Comment les vignobles français sont devenus des machines à blanchiment d’argent <!-- --> | Atlantico.fr
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Des rachats de propriétés viticoles bordelaises servent à blanchir des fonds.
Des rachats de propriétés viticoles bordelaises servent à blanchir des fonds.
©DR

In vino corruptas

Un rapport de Tracfin, cellule de renseignement chargée de lutter contre le blanchiment de capitaux, met en garde contre une augmentation des opérations de blanchiment d'argent en provenance de Chine, de Russie et d'Ukraine dans le secteur viticole français.

Jean-Marc Figuet

Jean-Marc Figuet

Jean-Marc Figuet est professeur de Sciences Economiques à l’université de Bordeaux IV. Ses thèmes de recherche portent sur l’économie monétaire et bancaire, l’économie et la finance internationales, ainsi que l’économie du vin.

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Atlantico : Tracfin, cellule de renseignement chargée de la lutte contre le blanchiment de capitaux, met en garde dans un récent rapport (voir ici) contre une augmentation des risques de blanchiment d'argent dans le secteur vitivinicole. Les fonds proviendraient essentiellement d'investisseurs russes, chinois et ukrainiens. A-t-on une idée de l'ampleur du phénomène ? Quelles sont les régions principalement concernées ?

Jean-Marc Figuet : Le blanchiment d’argent est un risque nouveau, émergent pour le secteur viticole. En 2007, les soupçons de blanchiment ne concernaient que quelques cas isolés. Il semble que le phénomène se soit accéléré depuis. Il ne faut cependant pas surestimer le phénomène, car en 2012, Tracfin a reçu 27 000 signalements, et seul une dizaine concerne le secteur viticole, sans que l’on sache, au moins pour l’instant, si des procédures judiciaires ont été effectivement ouvertes.

Les investisseurs « blanchisseurs » proviendraient de pays émergents, essentiellement la Chine, la Russie et l’Ukraine, même si on ne peut pas exclure que des Français soient à l’origine d’opérations de blanchiment. Concernant la Chine, je reste néanmoins circonspect, car la sortie de capitaux y reste complexe. C’est sans doute moins le cas ailleurs. Les vignobles convoités sont les plus prestigieux : Bordeaux, pour le vin, et Cognac pour les spiritueux. Pour l’instant, le vignoble bourguignon semble épargné même si le rachat du Château de Gevrey-Chambertin par un investisseur chinois a suscité l’émoi. Un élément d’explication tient à la taille des propriétés qui est, en moyenne, plus importante dans le Sud-Ouest qu’en Bourgogne. Dans le Bordelais, l’existence d’un château ou d’une maison de maître d’époque peut également être un facteur d’attraction.

Le fait que les vignobles français deviennent une machine à blanchiment est-il surprenant ? Quelles caractéristiques inhérentes au secteur du vin facilitent de telles opérations ?

D’après le rapport Tracfin, le blanchiment d’argent semble plutôt concerner les secteurs de l’immobilier et des services. En ce sens, le blanchiment dans le vignoble peut paraître surprenant car le « blanchisseur » doit produire un bien destiné à la vente. Les vins et spiritueux français sont souvent considérés comme des biens de luxe à l’étranger. N’oublions pas que les exportations de vins et spiritueux représentent près de 8 milliards d’euros en 2012, soit l’un des seuls excédents de notre balance commerciale. Mais la situation financière du secteur viticole est disparate : les propriétés à forte notoriété dégagent des bénéfices, les autres, beaucoup moins… En outre, la propriété du vignoble français est, pour le moment, majoritairement familiale. Des problèmes de transmission se posent fréquemment, compte tenu de l’évolution du prix du foncier, du prix des vins et spiritueux français, de la mésentente des héritiers…

Par quels montages les investisseurs étrangers passent-ils ? A quoi la procédure standard ressemble-t-elle ?

Les investisseurs utilisent une ou plusieurs holdings situées dans des paradis fiscaux, actionnaires d’une société française qui acquiert des propriétés souvent déficitaires. Il est alors difficile, voire impossible, de connaître l’identité du réel propriétaire.

Le rapport souligne que le secteur viticole est actuellement marqué par une baisse de la consommation intérieure, une hausse de la taille des exploitations ainsi que du prix de l'hectare. Parallèlement, les exportations vers les pays émergents augmentent. Dans quelle mesure cette conjoncture favorise-t-elle les opérations de blanchiment ?

La part des exportations dans la production atteint des records. Les exportations sont primordiales pour la pérennité du secteur viticole. Depuis une dizaine d’années, des marchés se sont ouverts à ces flux d’exportations : la Chine et Hong Kong pour les vins, la Russie pour le Cognac. Acquérir une propriété viticole permet de bénéficier de cet engouement qui demain concernera d’autres pays, comme l’Inde et le Brésil. Cette acquisition peut également permettre de contrefaire le produit initial. La contrefaçon représenterait 20% du commerce mondial viticole et toucherait essentiellement la production française.

Le phénomène est-il appelé à gagner en ampleur ? Faut-il s'en inquiéter ?

Sans doute puisque de nombreuses propriétés viticoles devraient être vendues dans les années à venir, compte tenu de l'âge des propriétaires actuels. Mais maintenant que le phénomène est identifié, il faut compter sur la vigilance des parties prenantes (notaires, avocats, banquiers).

Propos recueillis par Gilles Boutin

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