Comment la gauche française est en train de sortir de l’histoire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Comment la gauche française est en train de sortir de l’histoire
©REUTERS/Gleb Garanich

Effacement

Les défaites successives, l'incapacité à proposer un projet alternatif et une certaine désillusion amènent le PS a lentement s'effacer du champ politique. Avec le risque réel pour lui de devenir transparent, voire de disparaître purement et simplement.

Gaël Brustier

Gaël Brustier

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France.

Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et ont publié Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Gaël Brustier vient de publier Le désordre idéologique, aux Editions du Cerf (2017).

Voir la bio »

Atlantico : Certains analystes pensent que le PS d'aujourd'hui se retrouve dans une situation semblable à celle qu'il connaissait sous Guy Mollet. Cette analyse est-elle pertinente ? Le PS – et à travers lui l'ensemble de la gauche – est-il à bout de souffle ?

Gaêl Brustier : Je me demande si cette analyse n’est pas surtout injuste avec Guy Mollet… Le "molletisme" c’était une pratique molle à laquelle correspondait un discours dur. La SFIO s’est perdue dans le verbalisme, la notabilisation mais elle conservait néanmoins quelques solides repères. Elle a payé au prix fort son action lors de la décolonisation. Affirmant sans cesse son « orientation à gauche », la SFIO adoptait néanmoins une pratique gouvernementale pour le moins plastique.

Surtout la gauche d’alors, celle de la SFIO et du PCF se perdait en un dialogue idéologique sans fin. On n’en finissait plus de peser et soupeser les convergences et divergences. Le schisme de 1920 avait eu lieu un peu plus de quarante ans avant et il pesait lourd. En revanche, disons les choses clairement, il y avait une idéologie à la SFIO. Il y existait une culture marxiste, de fermes repères idéologiques. Est-ce véritablement encore le cas ?

Le risque qui existe c’est la rétractation sur quelques bastions – dans le cœur des grandes métropoles notamment – et une incapacité à peser sur la politique du pays. En ce sens, oui, le risque est comparable aux dernières années de la SFIO (avec des points d’ancrage différents évidemment).

Vous parlez d'une gauche qui serait en train de sortir de l'histoire. Cela signifie-t-il que l'idéologie de gauche disparaît ? Quels sont les signes de ce déclin aujourd'hui ?

Les gauches, à des degrés divers en Europe, ont une réelle difficulté à être en dynamique. Elles ne donnent pas une explication convaincante du monde, elles n’apportent pas un projet alternatif et concret évident.

Pour les droites, expliquer le monde en trois phrases, du coin de la rue à Kaboul, est simple. Donner sens à l’expérience quotidienne de nos concitoyens quelles que soient leurs conditions matérielles, cela s’appelle l’hégémonie culturelle. Il faut constater que les gauches ont perdu cette capacité à dominer culturellement dans nos sociétés, à fortiori à être hégémoniques...

Ce n’est pas qu’une question de communication ou de temps de parole médiatique, même si cela compte. Ce qui est au cœur de tout, c’est l’incapacité à définir un projet alternatif non pas à la « droitisation » mais à ce que subissent nos concitoyens. Au cœur de tout, il y a la mutation de notre économie et la réorganisation de la société qui l’accompagne. C’est cela qui induit les mutations dans les perceptions que les « gens » se font du monde qui les entoure.

Le risque existe de voir le Parti socialiste mais aussi les autres partis de la gauche être marginalisés.

Pourtant, le pouvoir en place est un pouvoir socialiste. N'est-ce pas le signe même que la gauche vit encore en France ? Comment peut-on parler de gauche moribonde ?

Il y a une gauche qui vit. Les régions, les départements et les municipalités socialistes (même si elles sont en nombre nettement moindre), accomplissent un travail réel, concret, efficace. Dans toute une série de domaines, il existe des politiques locales innovantes. Mais cela ne suffit pas. On a constaté aux municipales qu’il fallait intégrer ces politiques, ces mesures à une vision globale. En n’intégrant pas l’action locale à une véritable alternative sur le plan national, on a précipité la défaite de nombre d’élus qui, pourtant, n’avait pas démérité. Ce n’est pas l’action locale du PS qui a été sanctionnée.

