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Comment la reculade sur la sélection à l’entrée en master va accélérer le phénomène tragique pour la France de la fuite des cerveaux
©Reuters

Égalitarisme dévoyé ?

Les présidents des universités Paris I, Paris II, Paris V et Paris VII ont rédigé et publié ce vendredi 8 avril une lettre ouverte à l'attention de Najat Vallaud-Belkacem. Ils y dénoncent notamment "une gestion indigne du dossier vital" qu'est la "sélection en master pour les universités".

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »

Atlantico : Le vendredi 8 avril, les présidents des universités Paris I, Paris II, Paris V et Paris VII se sont fendus d'une lettre ouverte à l'attention, notamment, de Najat Vallaud-Belkacem. Que dénoncent-ils exactement lorsqu'ils évoquent "une gestion indigne du dossier vital" qu'est la "sélection en master pour les universités" ? Sur quoi repose leur crainte des "immenses dommages" à venir ? 

Jean-Paul BrighelliLes universités encaissent aujourd'hui les dividendes de la mauvaise réforme lancée par Valérie Pécresse : impossibilité de gérer au quotidien, main-mise syndicale sur la gouvernance des universités, interdiction de sélectionner sous quelque forme que ce soit. Sans compter que sous prétexte d’acquérir la " taille critique " qui vous fait apparaître dans le " classement de Shanghai ", on marie allègrement la carpe et le lapin, facs de Lettres et de Droit. Enfin, le maintien du droit pour tous les bacheliers — y compris les titulaires d’un bac pro dont les chances d’arriver en fin de cursus de licence sont nulles — d’entrer dans n’importe quelle section universitaire, sans tenir compte des débouchés (il n’y a guère qu’en Médecine qu’un quota existe) oblige les enseignants à des contorsions et pousse dans les universités une foule d’étudiants qui traînent avec eux le désastre du Secondaire. Au point que nombre d’universités sont obligées d’inaugurer des cours d’orthographe, voire une " année zéro " de remise à niveau. Dans tous les cas, rien à voir avec une vraie formation professionnelle, encore moins avec une vraie recherche.

Les empêcher de créer, au niveau master, des unités d’élite ne pourra qu’accélérer le processus qui voit les meilleurs éléments partir à l’étranger, au Canada ou aux Etats-Unis. Au passage, ils se lancent là-bas dans des formations qui leur coûtent facilement 20 000 $ par an, en sus de l’hébergement, quand on limite les droits d’inscription, en France, à 200 €.

De quel mal ces fermetures de master sont-elles le symptôme ? Que faut-il lire dans cette volonté de sélection dans une liste amputée ? 

Nous sommes, de la maternelle à l’université, dans l’idéologie de l’égalitarisme. Tous égaux, à condition qu’aucune tête ne dépasse.

Ce n’est pas le principe de l’élitisme républicain, tel que la Révolution l’a défini. À remarquer que ces deux mots, " élitisme républicain ", sont synonymes : l’Ancien Régime ignorait pratiquement la notion d’élite ; elle distribuait les privilèges en fonction de la naissance - qui n’a jamais garanti le talent, - ou de la fortune, dans l’acquisition de charges — et la fortune non plus n’a jamais garanti le talent.

Depuis quelques années, comme je l’ai raconté par ailleurs, des avocats plaident avec succès devant le Conseil constitutionnel, bien obligé de dire le droit, pour intégrer sans qualités telle ou telle formation de master que les universités voulaient réserver aux meilleurs éléments. C’est le meilleur moyen pour pousser les élites à aller voir ailleurs. Quand la France sera constituée essentiellement d’incapables, nous nous étonnerons de notre plongée dans les classements internationaux universitaires — comme nous avons plongé dans les classements PISA qui évaluent le Secondaire.

Selon toute probabilité, la sélection qui est désormais interdite en aval s’effectuera en amont. Tout le monde sait que le taux d’échec dès la première année est considérable — près de 50% de chute, tous bacs confondus. Les profs notent déjà avec beaucoup de compréhension afin de conserver des effectifs. Ils noteront comme en prépas, et il ne restera que 10% des effectifs dès la L2. Et où iront les étudiants priés de retourner à la case maison ? Ma foi, les plus fortunés entreront dans des formations privées qui font payer cher sans assurer jamais que la qualité des cours soit proportionnelle aux sommes demandées. Ce n’est pas mon idée de la République — mais le paradoxe de l’égalitarisme, c’est qu’il tue l’égalité, et renforce même les différences acquises par la fortune ou le carnet d’adresses des parents.

Quelles sont les éventuelles pistes qu'il serait possible d'avancer pour réformer durablement et en profondeur l'enseignement supérieur ? Que faudrait-il mettre en avant ?

Le bac ne signifie plus rien, comme je l’explique dans l’article sus-cité. Il faut le remplacer par un certificat de fin d’études, et autoriser toutes les formations du Supérieur à recruter sur dossier (ou sur quelque autre forme qu’elles imagineront), comme c’est le cas aujourd’hui dans 45% des formations (BTS, IUT, prépas, facs à dérogations comme Paris-Dauphine ou Médecine, à bac + 1). C’est le modèle des prépas, tant décrié par les " égalitaristes " de l’actuel gouvernement, qui dit commander à l’ensemble du Supérieur. À l’arrivée, si l’on y pense, tout le monde trouvera une formation -  peut-être pas celle de ses rêves, mais celle que méritent ses capacités. J’ajoute qu’une telle exigence en aval amènera les lycéens à mouiller un peu plus la chemise en amont : ils travaillent aujourd’hui modérément pour un bac bradé, ils travailleront davantage si leur inscription universitaire dépend de leurs résultats.

De surcroît, il faut ouvrir les cursus en fonction des besoins évalués à la sortie du cursus. Le nombre effarant de jeunes engagés aujourd’hui, par exemple, dans le cursus des STAPS alors que les débouchés dans le professorat d’Education physique ne couvrent pas 5% des inscrits donne une idée du mur contre lequel on envoie les étudiants, faute d’une orientation de qualité. Et je ne parle pas du nombre d’apprentis-psychologues ou sociologues. Pour rappeler un ancien slogan de 1968, "quand nous aurons pendu tous les psychologues avec les tripes des sociologues, aurons-nous encore des problèmes ?"

L’émergence des formations universitaires supérieures ne peut s’effectuer qu’en jouant le jeu de l’excellence, basée sur le mérite — c’est-à-dire la capacité des universités à pousser chaque étudiant au plus haut de ses capacités dans des formations exigeantes.

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