Complètement dans le gaz : après la dépendance européenne à la Russie, celle au Qatar ou à l’Algérie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Algérie veut doubler ses exportations de gaz, après une année 2022 record.
L'Algérie veut doubler ses exportations de gaz, après une année 2022 record.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Dépendance au gaz

Avec le conflit en Ukraine et les conséquences que cela engendre au niveau de l'approvisionnement en gaz, l'Europe cherche à nouer des accords avec le Qatar et l'Algérie.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Face à nos besoins de gaz, les Européens cherchent à nouer des accords avec le Qatar. Dans quelle mesure envisageons-nous d'augmenter nos exportations Qataris ?

Jean-Pierre Favennec : La Russie fournissait jusqu’en 2020 40 % de la consommation Européenne de gaz, soit 200 milliards de mètres cubes importés pour 500 milliards consommés.

L’arrêt progressif des exportations décidée par la Russie oblige l’Europe à trouver des solutions de rechange. Il faut tout d’abord noter que la production européenne de gaz naturel est très faible et a tendance à diminuer. Outre la Russie, la Norvège et l’Algérie sont de longues dates des fournisseurs importants de gaz naturel pour l’Europe. Plus récemment l’Europe importe également du gaz naturel du Nigeria, du Qatar, des Etats Unis.

Remplacer 200 milliards de mètres cubes de gaz (les importations russes désormais arrêtées) par d’autres sources de gaz sur le marché international est impossible .Les pays Européens sont amenés à se retourner vers les fournisseurs traditionnels – autres que la Russie – pour leur demander d’accroître leurs exportations.

La Norvège et l’Algérie, fournisseurs traditionnels, ne peuvent augmenter que de manière limitée leurs exportations. Il faut donc de tourner vers d’autres fournisseurs

Les fournitures supplémentaires, qui ne pourront pas dans l’immédiat, compenser les exportations russes manquantes, se feront pour l’essentiel par GNL (Gaz Naturel Liquéfié) en provenance en priorité des Etats Unis, du Qatar, voire de nouveaux producteurs africains (en particulier Sénégal et Mauritanie)

Le Qatar fournit déjà du GNL à l’Europe. Disposant d’énormes réserves de gaz, l’émirat a décidé récemment de porter de 80 à 110 puis 127millions de tonnes de GNL, avant la fin de la décennie, sa capacité de production. Mais l’Asie reste une destination privilégiée et les quantités supplémentaires ne seront disponibles que dans quelques années. Il est probable qu’une large fraction des importations nouvelles de gaz naturel de l’Europe devra se faire à partir des Etats Unis.

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L'Algérie veut doubler ses exportations de gaz, après une année 2022 record. L'Europe est déjà le premier client de l'Algérie. Est-ce judicieux d'accroître notre dépendance à un pays avec qui nos relations, en particulier les françaises, sont parfois difficiles?

Jean-Pierre Favennec : L’Algérie a été le premier pays exportateur de gaz naturel vers l’Europe (à commencer par la France),dès le début des années 1960 (exportations par GNL depuis Arzew). Depuis plus de 60 ans l’Algérie est donc un fournisseur important de la France et de l’Europe. Les visites récentes du Président français et de la Première Ministre ont monté l’importance de la relation entre la France et l’Algérie.

Cependant les réserves de gaz naturel de l’Algérie ne progressent que faiblement et la consommation intérieure, largement subventionnée pour aider les ménages algériens est en constante augmentation. Les possibilités d’augmentation des exportations algériennes vers la France et vers l’Europe restent limitées et sans commune mesure avec les quantités qui seraient en principe nécessaires pour remplacer les exportations russes.

