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Comment parler de Dieu aujourd'hui ?
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Bonnes feuilles

Dieu peut-il être un sujet de conversation ? Au moins deux espèces de personnes ne s'embarrassent pas de ces difficultés : le fondamentaliste et l'athée. Tous deux parlent de Dieu à tort et à travers. Si bien que deux autres types vont s'insurger contre une telle arrogance : l'agnostique et le chrétien enfoui. Extrait de "Comment parler de Dieu aujourd'hui ?" (1/2).

Fabrice Hadjadj

Fabrice Hadjadj

Fabrice Hadjadj, essayiste et dramaturge, dirige Philanthropos (Institu européen d’études anthropologiques à Fribourg, Suisse). Il collabore aussi au Figaro littéraire et à Art press, ainsi qu’à Panorama et à Prier.

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Pourquoi « Comment » ?

Il me faut toutefois revenir un peu plus formellement à la question qui m’a été posée. Avant d’y répondre, à supposer qu’on puisse y répondre, je voudrais la questionner à mon tour, non dans le but de m’en débarrasser – plutôt pour intensifier son questionnement. Qu’est-ce qui frappe, dès l’abord, dans sa formulation ? Elle contient plusieurs présupposés discutables. J’en distingue au moins trois.

Le premier, c’est que l’on pose la question « Comment » et non pas « Pourquoi », ni non plus « Qu’est-ce que » parler de Dieu (ni même « Qu’est-ce que Dieu ? », ou encore plus simplement « Qu’est-ce que parler ? »). On fait comme si les questions du quoi et du pourquoi étaient déjà réglées. On saurait par avance exactement ce dont il s’agit et pourquoi il faut le faire, et il n’y aurait plus maintenant qu’à chercher comment le faire, c’est-à-dire à s’interroger sur les moyens.

La question du comment n’est pas méprisable. C’est même la question « prisable » et prisée par excellence, celle qui cherche à avoir prise et à donner du prix. Elle nous oriente directement vers la pratique, tandis que le quoi et le pourquoi ont le fâcheux inconvénient de nous laisser au niveau de la théorie : je cherche à savoir ce que c’est, pourquoi c’est, je cherche donc à le savoir, non à le vivre, je ne passe pas à l’action. Le comment nous oblige à descendre des nuées spéculatives et abstraites pour nous rapporter sans ambages au concret de notre existence.

Cependant, on ne peut pas l’ignorer, la science moderne est marquée par la tendance générale à négliger le quoi et le pourquoi au proÞ t du comment. Elle ne demande plus « pourquoi c’est ainsi », elle veut saisir « comment ça marche », « comment ça fonctionne »,aÞ n d’avoir une plus grande emprise sur le monde. Rien n’est plus utile, sans aucun doute, mais justement, cela restreint notre regard à une vision utilitaire ; une vision qu’on peut appeler « fonctionnelle » ou « technicienne ». Son interrogation fondamentale n’est plus celle des vieilles lubies métaphysiques : Quelle est la cause des êtres ? Elle s’énonce en termes pragmatiques, dont le caractère concret et constructif saute immédiatement aux yeux : Où est la télécommande ?

Mettre le comment avant le pourquoi fait insensiblement succomber à cette fascination de la télécommande. Ce qui arrive à l’intérieur de l’Église même. Beaucoup s’imaginent que le point décisif de la « nouvelle évangélisation » (ce qui la rendrait vraiment « nouvelle ») consiste à adopter les « nouveautés », à améliorer nos méthodes de communication, à mieux maîtriser les plus récentes technologies. L’Évangile ne fonctionne pas assez bien en lui-même : ce qu’il faut, c’est l’Évangile plus le multimédia, la Face de Dieu plus Facebook, le Saint-Esprit plus Twitter… L’Heureuse Nouvelle attendait les News.

Nos jours roulent sur ces rails. On y multiplie les moyens, mais, comme on ne sait plus la banalité de tout ça, ces moyens deviennent des Þ ns. Ils ne cessent de se perfectionner et d’augmenter notre « pouvoir », et ne servent en vérité qu’à nous divertir de la perte de tout sens. L’hagiographie de Steve Jobs et la gloire de la pomme croquée vont dans cette direction insensée : on ne sait plus ce qu’il est important de communiquer, dès lors on ne communique plus que sur la communication. Il faut que les gens communiquent entre eux, voilà l’impératif, et que le moyen de communication soit de plus en plus fluide et attrayant. Il devient si attrayant qu’il finit par se mettre en travers de la communication elle-même, et sa fluidité comme l’eau fait que nous ne recueillons rien de solide. La télécommande est dans vos mains, qu’importe le programme, vous pouvez choisir vos chaînes. Le multimédia est la chose en soi : peu nous chaut s’il est le médium de quelque chose qui en vaut la peine, pourvu qu’il soit « multi », « cool », « fun », « hype »… Il se vide de tout contenu, et ce vide ne semble plus cause d’angoisse, il est occasion d’amusement : le moyen sans fin se fait toujours plus ludique. Aussi, quand vous passez près d’un homme, vous ne le voyez plus, tant vous êtes captivé par l’écran que vous tenez dans votre paume. Du reste, les avatars numériques de cet homme ne sont-ils pas beaucoup plus « fun », « cool », « multi », que cet homme lui-même, astreint à la cage thoracique (même pas téléchargeable) ? Et puis qu’est-ce que vous auriez à vous dire ? C’est dangereux la conversation. Ça risque d’un détour à l’autre de vous rappeler que vous devez mourir tout à l’heure. Ne serait-ce que de voir en face le visage de ce type, et vous seriez trop renvoyé aux aspérités de la vie. Le mieux est donc de vous éloigner pour pouvoir vous connecter avec lui sur un forum, chater, partager des vidéos sur vos murs, c’est-à-dire faire en sorte que les gadgets de votre communication dissimulent la nullité de ce qu’elle communique. Ivresse du flacon.

Commencer par la question du comment nous piège donc dans le refus du quoi et du pourquoi. On cherche à savoir comment parler de Dieu en ce siècle hi-tech, mais, dès le départ, le siècle a gagné, c’est lui qui imperceptiblement nous a convertis.

Extrait de "Comment parler de Dieu aujourd'hui ?", Fabrice Hadjadj (Editions Salvator), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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