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Comment la généralisation du tiers payant est en train de produire une médecine à deux vitesses
©Reuters

Et la vraie casse sociale, elle vient d’où?

La réforme de la loi santé portée par Marisol Touraine s'appliquera au mois de novembre prochain. Elle étendra le tiers payant généralisé pour tous les patients remboursés par la sécurité sociale. Les médecins y voient du mépris à leur égard et dénoncent une réforme qui va appauvrir le système de santé français tel qu'il existe actuellement.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : La réforme de la généralisation du tiers payant va être appliquée en novembre prochain. Le syndicat de médecins MG France a appelé ce dimanche au boycott du tiers payant complémentaire. Cette réforme représente de nouvelles difficultés administratives vu la complexité et la multiplicité des régimes et des contrats. Les garanties de paiement sont presque nulles selon le syndicat. Les médecins libéraux peuvent-ils être tentés de se déconventionner de la sécurité sociale ?

Frédéric Bizard : Le déconventionnement de la sécurité sociale est la mesure ultime dans le combat contre la généralisation du tiers payant. C’est un fusil à un coup qu’il faut manier avec précaution. Cela signifie que les patients ne pourront pas être remboursés normalement par la sécurité sociale et les médecins perdraient une partie de leur patientèle. On est à la veille d'échéances électorales, il faut tenter de peser sur le débat politique, sachant que le TPG fait partie d’un projet politique d’ensemble de nationalisation et d’étatisation du cœur de notre système de santé. Le combat politique ne s’arrête pas au vote de la loi Touraine, qui est dominé par une idéologie marxisante et rétrograde, en tout cas nuisible au modèle français largement soutenu par les Français. Marisol Touraine ne s'est pas cachée qu'elle voulait associer à son nom un marqueur politique de gauche, considérant les médecins comme les poinçonneurs des Lilas de Gainsbourg.  

En l’état, le tiers payant généralisé est inapplicable techniquement et économiquement. Qu’on soit pour ou contre le TPG, ce point indiscutable devrait suffire à ne pas le mettre en place. Quand un gouvernement fait voter une loi sans se préoccuper de ses nuisances pour les principaux acteurs concernés, on peut comprendre le rejet d’une telle politique qui va jusqu’à rendre impossible au Président de se représenter. Il n’y a pas de hasard.  L'Igas a estimé dans un rapport de 2013 son coût à 10% du chiffre d'affaire des cabinets médicaux. D'autres études l'ont estimé entre deux et cinq euros par acte. Ce serait donc la mort de beaucoup de cabinets libéraux, surtout ceux avec un ou deux médecins. 

La complexité de notre système de financement rend le TPG inapplicable. Pour l’assurance maladie obligatoire, on dénombre quatorze régimes obligatoires et quatre-vingt-six opérateurs qui gères ces régimes. Pour la partie complémentaire, c’est à plus de 550 organismes privés à qui on demande de jouer le jeu sans aucune garantie en cas de non paiement. Le Conseil Constitutionnel ne s’y est pas trompé puisqu’en janvier 2016, il a retoqué l'article 83 de la loi Touraine sur ce TPG pour le motif que « le législateur avait méconnu l'étendue de ses compétences », un vrai camouflet pour la Ministre, qui déteint sur toute l’action politique. Malgré cela, le gouvernement n’a pas reconsidéré le projet, l’essentiel étant d’imposer cette marque, quitte à ce que ce soit au mépris de l’intérêt général. C’est vraiment le cas pour le TPG puisque les patients qui en ont besoin bénéficiaient déjà du Tiers payant et tous pâtiraient des conséquences néfastes sur la viabilité de l’activité médicale libérale.

Dans ce cas, pourrait-on se diriger vers un modèle plus britannique ou les médecins libéraux appliquent leurs tarifs et offrent de meilleures prestations au détriment des médecins qui dépendraient du système actuel pour les gens moins aisés ?

Le rêve de la caste anti-libérale au pouvoir est de remplacer la médecine libérale par une médecine fonctionnarisée car pour eux, seul le secteur public peut délivrer un service public. Le succès de notre système de santé dominé par l’activité libérale en ville a démontré l’inverse mais peu importe. Le Tiers payant généralisé est une étape vers le salariat des médecins. Il rompt tout lien financier entre le médecin et le patient et créé un lien de subordination entre le financeur et le prescripteur. C’est en effet un ersatz du modèle britannique avec un système public sans paiement pour le patient (« no bills »), sans liberté de choix de son médecin et une maîtrise des coûts par la file d’attente. 

C'est clairement le programme du parti socialiste qui est au moins assumé par Arnaud Montebourg et par Jean-Luc Mélenchon. Valls et Touraine n’ont pas cette cohérence et préfèrent laisser mourir le système actuel en feignant de respecter les valeurs fondamentales de notre système de santé (voire article dans The Lancet de mai 2016 où la Ministre vante les mérites de notre modèle). 

C'est aux Français de décider de leur système de santé du 21eme siècle par un choix clair au moment de la prochaine présidentielle (sous réserve que l’offre politique le permette). C'est un choix politique. Soit un modèle à la française, qui reprend les valeurs d'égalité, de liberté et de solidarité soit un modèle à l'anglaise, étatique et nationalisé. 

Qu'a pu représenter l'action du gouvernement - notamment via la réforme de santé portée par Marisol Touraine - comme poids administratif supplémentaire pour les médecins, et pour quel bénéfice pour les assurés ?

Avant la loi Touraine, il y a eu le plafonnement des contrats responsables (96% des contrats de complémentaire santé) en novembre 2014 qui limite le remboursement à 100% du tarif de la sécurité sociale (25 euros en consultation de ville). Dans les grandes villes où les prix des consultations de spécialistes sont à près de 80 à 100 euros, les restes à charge pour les patients vont être sensiblement plus lourds sans que leurs primes d’assurance ne baisse (+3% en 2016).  Une telle nuisance montre bien qu’on est dans un pur projet politicien de changement de modèle de santé.

La loi santé a continué l'étatisation du système initiée en 1995 par Alain Juppé en confiant plus de pouvoir aux agences régionales de santé (ARS). Que ce soit pour faire de la télémédecine ou implanter un projet médical dans une maison de santé par exemple, il faut l’aval de l’ARS. On entre dans l’ère du règne de la technostructure qui asphyxie les structures, décourage les initiatives individuelles et tue l’innovation. Un cas d’école où l’idéologie rend sourd et aveugle !

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