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Comment les arbitrages pris sur le budget de la Sécu finissent par s’en prendre à l’esprit même de l’État providence (et pourquoi il était possible de faire des économies autrement)
©Reuters

Hara-kiri !

Sans nouvelle mesure d'économies, le déficit du régime général de la Sécurité sociale en France s'aggraverait à 14,7 milliards d'euros en 2015.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2015 (PLFSS) prévoit une économie de 700 millions d'euros sur les familles et de 3,2 milliards sur les maladies. En s'attaquant à la politique familiale dans le budget de la Sécurité sociale, le gouvernement est-il en train de casser un modèle que les pays étrangers nous envient ?

Jacques Bichot : Cette économie est d’autant plus mal venue que les deux réductions successives du plafond du quotient familial et une première restriction apportée à la liberté de choix quant à la répartition du congé parental entre le père et la mère avaient commencé, avec la loi Taubira dite "mariage pour tous" et l’endoctrinement des enfants des écoles dans le sens d’une négation des différences entre hommes et femmes, à faire craindre que cette majorité ne soit ennemie de la famille.

La politique familiale est une forte tradition en France. Les couples savaient qu’on ne peut empêcher les politiciens de faire de nombreux changements inutiles, de compliquer le système, mais ils conservaient la confiance dans une politique familiale substantielle. Les "coups de canif dans le contrat" qui ont été donnés depuis quelques années, et qui sont accentuées par le PLFSS pour 2015, sont de nature à amenuiser cette confiance. S’ils continuent, un jour viendra où les couples ne verront plus dans l’État et la Sécurité sociale des sortes de grands-parents sur lesquels on peut compter pour obtenir un sérieux coup de main lorsque l’enfant paraît … et s’installe.

Ajoutons que les mauvaises performances de notre Éducation nationale agissent exactement dans le même sens. Cette formation qui permet de moins en moins de faire une entrée réussie dans la vie active, c’est une lacune de la politique familiale au sens large. Et le jour où les ménages désespéreront de ce que les pouvoirs publics font pour leurs enfants, ce jour-là il se pourrait bien que la natalité française – un de nos atouts importants – diminue sensiblement.   

Diminution de la prime à la naissance, des aides à la garde d'enfants, nouvelle réforme du congé parental, majoration des prestations familiales décalée à 16 ans et décalage du premier versement de l'allocation de base de la Prestation d'accueil du jeune enfant... La politique familiale n'avait-elle pas suffisamment fait ses preuves en tant que bon amortisseur social pendant la crise ?

Jacques Bichot : De fait, les prestations familiales, comme d’ailleurs les pensions et l’assurance maladie, constituent d’excellents amortisseurs conjoncturels, utiles pour atténuer les creux de la conjoncture économique : c’est le soutien le plus efficace de la consommation, car il agit immédiatement, sans attendre que soient votées des dispositions fiscales. Rogner les prestations familiales au moment où l’on cherche à redonner du pouvoir d’achat aux ménages, c’est une politique de Gribouille.

De plus, la non réalisation du programme de création de crèches, qui n’apparait pas directement dans les mesures citées, mais qui est une triste réalité depuis plusieurs années, signifie que des dizaines de milliers d’emplois fort utiles ne sont pas créés. Dans la conjoncture actuelle, ce n’est pas très astucieux de se priver de cette source de créations d’emplois.

Accélération du "virage ambulatoire", rationalisation des pratiques inter-hospitalières, efficacité des dépenses hospitalières, effort sur le développement des génériques et sur le prix du médicaments, pertinence et le bon usage des soins, sans oublier la réforme des professions réglementées... Côté maladie, que dire du virage pris par le PLFSS 2015 ?

