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Comment la lutte contre le mal-logement a fini par accentuer les inégalités en France
©France Bleu

Remèdes mal calibrés

La Fondation Abbé Pierre a rendu jeudi un rapport pointant du doigt la situation alarmante du mal-logement en France. Un constat qui en appelle un autre : les inégalités face au logement en engendrent d'autres, malgré les nombreuses politiques de la ville menées par les pouvoirs publics.

Atlantico : Le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre publié ce jeudi met l'accent sur la situation préoccupante du mal-logement en France aujourd'hui. Dans quelle mesure la structure immobilière française (quantité de logements, emplacements, types de logements…) contribue-t-elle à la formation des inégalités ?

Laurent Chalard : Le principal problème de la France n’est pas tant le nombre de logements, largement suffisant pour loger l’ensemble de la population, étant donné l’importance du parc de résidences secondaires et de logements vacants, mais l’inadéquation de l’offre et de la demande sur certains territoires attractifs. En effet, rappelons que selon les données de l’Insee, en 2012, pour 1 ménage, il y a 1,2 logement en France Métropolitaine et le taux de logements vacants de 7,5% est largement supérieur au seuil incompressible (autour de 5%) et en augmentation d’1 point depuis 2007 (une part de l’augmentation peut cependant s’expliquer par une moindre qualité des données les plus récentes).

Les inégalités concernant le logement concernent donc uniquement certains territoires, en l’occurrence, et de manière paradoxale, les grandes métropoles les plus dynamiques du pays, où les prix des logements sont devenus tellement prohibitifs que les populations les plus pauvres ne sont plus en capacité de se loger décemment. Le nombre de logements construits y étant insuffisant par rapport à la demande, les prix s’en ressentent. Pour résumer, les logements ne sont pas toujours construits dans les territoires où il y en a le plus besoin dans notre pays. Alors que la population trouve du mal à se loger en Île-de-France ou dans la région niçoise, dans de nombreuses petites villes françaises, la vacance dépasse largement les 10% des logements !

Quels en sont les effets secondaires ? Les inégalités face au logement induisent-elles d'autres inégalités (accès à la santé, à l'emploi, aux services publics, etc.) ?

Deux grands effets secondaires sont consécutifs de l’inadéquation de l’offre et de la demande en logements dans les grandes métropoles.

Le premier est l’explosion du nombre de sans-abris (une hausse de plus de 40% en une dizaine d’années) et de personnes résidant en logement de fortune, chose indigne pour notre pays, et qui ne concerne pas uniquement que les immigrés clandestins.

Le second effet est le développement d’un processus d’exclusion des catégories populaires des territoires les plus attractifs des métropoles, avec un phénomène d’installation d’une partie de ces ménages dans certains territoires ruraux, où le coût de la vie est moins élevé, mais où les perspectives d’emploi sont limitées, conduisant au risque d’assignement à résidence.

Les populations pauvres subissant leur localisation géographique, elles sont dépendantes des services et des emplois localisés à proximité de leur logement, qu’il soit social ou relevant du secteur privé bas de gamme, ce que le géographe Christophe Guilluy appelle le parc social de fait. Or, bien souvent, les quartiers en question se caractérisent par la faiblesse des services, des équipements de santé et des emplois présents sur place, qui se concentrent en règle générale dans les quartiers les plus aisés des grandes métropoles. En outre, certains quartiers (mais pas tous !) sont relativement enclavés au sein des grandes métropoles, du fait d’une mauvaise desserte en transports en commun.

Quels sont les zones les plus touchées par ce contexte ?

Les zones les plus touchées par le mal-logement dans les grandes métropoles peuvent être regroupées en deux types de territoires :

- les quartiers péricentraux des villes-centres où domine l’habitat ancien, c’est-à-dire construit avant la Seconde Guerre Mondiale, et qui n’a pas été réhabilité, contrairement aux autres quartiers constituant le centre-ville, qui ont connu un phénomène de gentrification quasi-généralisée. Ces quartiers péricentraux se caractérisent par un équipement déficient et sont souvent le lieu d’accueil des immigrés primo-arrivants, Barbès en constituant un exemple-type à Paris.

- les grands ensembles, non encore rénovés, c’est-à-dire n’ayant pas connu d’opération de type ANRU, avec un problème particulièrement accentué en ce qui concerne les copropriétés dégradées, plus difficiles à réhabiliter que les logements sociaux, où la puissance publique peut agir plus rapidement. Ces grands ensembles se situent dans le ville-centre, mais en position périphérique du territoire communal (les quartiers "nord" de Marseille), ou dans des communes de banlieue (Clichy-sous-Bois).

Quelles solutions pourrait-on apporter selon vous ? Quelles sont les résistances existantes à une politique du logement plus équilibrée ?

Il est toujours facile de prôner des solutions lorsque l’on n’est pas aux commandes. Or, la situation est complexe, étant donné l’existence d’intérêts très divergents et difficilement conciliables. Il convient donc d’aborder le problème avec un certain pragmatisme, c’est-à-dire de partir du principe qu’il est impossible de résorber complètement le déséquilibre, mais que l’on peut l’atténuer par une action de rééquilibrage portant sur les deux extrémités du spectre social. Il s’agirait donc d’augmenter progressivement le pourcentage de logements sociaux dans les territoires en déficit et a contrario d’en réduire le pourcentage dans les territoires en excédent en y construisant uniquement du logement de meilleur standing.

Au premier abord, cette politique semble simple à mettre en œuvre, mais les résistances se retrouvent aussi bien à droite qu’à gauche. Dans les communes chics, les maires de droite ne souhaitent pas construire de logements sociaux, pas tant par crainte de changements électoraux consécutifs à l’arrivée de votants différents, leur pourcentage n’étant pas suffisamment important pour faire basculer les résultats, mais par peur des représailles de leur électorat de base. Ces élus locaux ne font qu’appliquer le souhait de leur électorat bourgeois résident, qui ne souhaite pas se mélanger avec des populations socialement et ethniquement différentes.

Dans les communes de gauche, en particulier celles tenues par le Front de gauche, encore en nombre non négligeable dans les grandes métropoles, les maires ne souhaitent pas construire du logement de standing de crainte de l’arrivée d’un nouvel électorat, susceptible de leur faire perdre leur poste, mais préfèrent continuer à construire du logement social, ce qui renforce la ghettoïsation de leur territoire avec le risque à la clé d’une dégradation des logements sociaux préexistants, le parc étant trop important pour être tenu en bon état dans son ensemble.

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