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Coup de tonnerre ? Comment Mohamed Merah pourrait bouleverser la campagne présidentielle
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Les meurtres de Montauban et de Toulouse et la traque de Mohamed Merah ont stupéfait la France pendant plus de 3 jours. Quelles répercutions ce drame pourrait-il avoir dans l'opinion publique et dans la stratégie de campagne des principaux candidats ?

Carole  Barjon, Denis Sieffert,Guillaume Roquette

Carole Barjon, Denis Sieffert,Guillaume Roquette

Carole Barjon est journaliste. Elle est Rédactrice en chef adjointe du service Politique du Nouvel Observateur.

Denis Sieffert est Président, directeur de la publication et directeur de la rédaction de l'hebdomadaire Politis.

Guillaume Roquette est journaliste. Il est Directeur de la rédaction de l'hebdomadaire Valeurs actuelles.

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Atlantico : La fusillade de Toulouse a tenu en haleine la France entière pendant près de 3 jours. Quelles conséquences cette affaire pourrait-elle avoir sur l'opinion publique en générale et sur l'agenda des principaux candidats de cette campagne ?

Carole Barjon : Il y aura des conséquences pour François Bayrou et Marine Le Pen. François Bayrou est parti un peu trop vite lundi soir dernier en défendant la piste néo-nazie. Il visait assez clairement l’état de tension d'une société "sarkozyste" qui aurait permis l’éclosion de personnes de ce type.

Marine Le Pen, elle, ne cache pas son combat contre l’Islam, même si dans le cas de Toulouse il s’agit d’islamisme. Elle peut donc en tirer quelques bénéfices. Je pense d’ailleurs que son affaire de référendum est une volonté de se montrer plus crédible, précisément au moment où elle se dit qu’elle peut tirer quelques fruits électoraux de ce qu’il vient de se passer.

Quant à Nicolas Sarkozy, il est le président de la République, donc en première ligne et aux commandes de cette affaire. Cette séquence ne peut donc que lui profiter : il renvoie une image de président protecteur et martial. Cependant, il faut rester prudent, parce que les enquêtes peuvent prouver qu’il y a eu des petits soucis au niveau de la DCRI. Si l’angle d’attaque de la gauche est bien convaincant et rationnel, et pas dans l’anathème, les gens se poseront des questions. 

Le thème de la sécurité va vraisemblablement débarquer dans la campagne et être exploité par ceux qui y ont intérêt. Une mauvaise nouvelle pour la gauche, car elle a un déficit de crédibilité sur ce sujet. 

Denis Sieffert : Il est évident que les problématiques de sécurité et d’immigration vont revenir sur le devant de la scène pendant un certain temps. La question est de savoir pour combien de temps l’onde de choc de ces évènements va parcourir l’opinion ? On peut penser que les thèmes qui semblaient être dominants (les questions socio-économiques, la dette etc.) reprendront ensuite leur place.

Cela dépend également du discours politique des jours qui vont suivre. Il y aura probablement un discours qui va entretenir ces thématiques. Nicolas Sarkozy était d’ailleurs déjà parti là-dessus avec son discours sur Schengen. Mais à ce jeu-là, Marine Le Pen devrait être plus forte. L’événement tombe à point pour le Front national qui était un peu en perdition dans les sondages. Cela leur permet de réimposer des thématiques qui, à priori, leur sont favorables (sécurité, islam, fondamentalisme, immigration, voire la peine de mort.). Il y a donc un risque, pour Nicolas Sarkozy, de se faire doubler sur sa droite par le Front national qui retrouve ici pleinement ses thématiques de prédilection qu’il avait un petit peu abandonné.

On peut imaginer aussi que la gauche va être tentée par des propositions sécuritaires. Cela serait faire fausse route car leurs thématiques favorites restent économiques et sociales. Ils ont tout intérêt à se centrer davantage sur le bilan de Nicolas Sarkozy en la matière.

