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Comment les pompiers ont bravé les flammes pour sauver Notre-Dame alors que la flèche de la cathédrale s’effondrait
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Sébastien Spitzer publie "Dans les flammes de Notre-Dame" aux éditions Albin Michel. 15 avril 2019, 19 heures 50. Sidération et impuissance : le monde entier a les yeux braqués sur la cathédrale Notre-Dame de Paris livrée au feu. Le compte à rebours a commencé : il faut sauver la cathédrale. Ce livre raconte les coulisses d'une soirée historique. Extrait 1/2.

Sébastien Spitzer

Sébastien Spitzer

Sébastien Spitzer est journaliste free-lance pour TF1, M6 ou Rolling Stone. Il a réalisé plusieurs enquêtes sur le Moyen-Orient, l'Afrique et les États-Unis. Il est l'auteur de "Ennemis intimes, les Bush, le Brut et Téhéran" en 2006 aux éditions Privé. "Ces rêves qu’on piétine" (2017), son premier roman, met en lumière les ombres de Magda Goebbels et de ceux qui tentent de survivre à l’enfer. Ce roman a été traduit dans plusieurs pays et a été couronné par de nombreux prix littéraires.

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Chemin de ronde, 19 h 37

La tête du feu se rapproche. Tout près. De son balconnet de pierre, tendue vers l’incendie, Myriam sent la chaleur diffuse sur son visage, malgré son masque et le casque par-dessus et le respirateur. Le danger est concret. Brûlant. Elle a les yeux qui pleurent sous sa protection. Elle s’accroche à sa lance qui pulse comme elle peut. Autour d’elle, elle voit l’eau qu’elle projette et qui retombe vers elle, s’écoule par les saillies qu’on appelle des larmiers, se répand alentour par les gargouilles et fait de toutes les chimères taillées dans la pierre de Soissons les spectatrices hilares de Notre-Dame souffrante. Singes. Diablotins. Homme ailé. Dragon cornu. Stryge. Chiens, chats et guivres aux gueules dures déversent l’eau lancée et le premier plomb brûlant. Témoins de l’agonie.  

La caporal-chef  leur fait face. Myriam, avec son nom de Bible, déclinaison de Marie, qui lutte du bout de sa lance, dérisoire face au monstre. Elle se livre tout entière pour terrasser ce feu. L’infléchir, le faire plier et le plaquer au sol avant de l’achever. Mais elle est loin du compte. Elle lutte à mille contre un.

Hugo avait raison.

L’incendie dégouline.

Il s’enroule aux charpentes.

Il se nourrit de bois, de la structure de chêne, de ces milliers de poutres données comme un bûcher à sa voracité.

Il se nourrit du vent qui souffle sur ses braises.

Il se moque des jets d’eau alimentés plus bas grâce à l’eau de la Seine. Encore un mot chargé. La Seine, comme la Cène, le dernier repas du Christ commémoré le jeudi saint.

Le drame est lancé.

Rien ne peut l’arrêter.

Sous ce toit millénaire, il n’y a pas de pare-feu, aucun compartiment, aucune cloison étanche pour freiner son élan. La vieille charpente est faite d’un seul tenant, comme la coque d’un navire qu’on aurait renversée, avant de la barrer d’étais, de solives, de sapines et de lambourdes. Offerte grande ouverte au feu qui la dévore.

Cette charpente est d’un bois vieux comme Mathusalem. D’un passé trop lointain sur lequel le présent semblait n’avoir aucune prise.

L’affaire semble pliée.

À quoi bon ?

Il faudrait dégager une autre priorité.

Jérôme, l’adjudant-chef, donne l’ordre de changer de point d’attaque. Myriam remballe sa lance. Elle décampe et s’engouffre sous le toit, dans la Forêt aux prises avec ce démon  rouge. L’objectif est alors de viser le cœur. Mais le danger est trop grand. Le diable a pris des forces.

Il gagne en ampleur à chaque poutre, à chaque solive. Vorace. Inutile de se jeter dans sa gueule.

Un autre ordre est passé. Il faudrait ceinturer le feu. Myriam a le plan des lieux en tête. Il y a une porte plus loin qui donne sur le chemin de ronde. Ils vont sortir par là. Leur lance tiendra le coup. Ils ont encore de la marge. Il faut juste qu’aucune poutre ne vienne s’écraser dessus et couper son débit. Il est déjà si faible. La colonne sèche est étroite. Et le camion en bas à beau donner ce qu’il peut, ils sont 40 mètres plus haut.

La porte est là. Elle donne sur une corniche. Ténue. À flanc de flammes. Ils s’approchent du toit qui chapeaute le transept. Ou plutôt de ce qu’il en reste. Ses plaques de plomb s’amalgament sur la charpente, qui est à nu. Les poutres de vieux chêne cèdent l’une après l’autre comme un château de cartes. La chaleur est démente. Peut-être 300 degrés. Avec un « effet de four à pain » causé par la voûte en dessous. Sa pierre réfléchit le pire.

Myriam se sent si lourde sur l’étroit chemin de ronde à plus de 40 mètres entre le vide et le néant. La chaleur augmente à chaque pas. Elle dépasse probablement les 400 degrés. Myriam avance encore sur ce front dévasté. L’incendie monstrueux a déjà dévoré 1 000 mètres carrés. Mais il en veut encore.

Si Myriam poursuit tout droit, elle tangentera le mal, le cœur du brasier. Il doit y faire dans les 600 ou 700 degrés. Elle crève de chaud sous sa combinaison.

Myriam et son coéquipier s’arc-boutent de leur mieux. La lance en position. Ils savent que leurs frères d’armes prennent position aussi. De l’autre côté du transept. C’est la mission. Le ceinturer.

Le feu s’est emparé de la flèche, mais Myriam ne le voit pas. Le feu vient de crever la flèche, mais elle ne le voit pas. Son point de vue est réduit. Elle arrose droit devant. Un muret cache le reste.

Pendant un quart de seconde, elle détourne la tête. Elle voit la foule en bas, massée le long des quais de l’île en face, l’île Saint-Louis. Les télévisions se déploient. Des caméras se faufilent.

La masse s’étend jusqu’aux rues adjacentes. Le spectacle est dantesque. Elle reprend ses esprits. Elle n’a pas le vertige. Elle n’a pas peur du vide. Elle tient bon.

Quand, soudain, un fracas la surprend.

– T’as entendu ?

– Oui, répond son servant.

Il a entendu, lui aussi, malgré le bruit de la lance qui crache sur les flammes 200 litres d’eau par minute.

Ils l’ont bien entendu, tous les deux. Un bruit assourdissant. 

Angoissant. Ce bruit ressemble à celui qu’aurait fait une tractopelle lâchant ses débris dans une benne. C’est à cela que Myriam a pensé. Ce bruit-là multiplié par dix. C’est comme ça qu’elle le traduit.

Extrait du livre de Sébastien Spitzer, "Dans les flammes de Notre-Dame", publié aux éditions Albin Michel.

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