Comment la gauche est en train de casser méthodiquement le lien entre l’école et les Français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
La récente réforme des collèges a soulevé de nombreuses critiques.
La récente réforme des collèges a soulevé de nombreuses critiques.
©

"Penser et repenser l'école"

La récente réforme des collèges a soulevé de nombreuses critiques et pose la question du rapport qu'entretiennent les Français vis-à-vis de l’école : autorité scolaire remise en question, augmentation des conflits entre familles et établissements publics, engouement pour l'enseignement privé...

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »
Patrick Roux

Patrick Roux

Patrick Roux est diplomé d'Institut d'études politiques. Actuellement, il est le Président de la Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP). 

Voir la bio »
Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

Voir la bio »

Atlantico : De quelle(s) intention(s), idéologies, les réformes mises en œuvres dans l'éducation nationales relèvent-elles ? Et dans quelle mesure est-ce que ces intentions à l'origine des différentes réformes mises en œuvre ces dernières années ont-elles pu participer à un affaiblissement du lien entre l'école de la République et les Français ?

Jean-Paul Brighelli : Comme une foule de choses bonnes ou mauvaises, l’expérimentation pédagogique est arrivée, vers la fin des années 1950, des Etats-Unis. Les pédagogues américains ont pensé que la transmission verticale des savoirs, à l’œuvre depuis deux millions d’années, ne convenait plus à l’enfant moderne, et qu’il fallait rééquilibrer la relation en le faisant constructeur de son propre savoir — d’où l’appellation de "constructivisme" donné à ces théories abracadabrantesques, mais fort répandues dans tout el monde occidental.
En France, c’est la loi Jospin (1989) qui a définitivement consacré le triomphe de cette idéologie létale. Dans la foulée, Philippe Meirieu a imposé les IUFM (dont les ESPE sont aujourd’hui les héritiers hystériques), puisqu’à élève nouveau il fallait, bien entendu, des maîtres nouveaux, dont les compétences seraient d’abord didactiques avant d’être disciplinaires.

À la source de ces délires dangereux, en France, l’idéologie de gauche transbahutée, via Mai 68, par les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes et le SGEN-CFDT (actuellement fervent défenseur des réformes en cours). Ajoutez-y, côté enseignant, le rêve du SE-UNSA de ne plus avoir, dans l’optique du plan Langevin-Wallon de la Libération, qu’un seul corps de la Maternelle à l’Université. La haine de l’élite (à commencer par l’élite professorale) était née.
Elle s’est transposée au niveau des élèves. Une fois que vous pensez avoir atteint la "vérité" pédagogique, il n’y a pas de raison de distinguer en quelque manière (d’où les tentatives nombreuses de répudiation de la notation) entre les élèves, idéalement tous égaux.

Cette dictature des égaux a eu deux effets directs : elle a dégoûté ceux qui avaient quelques talents de plus, et anéanti ceux qui avaient des difficultés. C’est une idéologie du juste milieu, un rêve optimiste, qui ne correspond à rien de ce qui se passe dans la réalité des classes.

Pierre Duriot : Il ne faut pas raisonner uniquement sur l'école et par l'école, même si le Goff, dans une récente interview accordée à Marianne, évoque avec raison l'irruption de la psychologie et du pédagogisme. L'institution n'a pas initié ce processus mais accompagné les changements sociétaux de la plus mauvaise des manières. A mesure que gagnaient dans la société les modalités d'un hédonisme moderne basé sur le principe de plaisir assumé, le temps de loisir, le tourisme, la consommation, l'école s'est conformée au mouvement au lieu de tenir les cadres et le rôle de garant d'une forme de stabilité. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Parce que si le statut de l'enfant a changé, s'il est passé d'enfant à construire pour perpétuer, à celui d'enfant plaisir, voir même d'enfant jouet, destiné souvent justement, à ne pas grandir puisqu'il comble ses parents en tant que petit, la société à laquelle on livre ces enfant n'a pas foncièrement changé. Elle reste celle du travail, de l'argent, de la frustration et de la collectivité. L'école a contribué à ce que tout ce qui concerne l'enfant soit individualisé, a fait de lui le centre de tout, pour finalement le propulser dans une société où il n'est le centre de rien. D'où pas mal de problèmes d'adaptation qui font le bonheur des sociologues.

