré de façon proportionnelle au salaire.

On constate que le congé de paternité, accompagné d’une indemnité plus élevée puisque proportionnelle au salaire, est de plus en plus pris. Cela démontre que les pères d’aujourd’hui semblent vouloir mieux s’investir dans la vie familiale. Accompagnons ce mouvement par des mesures incitatives, peu pénalisantes, accessibles à toutes les familles, sans exception. Pour cela, il faudrait ne pas rogner sur des droits existant mais créer des dispositifs plus incitatifs pour accompagner voire inciter des changements de comportement.

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