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Comment la société en est venue à culpabiliser les familles recomposées alors qu’elles ont toujours existé
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Un papa, une maman (ou pas)

Femmes qui mourraient en couche, maris qui mourraient à la guerre : le veuvage était fréquent les siècles précédents et se traduisait fréquemment par des remariages. Mais l'explosion des divorces dans les années 1970 a changé la vision de la société sur les familles recomposées.

Gérard  Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand est sociologue, est professeur à l’université de Toulouse), directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et recherches en sciences sociales (CIMERSS, laboratoire associatif) à Bouc-Bel-Air. 

Il a publié de nombreux ouvrages dont Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale  (avec  Sahra Mekboul, érès, 2014) et, Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ?  (avec Michel Tort et Marie-Dominique Wilpert, érès, 2013).
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Atlantico : L'idée que la famille recomposée est une invention de la modernité est plus que courante. Ce type de structures n'existait-elle pas pourtant dans le passé sous d'autres formes ?

Gérard Neyrand : Bien sûr notre époque n'a pas inventé les recompositions familiales, dans les siècles précédents le veuvage était fréquent et facilitait des remariages plus ou moins précoces. Il s'agissait le plus souvent d'hommes, dont la femme était morte en couche ou des suites de l'accouchement, et le jeune veuf, surtout lorsqu'il avait une position sociale, ne tardait pas à reprendre épouse. Ce qui n'était pas toujours bien vécu par l'entourage et les enfants, en témoigne le nom de marâtres que l'on donnait aux belles-mères alors.

Si le phénomène n'est pas nouveau, comment expliquer qu'il soit considéré par certains comme problématique et socialement instable ?

La mutation de la famille que l'on a connue à la fin des années 60 et surtout à partir des années 70 est tellement importante qu'elle n'a pas toujours été bien vécue. Le processus d'égalisation et de prise d'autonomie des individus dans la famille, et surtout des femmes, a favorisé le développement des séparations, alors qu'il ne restait plus que le sentiment amoureux comme ciment du couple. Cette fragilisation du couple a, par contrecoup, fragilisé le rapport parent-enfant et favorisé la recherche d'un nouveau partenaire amoureux. Cette évolution a été mal vécu par ceux qui étaient très attachés au modèle antérieur de la famille fondée par le mariage, en particulier ceux dont le sentiment religieux était fort, car cette évolution heurte leurs convictions. Mais tout retour en arrière est impossible, aujourd'hui c'est l'enfant qui fait famille (la majorité naissent hors mariage) et le processus de "démocratisation" des relations privées s'avère inéluctable, porté par la scolarisation, et en particulier l'allongement des études des filles.

La famille recomposée n'est-elle pas, à l'inverse de certaines idées reçues, la représentation d'une certaine continuité de la famille comme cadre social ?

Les recompositions familiales attestent de la grande valeur que l'on continue à attribuer à la famille et aussi au couple comme lieu de la procréation et lieu idéal de l'éducation et l'élevage des enfants. La remise en couple après séparation avec un objectif éducatif des enfants présents montre que la famille est toujours une valeur sûre, même si ses formes et ses fonctionnements évoluent.

A quand peut-on dater l'émergence des nouvelles familles recomposées ? Quelles en sont les causes ?

Comme je l'ai dit, les nouvelles familles recomposées datent de l'explosion des séparations conjugales, avec un taux de divortialité qui passe de 10% en 1970 à plus de 30% en 1980, et près de 50% aujourd'hui. La présence croissante des situations monoparentales entraîne une augmentation continue des recompositions, compte tenu de cette valeur que l'on continue à accorder à la famille bi-parentale comme lieu privilégié de l'éducation des enfants. L'augmentation des recompositions est donc la conséquence, d'une part de la démocratisation des relations familiales, qui a libéré les individus des contraintes antérieures et en même temps les a fragilisés, d'autre part de l'attachement que l'on continue à avoir à la vie de famille, qui pousse à rechercher un nouveau conjoint. C'est ce processus paradoxal que j'essaye d'analyser dans Le dialogue familial, un idéal précaire.

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