Dans cette veine, on a banni l'autorité traumatisante, instauré le travail "en s'amusant", privilégié le bien-être plutôt que le savoir... au final, l'école ne fait plus grandir, n'émancipe plus, elle infantilise, déresponsabilise, les enfants, mais aussi parents. Ces derniers, faisant le choix de l'école privée, sont ceux qui se revendiquent une responsabilité éducative, le choix d'un travail, d'une rigueur, de principes et qui en ont les moyens. D'autres, revendiquent également leur rôle de parents mais n'ont pas la possibilité du privé. Et enfin, laisser la responsabilité à l'école est non seulement pratique mais électoralement payant. En plus de psychologiser, l'école a servi de terrain politique et idéologique.

En témoignent l'incursion de nombreuses disciplines relevant précédemment des apprentissages familiaux et désormais traités à l'école : l'hygiène, la nutrition, savoir nager, faire du vélo... Le message est clair : "Prenez du plaisir avec vos enfants, l'école va se charger des tâches ingrates". Mais éduquer, perpétuer des principes, instruire tout en refusant la contrainte, en atténuant l'effort, en déniant l'autorité des professeurs et en se soumettant à l'enfant central tout puissant, a quelque chose de schizophrénique. Et pourtant, certains professeurs y ont cru, d'autres moins et aujourd'hui les désaccords sont profonds sur l'approche du métier.

Comment cet affaiblissement du lien social peut-il se caractériser, dans quelle mesure par exemple est-ce que l'enseignement privé peut-il représenter une alternative plus crédible aux yeux des parents ?

Patrick Roux : On peut dire que dans l'enseignement en Primaire et supérieur, l'enseigment privé représente un réel intérêt chez les parents. En une vingtaine d'années, la proportion d'étudiants inscrits dans des établissements indépendants est passée de 10% à 20%. Contre toutes attentes, ces nouveaux "clients" de l'enseignement privés sont constitués à 95% de classes moyennes, car nombre de parents considèrent que c'est une meilleure alternative pour réussir professionnellement. Et cela se voit dès l'école primaire où les parents sont désormais conscients que la méthodologie, les structures de raisonnement, ainsi que l'essentiel des savoirs utiles sont acquis entre 0 et 7 ans.

Ce recours n'est par ailleurs pas forcément justifié, certaines écoles publiques proposant un bon niveau d'enseignement. Mais lorsque la qualité est remis en question, avec des professeurs absents par exemple, ou que l'orientation de certaines réformes ne sont pas comprises, comme par exemple pour la réforme des rythmes scolaires les parents préfèrent alors confier leur enfant à l'enseignement privé. 

Quelles sont les principales réformes qui ont participé symboliquement, ou effectivement à cet affaiblissement ?

Jean-Paul Brighelli : Elles sont innombrables. Dès les années 50, par exemple, est tombée l’interdiction de donner des devoirs à la maison — afin de ne pas favoriser ceux dont les parents seraient susceptibles de les aider. La réforme dite des "maths modernes", à la fin des années 60, avait le même fondement — et en français, l’usage immodéré de la linguistique en lieu et place des catégories grammaticales classiques visaient le même but. Le collège unique instauré par René Haby, ministre de Giscard d’Estaing, allait dans le même sens — et ce fut un désastre qui continue aujourd’hui. La loi Jospin plaçant l’élève "au centre du système" et lui conférant le "droit à l’expression", sans considération de ses capacités ou de ses talents, participait de la même idéologie égalitariste.

Ce qu’il faut absolument saisir, c’est que chaque mesure visant à fabriquer artificiellement de l’égalité a fabriqué pratiquement des inégalités. Les classes favorisées ont eu recours à des cours particuliers, ont plébiscité peu à peu l’école privée, pendant que les plus démunis croupissaient dans les ghettos scolaires installés par nos idéologues, avec les meilleures intentions du monde, au cœur des ghettos sociaux. Au moins, on était sûr qu’ils n’en sortiraient pas.

La réforme de Mme Vallaud-Belkacem va exactement dans le même sens. En supprimant par exemple l’Aide personnalisée, c’est-à-dire en décidant que cette aide concernerait tous les élèves, elle ruine la possibilité même d’aider tel ou tel élève précis à rattraper ses camarades — et on cachera cela en abaissant le niveau général.