La question simple à laquelle la gauche française est confrontée sur le plan national est la suivante : est-ce la peine d’être aux commandes pour mener une politique orthodoxe sur le plan économique, qui pourrait être menée par n’importe quelle majorité de centre ou de centre-droit en Europe ? La réponse commence à devenir évidente.

Quels sont les risques pour le débat démocratique d'une gauche aussi "fatiguée" ?

Le risque c’est la constitution d’un oligopole droitier. Il existe des pays où la gauche a quasiment disparu. C’est le cas de l’Italie. Le Parti socialiste italien, qui était de taille plus modeste que le nôtre, a disparu dans les années 1990. Ses cadres ont d’ailleurs pour partie intégré Forza Italia de Silvio Berlusconi. Le Parti communiste italien, qui était devenu Parti démocratique de la gauche, s’est fondu dans un parti centriste comprenant des reliquats de la Démocratie-chrétienne.  En France, on peut aboutir à un concurrence permanente entre un centre-droit conservateur (de Bayrou à l’UDI), une droite libérale aux velléités de radicalisation (l’UMP) et les nationaux-populistes (le FN).  Le risque ce n’est pas le tripartisme intégrant le PS (un thèse qui sert surtout à se rassurer) mais la marginalisation du PS.

Que faudrait-il à la gauche aujourd'hui pour regagner la confiance de l'opinion et retrouver sa place, son rôle historique ?

Déjà, il faut faire preuve de modestie devant la tâche à accomplir.  Toute rénovation doit être aussi idéologique. Le combat culturel est essentiel et il doit pouvoir s’appuyer sur un aggiornamento des idées de gauche. 

Il existe des leaders qui renouvellent le projet de la gauche. Au sein de la Gauche radicale, il y a le leader grec de Syriza Alexis Tsipras, qui porte ce qu’il y avait de plus fécond dans les Forums sociaux. Dans la famille socialiste – ou « social-démocrate – il y a Paul Magnette, qui porte en Belgique une forme de modernisation du socialisme. En France, il y a, au sein du Parti socialiste, des voix qui se font davantage entendre pour engager une véritable rénovation du PS. Jusqu’ici quand on parlait « rénovation », on ne parlait que méthode. Certains ont pensé que du changement de méthode dépendait tout le reste. C’est une erreur. Il faut mener en même temps rénovation idéologique et rénovation des méthodes. Cela passe aussi par le dialogue et l’unité des forces de gauche. Dialogue avec les forces sociales, avec les intellectuels, avec ceux qui dans la société font vivre des idées nouvelles. Il y a des raisons d’espérer à gauche.

Mais finalement, est-ce véritablement une situation qui concerne l'ensemble de la gauche ? Le PS n'est qu'un parti parmi diverses formations dont la sensibilité est également de gauche. La gauche française ne s'invente-t-elle pas à nouveau ?

Cette situation concerne l’ensemble de la gauche, même si, à l’intérieur d’une gauche en déclin, la gauche radicale ou les écologistes peuvent momentanément accroître leur poids relatif. Je ferais remarquer que la gauche radicale italienne a, à un moment, cru bénéficier de l’effondrement des autres partis de gauche. Cela n’a duré qu’un temps. En Allemagne ou en Autriche, les Grünen (les Verts) ont un petit espace libéré par le déclin des sociaux-démocrates locaux.

Ainsi, dans les idéopoles, ces grandes métropoles, la concurrence entre la gauche radicale, les écologistes et les socialistes peut tourner à l’avantage des premiers, comme à Grenoble. Mais ce serait erroné d’en déduire que la gauche peut tirer à terme bénéfice d’une telle situation.  

La gauche peut se réinventer comme elle peut sombrer. Cela passe par la remise en cause d’une forme de soumission à l’orthodoxie économique de la part de la tête du Parti Socialiste et par l’abandon de cette rhétorique de la fracture entre « deux gauches », qui ne fera qu’accélérer la perte de toutes les familles de la gauche. 

Propos recueillis par Vincent Nahan

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !