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"A trop communiquer 
dans les médias, Jérôme Kerviel 
a tapé sur les nerfs des magistrats"
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Souriez, vous êtes jugé

Ouverture du procès en appel de Jérôme Kerviel ce lundi. Condamné à cinq ans de prison dont trois fermes et à rembourser les 4,9 milliards d'euros de pertes de la Société Générale, l'ancien trader semble avoir fait évoluer sa stratégie de communication en tenant compte du premier verdict.

Patricia Chapelotte

Patricia Chapelotte est directrice générale d’Hopscotch Décideurs, Présidente du club Femmes d’Influence et Présidente et créatrice du Prix de la Femme d’Influence. Experte en communication d’influence, elle est engagée pour l’entrepreneuriat et pour la cause des femmes

 

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Atlantico : Le procès Kerviel est marqué par le rôle joué par la communication. En quoi celle de Jérôme Kerviel ou de la Société Générale peuvent-elles influer sur le verdict ?

Patricia Chapelotte : Au départ, Jérôme Kerviel n’est pas demandeur de cette médiatisation. C’est cette histoire incroyable d’un garçon de 30 ans entraînant une perte de 4,9 milliards qui entraîne un déchaînement médiatique dans le monde entier. Ensuite, il y a eu plusieurs phases qui se sont succédées entre 2008 et 2012.

Au départ, Jérôme Kerviel est resté très silencieux. C’était une bonne chose. Sa stratégie consistait à de ne pas s’adresser à la presse et à réserver sa parole au juge d’instruction. Dans un procès, vous retrouvez toujours le même cycle : une période d’instruction, un temps mort puis le procès lui-même. On ne gère pas la communication de la même manière selon les phases. Lors de cette phase d’instruction, le dialogue avec les journalistes se fait surtout en off : il s’agit de leur expliquer ce métier de trader et le fonctionnement de la salle de marchés. Il s’agit de décrypter le quotidien de Jérôme Kerviel, la proximité, l’ambiance, les systèmes de contrôle extrêmement complexes, pour montrer aux journalistes qu’il est très difficile dans ce contexte de cacher des choses.

Dès la fin de l’instruction, il a donné deux interviews à TF1 pour l’émission 7 à 8. Jusque-là, c’est moi qui gérais le surplus des journalistes, alors en chasse de la moindre interview de Jérôme Kerviel, compliquant ainsi le travail des avocats. Les premières interviews de Jérôme Kerviel obtiennent de fortes audiences. Nous cherchons à ce moment-là à gérer sa « rareté médiatique ». Il est important à ce moment pour le public d’entendre sa voix. L’intérêt du format long qu’offre un programme comme 7 à 8, c’est qu’il laisse le temps de la parole, de l’explication.

Finalement, avant le procès, il y a un nouveau changement d’équipe parmi les avocats. A ce moment, alors qu’il faudrait être discret, Jérôme Kerviel m’annonce qu’il veut sortir un livre. Je lui réponds : "Pourquoi pas, mais quand ?". Il me répond : "Maintenant". Je suggère que ce n’est pas une très bonne idée et que cette décision peut entraîner des conséquences auprès des magistrats. Lui pense alors que ce livre peut faire office d’appel à témoin et amener des personnes à se présenter devant le tribunal pour parler. En ce qui me concerne, je reste convaincue qu’il vaut mieux sur ce temps-là réserver sa parole aux magistrats.

Comment évaluer l’impact de cette stratégie sur les magistrats et sur leur décision ?

A un mois du procès, parler autant aux médias est à mon avis dangereux. Une fois que le livre est lancé, une machine de guerre comme Flammarion cherche, à juste-titre, à faire le maximum niveau communication. Je conseillais plutôt une médiatisation light, très choisie, en s’adressant par exemple à Ouest France, le quotidien régional de la région d’origine de Jérôme Kerviel. En lisant les attendus du jugement, on voit que le président du tribunal n’a pas forcément bien vécu le fait que Jérôme Kerviel essaie de convaincre l’opinion public alors qu’il est resté beaucoup plus silencieux face au juge.

Les magistrats ne vivent pas dans une bulle. Parler à la presse est une bonne chose mais il y a des moments pour tout. Je pense qu’ils n’ont pas apprécié cette communication juste avant le procès. Malgré tout, les juges sont indépendants et il est très difficile d’évaluer les conséquences, même si elles sont indéniables. Il faut noter que c’est la première fois que l’on évoque la stratégie de communication d’une personne mise en cause pendant les attendus d’un jugement.

Est-ce que cela a impacté la décision du juge ? Je n’en sais rien. Cela n’a en tout cas pas aidé puisque le juge lui-même laisse entendre qu’il aurait aimé que Jérôme Kerviel s’exprime plus devant les magistrats.

Dans tous les cas, la communication a un impact positif : gagner ou perdre un procès, c’est une chose, mais il faut aussi penser à l’après. Jérôme Kerviel devra continuer de vivre après cette affaire. Il est important de l’accompagner dans la gestion de son image. Il est important d’analyser tout ce qui est dit, notamment à l’époque du 2.0 et des réseaux sociaux. Pour Jérôme Kerviel, il  est crucial que l’opinion publique garde le regard plutôt positif dont il bénéficie auprès des Français.

Dans le procès en appel, Jérôme Kerviel a choisi de prendre Me David Koubbi comme avocat. Ce dernier est très médiatique, fait partie du jury des Gérards de la politique et a, entre autres, défendu Tristane Banon dans l’affaire DSK. Que pensez-vous de ce choix ?

Sans avoir à juger du choix de l’avocat, je pense que le cas Kerviel est assez unique en son genre. Vous avez là un garçon qui a changé plusieurs fois d’avocats. C’est assez compliqué pour lui. Comme il le dit dans son livre, tous les avocats de France veulent travailler pour lui : c’est un procès crucial. Pourtant, chaque fois, quelque chose se passe mal, notamment du fait qu’il ne puisse pas les rémunérer. C’est toute la difficulté : prendre une affaire non rémunérée, c’est s’installer dans un système où la communication est primordiale.

Jérôme Kerviel et David Koubbi se connaissaient déjà auparavant. Ce dernier avait travaillé avec lui sur des aspects plus médiatiques lors de plaintes contre des journaux qu’il avait attaqués. J’imagine qu’à partir de là, une relation de confiance s’est installée. On a du mal à comprendre comment toutes ces équipes d’avocats se succèdent. C’est d’autant plus compliqué que David Koubbi récupère là un dossier très complexe deux mois avant le procès.

Si David Koubbi est considéré comme un avocat très médiatique, je pense que lui et Jérôme Kerviel ont tiré des leçons du procès précédent. On voit aujourd’hui que l’avocat est resté très silencieux, en dehors d’une interview et d’une conférence de presse. C’est judicieux. Le moment de communication de David Koubbi, c’est maintenant : il va pouvoir parler à la sortie de l’audience, s’exprimer et mettre en avant sa stratégie de défense. Pour l’avocat, nous sommes en plein dans le temps médiatique.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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