Comment la France et les Etats-Unis se sont totalement laissés marginaliser par la Russie dans le Caucase<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain Joe Biden et le président russe Vladimir Poutine arrivent pour un sommet américano-russe à la Villa La Grange à Genève, le 16 juin 2021.
Le président américain Joe Biden et le président russe Vladimir Poutine arrivent pour un sommet américano-russe à la Villa La Grange à Genève, le 16 juin 2021.
©SAUL LOEB / PISCINE / AFP

Arménie / Azerbaïdjan

Le conflit au Haut-Karabakh a révélé la perte d'influence des Etats-Unis et de la France dans la région. Les dirigeants européens et le président américain peuvent-ils limiter l'emprise de la Russie en multipliant les tractations diplomatiques ?

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Le conflit au Haut-Karabakh qui a éclaté l’année dernière a révélé tout le déficit d’influence de la Maison Blanche et de l’Élysée sur la région. Réticent à s’engager dans le processus de méditation, ils ont laissé à la Russie le soin d’être la force de la paix. Comment l’Europe et les États-Unis ont-ils laissé la région glisser sous giron russe ? 

Cyrille Bret : Européens et Américains ont de solides raisons pour assumer de fortes responsabilités dans la région du Caucase mérional. Dans cette zone constituée d’anciennes Républiques Socialistes Soviétiques (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), ils ont développé leurs investissements économiques, militaires, politiques et financiers depuis la fin de l’URSS et l’indépendance de ces Etats. Sur le plan militaire et politiques, Américains et Français assurent la présidence du Groupe de Minsk constituée pour résoudre le conflit entre Arménie et Azerbaïdjan en 1991-1992. De plus, de nombreux Etats membres de l’Union sont parties à ce groupe comme la Suède, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal. Les Occidentaux auraient dû être plus présents dans le cessez-le-feu et les mesures de réassurance du conflit de l’année dernière. De plus, sur le plan administratif et juridique, l’Union européenne a lancé depuis plus d’une décennie des progammes de coopération et de subventions à ces Etats dans le cadre de sa politique de voisinage. Enfin, la Géorgie et, dans une moindre mesure les deux autres Etats de la région, revendiquent leur ancrage dans l’espace culturel européen et occidental notamment pour solder le passé impérialiste russe dans la région.

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Toutefois, après avoir investi la région durant les années 2000, les Américains se sont désintéressé de la région et limitent leur action à susciter un désir d’OTAN en Géorgie sans pouvoir lui donner de suite.

C’est ainsi que la Russie a repris – avec des limites – son rôle dans la région : avec la Turquie elle est chargée d’assurer les mesures de cessez-le-feu et de réassurance dans la région disputée du Haut Karabakh. Le vide relatif laissé par les Occidentaux a été rapidement comblé. Moscou s’est affirmé comme seul capable d’envoyer des contingents militaires pour assurer le cessez-le-feu. Les relations traditionnelles nouées avec les élites arméniennes et azerbaïdjanais sont fortes : elles sont toujours russophones et parfois formées à Moscou dans les institutions civiles ou militaires.

Malgré la remarquable activité du réseau diplomatique français, les Européens ont manqué une occasion de promouvoir la paix dans leur arrière cour.

Y a-t-il un désir du Kremlin de réaffirmer son hégémonie sur une région qu’elle considère comme l’une de ses sphères d’influence ? Comment cela se manifeste-t-il ? 

Cyrille Bret : La Fédération de Russie réaffirme son rôle dans la région depuis une décennie (la guerre contre la Géorgie en 2008) pour de multiples raisons dont certaines sont très solides.

Premièrement, le Caucase dans son ensemble est d’intérêt sécuritaire direct pour la Russie. Sur le flanc nord, les « sujets » de la Fédération de Russie (ses territoires fédérés) Daghestan, Tchétchénie, etc. sont surveillés de façon étroite en raison de la présence de mouvements autonomistes et islamistes. Deuxièmement, la Russie voit son rôle caucasien contesté non seulement par les Occidentaux mais surtout et beaucoup plus profondément par les puissances en expansion que sont la Turquie, l’Iran et la Chine. La Turquie a appuyé de bien des façons l’Azerbaïdjan dans son conflit avec l’Arménie. L’Iran, limitrophe, est également très investi dans les affaires caspiennes. Quant à la Chine, elle fait transiter ses routes de la soie par le Caucase et a noué des partenariats économiques considérables en Azerbaïdjan et en Géorgie.

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Autrement dit, la réaction de Moscou de l’année dernière était sans doute plus centrée sur les influences turques, iraniennes et chinoises que sur une présence occidentale en retrait.

Présence militaire, investissements économiques, développement de l’Union économique eurasiatique, la Russie se considère comme devant réinvestir cette région essentielle à son influence au Moyen-Orient.

Est-il encore possible que l’Occident empêche que la région glisse sous la coupe de la Russie en intensifiant son jeu diplomatique ? 

Cyrille Bret : Il est bien tard désormais, surtout sur le plan militaire. Les acteurs de la région sont de moins en moins intéressés par une présence militaire occidentale. La Géorgie, seul candidat à l’adhésion à l’OTAN, a compris que cette perspective ne serait source que de frustrations. Quant aux investissements économiques, ils sont encore limités du côté européen car la discontinuité territoriale avec l’Union et l’exiguïté des marchés locaux décourage. Toutefois, l’Union a les moyens de reconstruire son influence juridique, administrative et donc politique sur le long terme avec sa politique de voisinage.

Souvent angle mort de la géopolitique européenne, le Caucase permettrait aux Européens de s’affirmer dans cette zone au carrefour de toutes les plaques tectoniques de la géopolitique eurasiatique.

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