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Comment le terrorisme relève de la modernité politique en ce qu’il revendique des prérogatives qui sont celles de l’Etat, contre l’Etat.
©capture d'écran Live Leak

Bonnes feuilles

Le terrorisme ne répond à aucune définition satisfaisante, mais il a indéniablement une histoire, ancienne et complexe. Extrait de "Histoire du terrorisme", de Gilles Ferragu, publié aux éditions Perrin (2/2).

Gilles  Ferragu

Gilles Ferragu

Gilles Ferragu, ancien membre de l'Ecole française de Rome, est maître de conférences en histoire contemporaine à l'université Paris Ouest-Nanterre-La défense, ainsi qu'à Sciences Po Paris.
Il est notamment l'auteur de Le XXe siècle (en collaboration, Hachette, 2010), Ecrivains et diplomates (en collaboration, Armand Colin, 2012), Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège (en collaboration, Robert Laffont, 2013).

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Le terrorisme individuel nous ramène à l’interrogation initiale, celle de l’individu qui, par l’effet de sa seule volonté, use de la violence politique comme d’un levier pour, sinon soulever le monde, au moins l’ébranler et le transformer. La violence politique constitue donc bien un levier, et un levier efficace, indéniablement, qui obéit à des codes, des rituels, une mise en scène, suit des modèles, développe des méthodes, des tactiques, des armes. La nature de ce levier est multiple, protéiforme – cet ouvrage n’en a parcouru que les expressions les plus classiques – mais elle comporte des traits communs : un mythe fondateur qui alimente le discours de légitimation, une dynamique de la clandestinité qui structure les activistes et les sépare de la société autant qu’elle les en protège, une temporalité spécifique qui voit la violence politique s’inscrire dans un calendrier propre, un fantasme de toute-puissance qui s’ajoute au vertige de la radicalité pour favoriser le passage à l’acte.

Reste l’ambiguïté. « Le terrorisme est la justification des tortures aux yeux d’une certaine opinion. Aux yeux d’une autre opinion, les tortures et les exécutions sont la justification du terrorisme13. » Evoquée par Germaine Tillion, cette ambiguïté du terrorisme relève de la casuistique, et fait obstacle à la généralisation. Surtout, elle renvoie à un discours partisan : le terrorisme est l’ennemi, un adversaire à qui l’on dénie toute légitimité. On campe donc bien dans le registre du politique, au sens où l’entendait Carl Schmitt14, et non dans un registre juridique ou scientifique.

Il s’agit également d’une réalité historique : chaque terrorisme se nourrit, on l’a vu, autant des succès d’autres organisations que de ses propres discours de légitimation. Ainsi, l’Histoire justifie le terrorisme en ce qu’elle lui fournit des précédents victorieux et des modèles à suivre. En outre, elle permet de lisser, a posteriori, la brutalité de la méthode en lui donnant un sens, une justification. C’est le constat célèbre établi par un philosophe libéral, Benjamin Constant, au coeur de la Révolution : « La terreur, pendant son règne, a servi les amis de l’anarchie, et le souvenir de la terreur sert aujourd’hui les amis du despotisme15. » L’Histoire alors n’appartient plus uniquement aux vainqueurs, à l’exemple de l’Argentine où, avant de rendre le pouvoir aux civils, l’armée publie, en 1983, un long Document final de la junte militaire sur la guerre contre la subversion et le terrorisme (Documento final de la junta militar sobre la lucha contra la subversion y contra el terrorismo, Buenos Aires, 1983) qui mentionne notamment les raisons de la violence d’Etat : « Sur cette façon d’agir qui n’a pas été voulue par les forces armées, mais à laquelle elles ont été contraintes pour la défense du système national d’existence, c’est le jugement de l’Histoire et lui seul qui pourra déterminer avec exactitude à qui revient la responsabilité directe de méthodes injustes ou de morts innocentes16. » Une fois de plus, l’historien, bien malgré lui, est sommé de juger.

Le détour par l’Histoire était donc nécessaire, non pas pour délivrer une sentence ou proposer une solution, mais pour éclairer une généalogie de la violence politique, une violence politique qui s’est transformée au cours de l’ère contemporaine et qui a, dans une certaine mesure, délaissé la barricade pour des frappes plus « chirurgicales ». Le terrorisme relève de la modernité politique en ce qu’il revendique des prérogatives qui sont celles de l’Etat, contre l’Etat. Mais, dans ce duel, l’individu s’avère toujours perdant. Au relativisme politique, on préférera donc s’en remettre à l’humanisme d’un Albert Camus, témoin désabusé du drame algérien : « Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente où le tueur sait d’avance qu’il atteindra la femme et l’enfant17. »

Extrait de "Histoire du terrorisme", de Gilles Ferragu, publié aux éditions Perrin, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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