Cyrille Bret : En matière de gaz naturel, l’Union européenne est placée face à un défi structurel. Les plus grands producteurs et les plus grands exportateurs de gaz naturel sont extra-européens et rares sont les alliés des Européens dans ce classement. En 2021, les Etats-Unis étaient le premier producteur de gaz mais les Etats producteurs étaient loin d’être des démocraties occidentales : la Russie, l’Iran, la Chine et le Qatar. Quant au palmarès des exportateurs, il est à peine plus avantageux : la Norvège (hors UE) et l’Australie se rangeaient après la Russie, les Etats-Unis et le Qatar dans le classement 2021 des exportateurs mondiaux. Structurellement dépendante d’importation de gaz naturel avant la guerre en Ukraine, elle a décidé de réduire significativement la part des importations en provenance de Russie. Comme la réduction de la part importante (20 % en 2020) du gaz naturel dans son mix énergétique demande du temps, l’Union est contrainte de se tourner vers ses autres fournisseurs, dont l’Algérie, pour faire face aux besoins de son économie et de ses ménages.

L’exportation de gaz est, pour l’Algérie, une source de richesse nationale essentielle. En 2021, l’Algérie était au 7ème rang des pays exportateurs de gaz au monde, par voie de gazoduc ou de GNL. Les différents gazoducs qui relient les gisements algériens alimentent l’Espagne et l’Italie de sorte que les exportations algériennes de gaz vers l’Union européenne atteignent des records, tout particulièrement dans le sud-ouest de l’Europe, en 2022. La dépendance à court terme s’est renforcée, surtout pour les économies italiennes et espagnoles ; le gaz algérien compte pour plus de 10 % du gaz consommé dans l’UE en 2022. Toutefois, la dépendance est à nuancer dans le temps et l’espace : dans le temps, l’Europe met en place des instruments de diversifications énergétiques efficaces notamment en matière éolienne et solaires. Dans l’espace : le renforcement des parts de marché algériennes en matière de gaz en Europe ont pour conséquence une croissance supplémentaires des recettes de gaz exporté vers l’Europe dans les finances publiques algérienne via la société Sonatrach. Comme dans le cas de la Russie, la dépendance relative d’une partie de l’Europe au gaz algérien a pour contrepartie une dépendance encore plus massive de l’Algérie aux devises issues de l’exportation vers l’Europe dans une conjoncture particulièrement favorable aux exportateurs de gaz.

De la même manière, cela a-t-il un sens de s'en remettre, en partie, au Qatar ?

Cyrille Bret : La position du Qatar est bien différente de celle de l’Algérie. Ses réserves démontrées sont dix fois plus importantes que celle de l’Algérie, avec 14 % du total des réserves mondiales. En outre, sa population est bien inférieure (2,9 millions d’habitants contre 42 millions d’habitants) de sorte que l’économie qatari est uniquement orientée vers l’exportation. Enfin, le Qatar, du fait de sa position géographique a déjà accès aux marchés mondiaux et à l’intégralité du territoire européen. L’isolement de son territoire péninsulaire l’a contraint, depuis le début de l’exploitation du gaz naturel, à investir dans les technologies de liquéfaction du gaz. Le marché du GNL est bien plus mondialisé, bien plus évolutif et bien plus lucratif que celui des gazoducs qui induisent des contrats de long terme et des investissements fragiles. En 2022, de nombreux méthaniers en provenance du Qatar ont changé de destination en raison de la flambée des prix en Europe. Destinés à l’Asie, ils se sont acheminés vers l’Europe dont les réserves marquaient le pas. De sorte que le Qatar voit lui aussi augmenter sa part dans le mix gazier européen auparavant largement dominé (plus de 40%) par la Russie. Autrement dit, l’État pétrolier bénéficie à plein, à court terme, de l’effet de substitution pour atteindre 16 % du mix gazier. Donc 16 % de 20 % pour le mix énergétique total.

Quel est l’état de notre dépendance actuelle à ces deux pays ? Dans quelle mesure cela pourrait-il augmenter ?

