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Comment sanctionner efficacement les délinquants mineurs ?
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Punis

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a rendu ce lundi son cinquième rapport annuel sur l'état du système pénitentiaire français.

Alexandre  Giuglaris et Dominique Youf

Alexandre Giuglaris et Dominique Youf

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

Dominique Youf est docteur en philosophie et chercheur associé à l'université de Paris IV. Il a une longue expérience professionnelle auprès des mineurs délinquants, et est l'auteur de nombreux travaux sur le droit de l'enfance dont Juger et éduquer les mineurs délinquants  aux éditions Dunod.
En savoir plus sur http://www.atlantico.fr/users/dominique-youf-et-francis-bailleau#silrPkBuDd2OeIzT.99

 

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Atlantico. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a rendu ce lundi son rapport annuel sur l'état du système pénitentiaire français. En quelques points, il propose de rendre l'accès à Internet aux détenus afin de leur permettre, dans une utilisation encadrée, d'entretenir le lien avec la famille, éventuellement trouver un logement voire un travail avant de quitter la cellule. L'accent a également été mis sur les conditions de détention des délinquants mineurs. Leur traitement par les autres détenus, le manque de soins pour ceux qui souffriraient de maladies mentales ou la décision trop rapide d'enfermer un "enfant", etc. Comment sanctionner efficacement les délinquants mineurs ? 

Alexandre Guiglaris : Tout d’abord, utiliser l’expression « d’enfants » pour évoquer des mineurs dont certains sont des délinquants ancrés dans la criminalité est pour le moins surprenant… Aucun enfant, au sens propre du terme, ne peut être condamné en France, ce qui n’est pas le cas d’un adolescent. Les mots ont un sens. Il serait d’ailleurs cohérent d’utiliser les termes de juge et de tribunal pour mineurs plutôt qu’enfant comme c’est le cas aujourd’hui.

Pour sanctionner efficacement les délinquants mineurs de nombreuses solutions existent. Encore faut-il les appliquer et les appliquer fermement. Il faudrait que les travaux d’intérêt général soient réellement et rapidement exécutés tout comme les mesures de sanction-réparation. Il faut aussi renforcer le dossier unique de personnalité. Le rapport d’André Varinard, remis en 2008, proposait par ailleurs des pistes intéressantes comme la création d’un code pénal des mineurs ou l’abaissement de la responsabilité pénale à 12 ans contre 13 aujourd’hui.

Enfin, la société a changé. Qui peut croire que « la remise aux parents » constitue une sanction, et qui plus est une peine crédible, aujourd’hui ? Il faut savoir par exemple, que les violences commises par les mineurs délinquants ont déjà augmenté de 575% depuis 1990. La responsabilité des parents doit être davantage engagée. Si des parents sont en difficulté pour élever leurs enfants, ils doivent être aidés. Mais il faut aussi que leur responsabilité soit plus clairement mise en lumière et sanctionnée.

Dominique Youf :  Des récentes recherches en psychologie du développement peu connues en France  permettent d'expliquer que la récidive est plus importante à l'adolescence qu'à l'âge adulte. En effet, des études en neuro-psychologie ont montré que le cerveau n'a pas atteint son plein développement à l'adolescence. Si le cerveau cognitif a atteint sa maturité à 16 ans, il n'en est pas de même du cerveau socio-affectif. Les adolescents, jusque vers l'âge du 18 ans sont plus impulsifs, moins orientés vers l'avenir et plus influencés par leurs pairs. Or, pour ne pas récidiver, il faut justement pouvoir contrôler ses pulsions, s'émanciper de l'influence négative des pairs et se projeter vers l'avenir. Pour lutter contre la récidive des adolescents, il faut d'abord, prendre connaissance de ces recherches.  Elles démontrent que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'adolescent n'est pas identique à l'adulte et doit donc être traité différemment. Ensuite, il faut s'appuyer sur les modes de prises en charge qui ont réussi. Il existe peu d'évaluations de ces méthodes en France, on peut le regretter. Aux États-Unis, de nombreuses recherches ont été menées ces 15 dernières années qui montrent l'efficacité des thérapies comportementales cognitives, le soutien éducatif à la famille et le placement en famille d'accueil.