Guillaume Roquette : Un événement de ce type est susceptible de servir Nicolas Sarkozy, traditionnellement plus crédible que le candidat socialiste sur le thème de la sécurité. Nicolas Sarkozy ne peut toutefois pas se défausser de la responsabilité de cette affaire sur autrui, puisque c’est lui qui occupe les plus hautes fonctions de l’État. Mais les Français peuvent aussi admettre que c'était un risque que ne pouvait maîtriser le pouvoir en place. Mieux, ce qu’ils attendent de lui, c’est une réaction ferme et maîtrisée. La présence de Nicolas Sarkozy sur place, puis de Claude Guéant, a servi les attentes des Français, tout comme le déroulement de l’affaire. En cela, ce drame peut avoir un véritable impact électoral en faveur de Nicolas Sarkozy, qui a démontré sa capacité à surmonter les situations de crise. 

Le sujet compliqué pour Nicolas Sarkozy aujourd’hui est le registre sur lequel il devra traiter ce drame, et cela risque de porter atteinte à sa volonté d’aborder les questions de l’immigration et des dangers du communautarisme dans sa campagne présidentielle. Sachant la charge émotionnelle autour de l’affaire de Toulouse et les amalgames possibles, il est probable que cette affaire enlève au président un de ces thèmes de campagne. S’il passait outre, le reproche lui serait fait de la récupération électorale de ce drame pour stigmatiser une partie de la population. 

Libre à Nicolas Sarkozy d’avancer de nouvelles mesures plus répressives, plus dures, et les opposer à François Hollande de manière à créer un contraste avec le candidat socialiste : la droite sécurisante opposée à la gauche laxiste.

Enfin,  n’oublions pas qu’à la marge cela peut servir Marine Le Pen, parce qu’une telle affaire alimente nécessairement l’inquiétude sur l’islamisme et les dangers du terrorisme.

Nicolas Sarkozy a tout de suite réagi en proposant plusieurs mesures ce jeudi, notamment une punition pénale pour ceux qui se sont rendus à l'étranger pour y suivre des travaux d'endoctrinement. Qu'en pensez-vous ?

Carole Barjon : Le défaut de Nicolas Sarkozy, c’est d’en faire trop… Il doit se méfier de cette tendance, car Toulouse n’efface pas la crise et la montée du chômage.

L’intervention télévisée du président peut rappeler le Nicolas Sarkozy habituel, qui dégaine une loi à chaque fait divers. D’un autre côté, le problème du prosélytisme en prison est réel, même si ce n’est pas le plus important, et les gens le savent. La mesure qui me semble la plus contestable parmi celles avancées par le Président est la punition pénale des personnes qui vont au Pakistan, ou en Afghanistan, car beaucoup de gens voyagent.

En ce qui concerne la répression sur les sites extrémistes, c’est intéressant mais la question de la faisabilité se pose. Il y a beaucoup de dérapages sur Internet en général et l’opinion peut y être sensible. Par ailleurs le débat risque de se recentrer sur l’affrontement gauche/droite, et c’est ce que le président cherche. Il est d’ailleurs assez prévisible qu’une grande partie de l’extrême gauche radicale s’emploie à protester contre les mesures annoncées, et risque de se retrouver à contre-courant du débat. On pourrait opposer à Nicolas Sarkozy quelques objections pragmatiques : comment distingue-t-on des gens qui consultent des sites internet illégaux djihadistes pour de bonnes raisons comme les universitaires et les chercheurs, et ceux qui adhèrent à l’idéologie de ces sites ?  

En conclusion, Nicolas Sarkozy a peut-être agi de manière précipitée, et aurait peut-être dû attendre un peu…

Denis Sieffert : C’est une réaction tactique. En revanche, je ne suis pas sûr que cela soit très réalisable, comme beaucoup de ses propositions d’ailleurs. Cette technique qui consiste à faire une proposition par jourest la sienne depuis le début de cette campagne. On se rend compte souvent que ces propositions sont peu praticables et peu opérationnelles.

Guillaume Roquette : Politiquement, le timing est bon, puisqu’il s’agissait de battre le fer tant qu’il est chaud et d’apporter des réponses concrètes aux inquiétudes des Français. Ensuite, sur le fond, certaines de ces mesures apparaissent comme nécessaires, et viennent pallier le dysfonctionnement à la marge du réseau de surveillance de la DCRI.

Mais attention à ne pas aller trop vite, en engageant sous le coup d’un fait divers une législation peut-être « précipitée » sur le fond. Quoi qu'il en soit, en période électorale, il fallait politiquement être présent et répondre aux attentes des Français.


Propos recueillis par Franck Michel et Jean-Benoît Raynaud

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