Comment les Français en sont venus à accepter l’idée d’être surveillés pour leur sécurité <!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français se déclarent favorables à 75% pour la vidéo-surveillance.
Les Français se déclarent favorables à 75% pour la vidéo-surveillance.
©Flickr / zigazou76

T'as vu ma grosse matraque ?

Alors qu'une fusillade a éclaté lundi dernier devant une crèche-école de Montreuil, le débat sur la sécurité à l'école ainsi que la présence de vigiles ou de caméras de surveillance au sein de celle-ci est relancé. Les Français s'y sont déclarés favorables à 75% pour la vidéo-surveillance et à 55% pour les vigiles dans un sondage BVA.

Christophe Soullez

Christophe Soullez

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012
et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions, 2012. 

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Atlantico : Un sondage de l’institut BVA révèle que les Français sont favorables à 75% à l’augmentation du nombre de caméras de vidéo-surveillance dans les lieux publics, les transports en commun et les centres villes. Qu'est-ce qui a fini par vaincre la peur de la surveillance orwellienne ?  

Christophe Soullez : Aujourd’hui, la plupart des citoyens ont bien compris que les systèmes de vidéo-protection n’étaient pas une menace pour les libertés individuelles et collectives dès lors que des garanties de contrôle existaient et que la réglementation encadrait de manière stricte son usage. Le débat sur la vidéo-protection a trop longtemps été parasité par des postures purement idéologiques. Depuis la loi du 21 janvier 1995, qui réglemente pour la première fois la vidéo-surveillance  on ne peut pas dire que les contentieux aient été nombreux ou que des scandales aient émaillé le développement de ces dispositifs. La vidéo-protection n'est qu'un outil au service d'une chaîne de sûreté. Elle n’est pas la solution miracle susceptible de régler les problèmes de délinquance. Ce n’est qu’un instrument dans la panoplie des moyens mis à la disposition des pouvoirs publics dans leur mission de protection des personnes et des biens.

S’il ne faut pas faire de celle-ci la panacée, il n’en demeure pas moins que c’est un outil parmi d’autres, comme les fichiers ou la police technique et scientifique, contribuant à améliorer la réactivité, la rapidité et l’efficacité de l’action policière. La vidéo-protection est donc, et surtout, un moyen d’aide à l’enquête. Si elle ne peut pas toujours empêcher la commission d’un acte, elle peut contribuer à l’interpellation des auteurs. Ainsi, la vidéo-protection est un dispositif qui permet d’améliorer l’action judiciaire dans le cadre de l’administration de la preuve et de la recherche des auteurs d’infractions.

Dans ce domaine, il faut rester pragmatique et moins militant par a priori. Il y a des caméras qui peuvent être intrusives ou qui ne respectent pas la réglementation qu’il faut interdire… et il y a des caméras qui font défaut dans certains lieux. L’outil doit être adapté, positionné et proportionné, mais ce n’est jamais qu’un outil. Il ne mérite pas tant d’honneurs ni tant d’indignités car il ne porte en lui ni le bien ni le mal. C’est l’usage qui compte et lui seul ainsi que les modalités de son contrôle. Dans une conjoncture où les français aspirent à plus de sécurité ils ont bien compris que, dans un contexte de développement des nouvelles technologies, la vidéo-protection était un outil nécessaire bien loin de certains phantasmes sécuritaires.

Les Français se déclarent également favorables à la présence de vigiles non armés dans les écoles, les gares et autres. Le sentiment d’insécurité de nos concitoyens peut-il remettre en cause le monopole étatique de la violence légale ?

Non. Je crois que la population est fortement attachée à notre système d’organisation policière et notamment au fait que la force doit rester entre les mains de ceux qui ont la responsabilité de la violence légitime. Réclamer une plus forte présence d’agents d’autorité ne signifie pas qu’on souhaite déléguer à d’autres le monopole de la violence légale. Le fait que, dans cette enquête, les Français ne souhaitent pas que ces agents soient armés montrent bien la différence qu’ils font entre les différents types de force. D’un côté, on aspire à une présence plus visible d’agents de sécurité capables de rassurer mais également de dialoguer et, de l’autre, on reste sur une conception très étatique du recours à la force.

Dans quelle mesure des vigiles sans armes peuvent-ils réellement assurer la protection des Français face aux phénomènes d’agression en bandes qui se développent dans notre pays comme la récente attaque d'un RER par une trentaine d'individus ?

Je pense que l’action d’agents privés de sécurité et des forces de l’ordre est différente et surtout complémentaire. Dans le premier cas, nous sommes dans une activité de prévention. Les vigiles sont là pour rassurer et éventuellement prévenir grâce à une présence sur les quais ou dans les trains. Il n’y a pas besoin d’être armé pour ces missions. Celles-ci ne signifient pas l’absence de patrouilles ou de réponses policières. Au contraire. Il est indispensable d’articuler les deux types d’action comme d’ailleurs c’est aujourd’hui souvent le cas entre les services internes de sécurité de la RATP ou de la SNCF et les services spécialisés de la police ou de la gendarmerie chargés de la sécurité dans les transports en commun. Par ailleurs, le fait que les fonctionnaires de police soient armés n’est pas nécessairement un gage d’efficacité en vue de lutter contre ce type de phénomène. N’oublions pas que l’arme à feu ne peut être utilisée qu’en cas de légitime défense. Enfin la lutte contre les bandes, dans les transports ou dans d’autres lieux, ne passe pas exclusivement par des réponses a posteriori mais aussi par des actions de renseignement et des procédures judiciaires permettant d’incriminer ceux qui se livrent à de telles exactions car on ne pourra jamais avoir autant de vigiles ou de policiers qu’il y a de trains qui circulent par jour…

65% des Français considèrent que la sécurité privée est un secteur d’avenir. Peut-on imaginer le développement de milices privées dans notre pays ou de sociétés engagées pour assurer la sécurité d'un quartier ? 

Cela fait maintenant plus de 15 ans que le secteur de la sécurité privée connaît une forte croissance. C’est vrai dans le domaine des technologies mais aussi dans celui de la surveillance humaine. Dans une société où la population accepte de moins en moins le risque, où elle attend de plus en plus de l’Etat et, surtout, ou son désir de sécurité est de plus en plus fort, et ce dans tous les domaines, la sécurité privée est un moyen de trouver des assurances et surtout de se rassurer. Dans un contexte budgétaire contraint, il est clair aussi que la sécurité ne peut rester l’apanage de l’Etat et que celui-ci a besoin de s’appuyer sur d’autres acteurs. Ce n’est d’ailleurs pas une situation nouvelle puisque dès la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation pour la sécurité, mais également lors du colloque de Villepinte en 1997 « Des villes sures pour des citoyens libres », on parle de co-production de sécurité et de la nécessité pour certains acteurs de s’investir dans des dispositifs de prévention et de protection (bailleurs sociaux, organisateurs de  manifestations sportives ou de loisirs, etc.). La logique de création de milices privées est très éloignée de cette conception de partage de la sécurité. Les milices privées sont des regroupements de citoyens qui vont agir avec l’objectif de suppléer les services de l’Etat sans en avoir ni les compétences ni les qualités. Elles peuvent alors être à l’origine de multiples dérives. Si chaque citoyen doit bien entendu être attentif à ce qui se passe dans son quartier, dans une démocratie, il a délégué son pouvoir d’assurer la sécurité à l’Etat qui s’est organisé pour ce faire et qui dispose surtout du cadre législatif adapté. Je ne crois donc pas au développement de milices privées car la population reste très attachée à notre modèle de police républicaine.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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