Le CGLP a déclaré qu'"il faut convaincre l'opinion que l'enfermement ne peut être une réponse certaine et durable à l'errance sociale. Les enfants qui en sont les victimes ne sont pas des animaux sauvages que l'on attache brutalement au piquet". La justice tend à plus de laxisme, quelles peuvent en être les conséquences ?

Alexandre Guiglaris : Parler d’enfermement quand le passage en centres éducatifs fermés ne dure que quelques mois est véritablement excessif. Par ailleurs, entre 700 et 800 mineurs sont en détention en moyenne. Il faut rapporter ce chiffre aux 200 000 mineurs mis en cause en 2011. Je ne crois pas que l’on puisse dire que la société ou la justice traitent les mineurs délinquants comme « des animaux sauvages que l’on attache brutalement au piquet ».

Au contraire, c’est l’absence de rapidité dans la réponse pénale ou le manque de fermeté qui accroissent le sentiment d’impunité. En lisant la presse ou les notes et les rapports du Contrôleur général des lieux de privatisation, on apprend ainsi que dans certains centres éducatifs fermés on distribue de l’argent de poche aux délinquants, que l’on compte deux éducateurs par enfant et que leurs compétences sont souvent insuffisantes, qu’il est possible de fuguer sans aucune difficulté et qu’en cas de bonne conduite, ce qu’on est parfaitement en droit d’attendre d’un mineur délinquant, celui-ci bénéficie de « week-end récompense » dans certains centres. Je ne crois pas que ce type d’accompagnement soit utile pour sanctionner ou dissuader un délinquant. 

Dominique Youf : La Convention internationale des droits de l'enfant, le Conseil constitutionnel ont fixé un cadre clair à la justice des mineurs. Ce cadre demande à la justice de prioriser les mesures éducatives et de n'utiliser la prison qu'en dernier recours. En n'envoyant pas davantage de mineurs en prison, les juges ne font que respecter ces règles.

La loi anglaise, adoptée en 1998, prévoit la possibilité d'incarcérer les mineurs à partir de l'âge de douze ans, et le gouvernement a approuvé la construction de plusieurs prisons pour enfants. La plupart est placée dans des centres de détention pour jeunes délinquants, mais les plus dangereux sont dans des unités spéciales pour adolescents incorporées au sein de prisons pour adultes. Ainsi, le nombre d'adolescents âgés de 15 et 17 ans incarcérés a doublé ces dix dernières années et ces mesures strictes ont fait baisser le taux de délinquance juvénile en moyenne entre 2006 et 2011. Le modèle anglais peut-il nous inspirer ?

Alexandre Guiglaris : Un tel constat va complètement à rebours de ce que pense Mme Taubira ; le modèle anglais ne risque donc pas d’inspirer l’actuelle majorité. Pourtant, les chiffres que vous citez montrent que l’augmentation du nombre de détenus a un effet évident sur la baisse de la délinquance, ce que nous montrons régulièrement dans différentes études à l’Institut pour la Justice. La suppression des tribunaux correctionnels pour les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans voulue par le gouvernement envoie par ailleurs un signal d’impunité particulièrement préjudiciable dans le contexte de hausse de la criminalité que nous connaissons.  

Dominique Youf : La loi française est-elle si différente de la loi anglaise ? L'enfant peut aller en prison à partir de 13 ans, et la loi d'orientation de 2002 a permis la création d'établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Lorsqu'ils ne sont pas détenus en EPM, ils le sont en quartiers pour mineurs des Centres pénitentiaires. Si l'incarcération des mineurs n'a pas augmenté en France, c'est en partie parce que les juges ont utilisé davantage les mesures éducatives, notamment les placements en institution de la Protection judiciaire de la jeunesse. On oublie souvent que cette institution a recentré ses activités sur la prise en charge des mineurs délinquants depuis une douzaine d'années. En ce qui concerne la baisse du taux de délinquance, il est scientifiquement hasardeux d'affirmer que ce sont des mesures plus strictes qui en sont à l'origine. Je pourrais vous citer de nombreuses autres études qui disent le contraire.

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