Jacques Bichot : Certaines dispositions, comme le renforcement de l’hospitalisation de jour (entrée le matin, sortie le soir) et le remplacement des médicaments princeps par des génériques, sont classiques depuis bon nombre d’années. Mais, comme les contrôles fiscaux des entreprises destinés à "faire du chiffre", la systématisation aveugle de ces pratiques comporte de graves inconvénients. Un opéré qui rentre dans un foyer où une personne aimante peut s’occuper de lui, c’est très bien qu’il sorte le plus tôt possible ; mais tout le monde n’a pas cette chance ! C’est alors des convalescences moins rapides, la recherche harassante de maisons de convalescence (la plupart sont saturées) et parfois de moins bons résultats thérapeutiques. L’esprit de géométrie qui anime certains décideurs n’est pas une bonne chose : ils jouent aux éléphants dans un magasin de porcelaine en voulant tout décider depuis Paris. Bafouer l’esprit de finesse et le principe de subsidiarité (prendre de préférence les décisions au niveau local) ne contribue nullement à faire faire des économies à la sécurité sociale, mais seulement à la rendre moins humaine.

La question du prix des médicaments est très délicate. Je dirais seulement que pour que la recherche pharmaceutique soit à la hauteur des espérances que l’on place en elle, il faut laisser les laboratoires créatifs assez longtemps propriétaires de leurs brevets. Un peu de génériques pour éviter les rentes de situation, c’est bien ; mais trop de génériques peut ralentir le progrès en faisant bénéficier d’une rente ceux qui se contentent de copier. De plus, la qualité des génériques n’est probablement pas aussi sûre que celle des princeps.

Reste un déficit du régime général de la Sécurité sociale en France qui s'aggraverait à 14,7 milliards d'euros en 2015 sans mesure nouvelle d'économies. Où fallait-il dans ce cas chercher ces nouvelles économies ?

Jacques Bichot : Le déficit réel de la sécurité sociale est plutôt d’une cinquantaine de milliards. Les affectations d’impôts ou de fractions d’impôts, qui font défaut aux finances de l’État, masquent ce déficit et le transfèrent sur l’État. En fait, les comptes de la sécurité sociale approuvés chaque année par la Commission ad hoc n’ont qu’un intérêt limité. Une loi, voire un simple ensemble de  décrets, peut transférer dix ou vingt milliards de déficit de l’État à la sécurité sociale ou vice-versa. Par exemple, le régime de retraite des cheminots est toujours en équilibre : le Trésor public lui verse systématiquement les sommes nécessaires pour qu’il en soit ainsi (environ trois milliards par an). Cet équilibre est une fiction juridique sans rapport avec la réalité. Et il en va de même des retraites des indépendants, des agriculteurs, et des fonctionnaires de l’État. Le détail des comptes de la sécurité sociale fournit des renseignements intéressants, mais les résultats mis en avant par les pouvoirs publics et les media sont des "chiffres verbaux", au sens où l’on parle de "paroles verbales".

Des dépenses en hausse constante, systématiquement plus élevées dans le temps que les recettes... La question du rééquilibre réel du budget de la sécurité sociale est-elle crédible ou n'est-elle en définitive qu'une chimère ?

Jacques Bichot : Ce que nous venons de dire montre que la question préalable est celle de l’autonomie de la sécurité sociale vis-à-vis de l’État. Tant que la sécu sera englobée par l’État providence, il sera impossible d’y voir clair et de gérer correctement. C’est ce que Arnaud Robinet et moi avons montré dans notre livre "La mort de l’État providence ; vive les assurances sociales".

Comment parvenir au rééquilibre dans ce cas ?

Jacques Bichot : Rendre les gestionnaires des caisses de sécurité sociale responsables de leurs résultats, obtenus en disposant uniquement de cotisations sociales et de prélèvements fiscaux assimilables à de telles cotisations, est le préalable indispensable.

Le méli-mélo actuel entre l’État et la sécurité sociale – méli-mélo dont les lois de financement de la sécurité sociale mises en place par Alain Juppé en 1995 sont à la fois l’expression et la cause n° 1 –  rend quasiment impossible toute amélioration durable.

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