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Comment les grandes entreprises achètent des élus et des fonctionnaires des institutions de l’Union européenne
©Reuters

Bonnes feuilles

Députés, maires, ministres, lobbyistes, haut-fonctionnaires... Les crapules de la République redoublent d’imagination quand il s’agit de consolider leur assise politique et d’augmenter leurs revenus. Des appels d’offres truqués aux prises illégales d’intérêts, des détournements de fonds publics aux multiples pots-de-vin et autres fraudes fiscale...de nombreuses révélations. Extrait de Les Crapules de la République de Roger Lenglet et Jean-Luc Touly publié aux éditions First. 2/2

Roger  Lenglet

Roger Lenglet

Roger Lenglet est un philosophe français et journaliste d'investigation. Il a écrit plusieurs livre sur les lobbies. En 2012, il publie avec Olivier Vilain Un pouvoir sous influence - Quand les think tanks confisquent la démocratie chez Armand-Colin. Il est également l'auteur de Lobbying et santé - Comment certains industriels font pression contre l'intérêt général (2009) et profession corrupteur - La France de la corruption, éditions Jean-Claude Gawsewitch (2007).

Son dernier livre est "24 heures sous influences - Comment on nous tue jour après jour" (François Bourin Editeur, avril 2013)

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Jean-Luc  Touly

Jean-Luc Touly

Jean-Luc Touly est juge prud'homal. Il est notamment l'auteur, avec Roger Lenglet, de Les recasés de la République (First, 2015), de Europe Ecologie : miracle ou mirage? (First, 2010), L'Eau des multinationales - Les vérités inavouables (Fayard, 2006), L'Argent noir des syndicats (Fayard, 2008) et Syndicats, corruption, dérives, trahisons (First, 2013).

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« Comment aimeriez-vous qu’on travaille ensemble ? »

Au-delà des cas de corruption les plus caractérisés, on a pu observer que la « porte tournante » entre les institutions européennes et les lobbies accélère son mouvement. De plus en plus de commissaires et de députés européens rejoignent les directions des grands groupes privés. On ne saurait se contenter de qualifier ce mouvement d’inquiétant car il touche aujourd’hui la moitié d’entre eux. CEO et LobbyControl (citées plus haut) ont même apporté des éléments chiffrés de cette dérive à peine croyable. Et le phénomène empiète déjà sur la neutralité de la décision publique qui, rappelons-le pour en souligner les enjeux, redéfinit les lois s’appliquant à l’ensemble des pays de l’UE en pervertissant ses choix. Il n’est même plus surprenant d’apprendre que des commissaires et des députés concernés ont hélas à cœur de relayer les attentes des entreprises qui leur demandent d’anticiper leur embauche.

Apparemment, cette attitude est très répandue et elle donnerait même lieu ce qu’ils appellent des « salaires anticipés ». En un mot, des bakchichs. Un député français s’est livré à nous avec ces mots saisissants : « Je n’étais pas arrivé depuis deux jours que des lobbyistes me proposaient une corruption pour favoriser leurs clients. Nous étions encore qu’au horsd’œuvre quand les premiers avec qui j’ai déjeuné ont attaqué le sujet en me demandant : “Alors, comment aimeriez-vous qu’on travaille ensemble ?” J’étais avec un collègue de mon groupe, nous étions un peu gênés, novices dirai-je, mais heureux de leur proposition. Ils s’en sont aperçus et nous ont fait quelques suggestions pour nous donner une idée de l’éventail des possibilités… Missions à moitié fictives mais surpayées pour des proches, liquidités, transactions immobilières très avantageuses et autres. J’ai demandé si nous aurions des compensations au cas où nos affaires viendraient à s’ébruiter et à nous faire perdre notre mandat. La réponse a été immédiate : un CDI dans une de leurs agences ou une embauche dans leur réseau. Nous avions entendu parler de ce genre de garantie par des amis qui nous avaient expliqué que cet engagement n’est pas une parole en l’air, mais ça nous a fait plaisir de l’entendre. » Cette confidence fait écho à celles que nous ont accordées des députés européens Verts/ALE qui nous disent qu’on leur a fait diverses propositions de même nature et dans des formes comparables autour d’une bonne table dès qu’ils ont été élus. La différence est que ces derniers nous assurent les avoir refusées.

Nous recueillons des aveux de ce type depuis une dizaine d’années et ils ont trouvé leur confirmation publique dans la bouche de Jack Abramoff, un leader du lobbying américain, qui a évoqué ses souvenirs nauséabonds sur CBS, notamment cet argument irrésistible qui lui permettait de corrompre des élus : « Quand vous aurez fini de travailler pour l’administration, nous aimerions beaucoup que vous envisagiez de travailler avec nous. […] À partir du moment où un de mes collègues ou moi avions prononcé ces mots, c’était plié, nous les tenions. […] Chaque demande venant de chez nous ou d’un de nos clients, tout ce qu’on voulait, ils allaient le faire. Mieux, ils allaient penser à faire des choses que nous n’aurions même pas imaginées. »

L’amplification du pantouflage amuse aussi les cabinets de lobbying. Il est comparable à celui que nous avons décrit chez les assistants parlementaires. Plus de 50 % des commissaires et 30 % des députés européens, après l’exercice de leur mandat, rejoignent des structures inscrites sur le registre des lobbyistes de l’UE. Transparency International qui a dégagé ces pourcentages souligne l’ampleur de cette migration affairiste dans son rapport Accès à tous les domaines : quand les personnels politiques de l’UE deviennent des lobbyistes. Des recrues pour influencer leurs anciens collègues ou leur personnel tout en leur expliquant où ils pourront rebondir bientôt à leur tour. Deux exemples parmi plein d’autres  : l’ex-commissaire Connie Hedegaard, chargée de l’environnement, est devenue responsable du marketing environnemental de Volkswagen, en pleine tourmente des mensonges du constructeur sur les rejets polluants de ses voitures. L’Allemand Holger Krahmer, député pendant dix ans, est intervenu abondamment sur la réglementation de l’industrie automobile à la commission pour l’environnement. Monsieur Krahmer travaille maintenant pour Opel, où il s’occupe des affaires de politiques publiques européennes et des relations gouvernementales.

À la lecture de ce rapport, on comprend mieux d’où nous vient le vif sentiment que les instances européennes vivent « hors-sol » et tardent tant à construire une Europe sociale. On y découvre des choses croustillantes, comme le fait que 50% des lobbyistes enregistrés pour le compte de Google ont travaillé pour l’UE. Et l’on acquiert la conviction que rien n’a été fait pour limiter « la conquête des institutions par les lobbyistes », pour reprendre une expression de Daniel Freund, un des coauteurs du rapport. Et, comme le dit aussi l’ONG : « une “période de latence” (coolingoff) pour les membres du Parlement européen devrait être introduite d’urgence ». C’est bien le minimum qu’on puisse demander à l’UE qui est en train de devenir un modèle mondial de ce qu’il faut éviter en matière de conflit d’intérêts et de lobbying crapuleux.

Extrait de Les Crapules de la République de Roger Lenglet et Jean-Luc Touly publié aux éditions First

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