Jean-Pierre Favennec : La dépendance européenne vis-à-vis du Qatar et de l’Algérie n’augmentera pas de manière significative tout simplement du fait des capacités limitées de ces deux pays à accroître très significativement leurs exportations vers l’Europe. Les initiatives allemandes pour augmenter les importations de l’Allemagne depuis le Qatar ou italiennes pour augmenter les importations de l’Italie à partir de l’Algérie permettront sans doute à ces pays européens d’améliorer leur situation. Elles ne permettront pas de remplacer les importations russes.

A quel point les enjeux économiques, énergétiques et moraux se mêlent-ils dans les choix  ? Avec quelles conséquences?

Jean-Pierre Favennec : La priorité des pays européens est de faire face à l’arrêt des exportations russes de gaz qui représentaient une fraction importante des consommations d’énergie en Europe et qu’il est impossible de remplacer rapidement. La Commission Européenne à pris un certain nombre de mesures pour faire face à la situation née de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Sobriété énergétique, efficacité énergétique, accélération du développement des énergies renouvelables, recherche de nouveaux fournisseurs de gaz font partie de ces mesures.

Cyrille Bret : Changer de fournisseurs d’énergie, c’est changer de partenaires internationaux et donc changer de posture géopolitique. En réduisant rapidement sa dépendance aux hydrocarbures russes, l’Union européenne se contraint à court terme à renforcer ses liens avec des exportateurs alternatifs. Si l’Algérie et le Qatar entretiennent des liens politiques et économiques étroits avec l’Union européenne depuis des décennies, les différends structurels sont notables, en matière de libertés fondamentales, de sécurité régionale ou encore de résolution des conflits. La position de l’Algérie concernant le Sahara Occidental ne fait pas consensus en Europe. Et l’alliance du Qatar avec la Turquie pose également problème en Europe.

Réduire sa dépendance en diversifiant ses fournisseurs est un choix inévitable pour l’Europe, du moins à court terme pour faire face à la crise. Mais ces choix doivent également alerter l’Europe sur la nécessité de renforcer son autonomie énergétique. Certes, les Etats-Unis ou le Canada sont des fournisseurs moralement, juridiquement et politiquement plus favorables aux Européens. Mais la question reste la même : une économie telle que celle de l’Europe, la première au monde, peut-elle rester un colosse aux pieds d’argile exposés aux variations de prix des hydrocarbures alors même que les principaux fournisseurs ne sont pas européens. La solidité d’une économie et la durabilité d’une prospérité exigent une maîtrise supérieure de la fourniture d’énergie.

A quel point sommes-nous en train de substituer une dépendance à la Russie par des dépendances avec des pays qui posent aussi des questionnements éthiques ?

Jean-Pierre Favennec : La priorité pour l’Europe est de faire face à un manque de gaz qui s’est traduit, dès 2021, avant l’invasion de l’Ukraine pa la Russie, par une explosion du prix du gaz, et plus récemment du prix de l’électricité. Cette crise pourrait à terme être bénéfique aux pays Européens en accélérant la transition énergétique. . Dans l’immédiat cette crise pénalise lourdement les consommateurs européens, particuliers ou petites, moyennes, voire grandes entreprises avec des conséquences économiques et sociales très graves. Pour le gaz il est probable qu’à terme ce sont les Etats Unis qui deviendront les principaux fournisseurs de l’Europe. Les mécanismes de marché feront la fortune des exportateurs américains qui bénéficient des prix très élevés du gaz naturel depuis un an.

Cyrille Bret : Les Européens paient déjà comptant – au sens strict – les retards de leur diversification énergétique. Ils règlent des factures énergétiques considérables : c’est le prix qu’ils ont choisi de payer pour la protection de l’Ukraine – et c’est à leur honneur. Mais là encore, un sursaut collectif est nécessaire pour éviter d’avoir à subir. Pour que les Européens puissent mieux maîtriser leurs approvisionnements énergétiques, il convient de réduire la consommation, de diversifier les sources présentes sur le territoire européen et de rétablir un rapport de force favorable avec les exportateurs énergétiques extra-européens.

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