Pierre Duriot : 80% d'une classe d'âge au bac, quand on y repense des années après, n'est ce pas là déjà, un aveu de démagogie ? Si on veut 80% de paniers au basket, soit on s'entraîne encore plus, soit au diminue la hauteur du panneau : c'est bien la seconde solution qui a été choisie, l'excellence bien sûr ne peut en aucun cas se décréter, mais être atteinte en jouant sur le travail et les conditions du travail.

Puis ce mépris, trop longtemps, de ces métiers manuels que l'on découvre maintenant, trop tard. Ils refleurissent sous forme d'émissions de téléréalité où l'on glorifie des gestes techniques que l'on apprenait à l'école précédemment. Les empoignades sur les méthodes de lecture, les expérimentations hasardeuses, dont on est souvent revenu, mais avec quels dégâts, les réformes perpétuelles, toutes attachées à un nom de ministre, ont contribué à introduire du flou, de la discontinuité, de la perte de sens. Les réformes également de la formation des profs, l'abandon progressif de la formation pédagogique au profit du diplôme devenu élevé mais non professionnalisant, sont en cause. On peut toujours citer quelques grandes dates, les maths modernes, le collège unique, les 80% d'une classe d'âge au bac, mais je crois plus à un effet à la fois cumulatif et idéologique, à la multiplication des ministres soucieux de laisser leur empreinte, couplée à une démagogie électorale et politique, assortie d'un souci d'égalité relevant plus de l'égalitarisme. Au final, à cet élitisme perçu comme injuste on a préféré l'égalité médiocre, par idéologie. L'élitisme est passé au privé et à l'argent et la baisse des résultats s'est vérifiée au fil du temps dans les enquêtes européennes.

Les bons sentiments gauchisants auront fait moins bien que la "tyrannie" des hussards. L'hermétisme entre les couches sociales s'est renforcé et l'école a perdu de cette superbe qui lui avait permis la massification du savoir dans l'après-guerre. Les tenants du pédagogisme expliquent que les enfants d'aujourd'hui sont titulaires d'un autre savoir, d'autres savoir-faire, certes, mais plus de ces "bases" à la fois généralistes et comportementales encore attendues par un monde professionnel lui aussi condamné à s'adapter.

La focalisation de "l'égalitarisme", et le combat contre "l'élitisme dynastique" de la ministre de l’Education nationale, est-elle forcément efficiente pour lutter contre les égalités de traitement ?

Jean-Paul Brighelli : Non, bien sur. C’est même exactement le contraire. Obsédés par Bourdieu, qui dans les années 1960 dénonçait non sans raison les inégalités de l’élitisme républicain, nos théoriciens actuels ont accentué ces inégalités. La réforme en cours aura le même effet — j’en arrive parfois à me demander si ce n’est pas, au fond, l’intention profonde de gens qui n’ont jamais eu de problème pour savoir dans quelle excellente école inscrire leurs propres enfants. Une caste au pouvoir défend ses privilèges — et ceux de ses rejetons.

Pierre Duriot : Aucun combat contre l'élitisme n'est efficient, il va falloir finir par accepter cette idée, même à la gauche de la gauche ! L'inégalité est inhérente à la condition humaine et les personnes en capacité de dépasser leurs congénères y arriveront toujours, d'une manière ou d'une autre. Le rôle de l'école n'est pas de laminer l'élitisme par le "combat" contre l'inégalité mais de contribuer à réduire les inégalités et à rendre acceptable, par la reconnaissance sociale, la vie de celui qui n'arrive pas aux sommets de la société telle qu'on la propose. L'élitisme poussé à son paroxysme est dans un certain sens la loi de la jungle. Le rôle des valeurs républicaines, ou celui des structures sociales, est de protéger les plus faibles, de permettre l'ascension et l'acquisition à la mesure de ses capacités, pas de briser les jambes des chevaux de course. En somme, veiller à ce que la compétition soit disputée dans le respect des règles, même par les champions, puisque qu'elle est présente indubitablement dans la nature humaine.

Refuser la sélection, cela ne signifie-t-il pas également de refuser le principe de méritocratie ? En quoi cela pourrait-il avoir l'effet inverse, et conforter les élèves issus des catégories aisées ?

Jean-Paul Brighelli : C’est évident. À l’arrivée, on a une école à deux vitesses (bons établissements privés u publics / établissements en grande difficulté), qui recrute en fonction d’une carte géographique qui est aussi une carte sociale : ce sont les loyers qui décident de l’implantation de telle ou telle classe sociale dans tel ou tel quartier, et les "bons"  établissements, ô miracle, sont justement installés dans les quartiers où vivent les riches et les puissants — et les ministres. Leurs enfants n’iront pas plus mal, malgré les réformes successives — ils ont ce qu’il faut pour compenser à la maison. Les autres, on feint de s’en occuper, on leur distribue des tablettes comme si ça remplaçait une bibliothèque familiale, et on s’en lave les mains.

Pierre Duriot : La société est assez ambiguë sur ces thématiques de sélection. Elle la tolère et même l'encourage dans le sport, la musique, le management et la refuse à l'école. Refuser le principe de la méritocratie est totalement illusoire dans la mesure où avec ou sans notes, les élèves eux-mêmes savent pertinemment qui sont les meilleurs d'entre eux. On ne réussit qu'à décourager les meilleurs, tout en illusionnant les moins bons. Il faut cependant se rappeler que réussir à l'école n'est pas réussir tout court. Le système scolaire propose un tri, basé sur des critères, mais il existe d'autres tris avec d'autres critères et encore une fois, il est permis de quitter le système, du moins quand on en a les moyens. Les catégories aisées disposent d'un milieu plus enrichissant, de moyens de compenser des faiblesses scolaires par le cours privé, mais aussi, par leurs réseaux, de placer leurs enfants à des postes appréciables, même s'ils n'en ont pas forcément la compétence.

Qui sont aujourd'hui les Français qui ne croient plus en l'école, qui estiment qu'elle ne peut rien faire pour eux ? Et que lui reprochent-elles concrètement ?

Jean-Paul Brighelli : Y a-t-il encore des Français qui croient en l’école — à part ceux qui savent en profiter parce qu’ils sont nés avec une cuillère en agent dans la bouche ? Les Français sont dégoûtés et déboussolés, prêts à croire aux vertus de n’importe quelle officine qui leur promet le succès de leurs enfants (Acadomia a merveilleusement prospéré sur les ruines de l’école de la République) ou à la recette-miracle finlandaise — même si on sait aujourd’hui que les meilleurs résultats sont obtenus par des pays, Commune de Shanghai ou Singapour, dans lesquels  éduque encore à l’ancienne, en transmission verticale des savoirs et des valeurs — parce qu’il n’y a pas d’autre système. Pas d’autre système qui marche, en tout cas.

Pierre Duriot : Mais l'école jouit encore, au primaire du moins, d'une relative bonne cote, ce qui empêche sa liquidation pure et simple, ou sa marchandisation immédiate, puisqu'à terme c'est bien de cela qu'il s'agira. Les parents y croient encore, majoritairement, mais se débattent eux aussi avec ces enfants d'aujourd'hui qui ne sont indubitablement plus les mêmes que ceux d'hier. Evidemment, les contentieux se multiplient, alors que tout le monde ou presque est pour le travail, pour les règles et la discipline et pour l'excellence, mais parfois, surtout pour les enfants des autres. Et l'on vient égoïstement défendre "le sien", en clair, l'exempter des règles collectives, ou tenter de le faire. Tout le monde pense que l'école peut faire quelque chose pour lui, puisque tout le monde met son enfant à l'école, mais éventuellement dans une autre école que l'école publique. Les cas de scolarisation à la maison, pourtant autorisés, restent extrêmement marginaux, même si les effets de reportages en trompe l'oeil donnent l'impression du contraire. En entretien, les parents disent tous vouloir pour leur enfant plus de travail, plus de sérieux, plus de résultat. En pratique c'est surtout le statut de l'enfant petit qui a plus changé que l'école, dans nos sociétés. Parents et enseignants tentent, à partir du CP bien souvent, de batailler, de faire devenir des élèves ces enfants, plus ou moins tout puissants, trop peu éduqués, qu'on aimerait mais un peu tard, voir se conformer à la société qu'on leur propose.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !