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Comment la Chine déroule méthodiquement son plan pour imposer sa super puissance militaire
©Reuters

L'art de la guerre

Selon l'historien américain Hal Brands, la Chine aurait de vraie prétentions militaires. Et pas qu'au niveau régional, comme on l'entend souvent.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Dans une tribune publiée par Bloomberg, l'historien Hal Brands développe l'idée d'une Chine dont les véritables intentions militaires auraient une dimension mondiale, et non simplement régionale comme cela est avancé le plus souvent. Quels sont les éléments tangibles permettant de soutenir cette vision d'une telle ambition chinoise ? Quelles sont les raisons poussant Pékin en ce sens ? 

Guillaume Lagane :  Après la victoire de Mao en 1949, la Chine communiste a mené pendant plusieurs décennies une politique qui était essentiellement régionale avec deux objectifs ; la question de Taiwan d'une part et, d'autre part, la sécurisation de son territoire compte tenu d'une possible attaque américaine dans le prolongement de la guerre de Corée.

Avec l'ouverture du pays sous Deng Xiaoping, la politique chinoise s'est ouverte sur l'international puisque désormais, l'important pour Pékin est la sécurisation de ses routes commerciales à la fois d'exportation vers l'occident et d'importation des matières premières, la Chine étant devenue en 2008 le premier importateur mondial d'énergie. Petit à petit, à la suite de cette expansion économique, la Chine est passée d'une ambition régionale à une ambition mondiale, celle d'être, comme cela est dit en mandarin Da Guo , c’est-à-dire une grande puissance. Finalement, en faisant cela, la Chine retrouve l'ambition nationaliste qui était la sienne, qui consiste à donner à Pékin la place que l'Empire du milieu avait au début du XIXe siècle, c'est à dire la première puissance mondiale en termes à la fois économiques et démographiques.

Pour mener à bien cette ambition, les deux outils utilisés par la Chine sont d'une part la politique militaire, Pékin est ainsi devenue depuis une dizaine d'année le deuxième budget militaire mondial. Et elle a profondément transformé son armée qui était une armée de défense territoriale en une armée capable d'interventions extérieures. Il faut rappeler que la Chine a acquis un porte-avion d'abord à l'Ukraine puis en a construit un autre et aujourd'hui en vise un troisième. La Chine étend son emprise petit à petit avec l'ouverture de bases militaires à l'étranger dont la principale, et la seule en réalité est située à Djibouti. Mais cela est un changement énorme par rapport à une puissance qui est jusqu'ici réputée régionale. Puis, d'autre part, le second outil qui est l'influence socio-économique. Cela est à la fois le prestige de Pékin - le consensus de Pékin - c’est-à-dire la promesse d'un modèle chinois qui assure stabilité politique et expansion économique , mais également les investissements chinois. On peut citer la route de la soie - le "One Belt One Road" - qui est un projet d'investissements avec la Banque asiatique d'investissements et d'infrastructures. La Chine fait aujourd'hui feu de tout bois. Elle promet aux pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique Latine des investissements et des routes commerciales. Derrière cet aspect économique il y a un aspect politique avec l'influence de la Chine qui s'étend.

Quels sont les défis qui attendent les États-Unis découlant d'une telle ambition chinoise ? Que peut-on attendre de ce qui apparaît comme une concurrence pour Washington, quels sont les points de friction à venir entre les deux pays ? 

L'émergence de la Chine est un peu ambivalente pour les Etats-Unis. D'un côté cela est quelque chose qu'ils ont constamment recherché depuis les années 70 et la politique de Kissinger. Il y a la volonté des Américains d'avoir une Chine qui se développe et prospère, sur la base d'un calcul qui est que plus la Chine sera riche plus elle sera connectée avec l'Occident et moins elle sera un État agressif, révolutionnaire, et désireux de faire la guerre à l'Occident. De ce point de vue-là, cela est plutôt positif, mais la surprise des années 80 et de Tian'anmen est que la Chine a connu un développement économique mais sans se libéraliser sur le plan politique. Elle est toujours un État dont l'idéologie est le marxisme -elle a fêté en grandes pompes le bicentenaire de la naissance de Karl Marx cette année – donc le défi pour Washington est de voir un concurrent stratégique avec des valeurs très différentes de celles de l'Occident arriver et menacer sa stratégie. Alors comment les Américains réagissent-ils ? Il y a eu la politique d'Obama de pivot vers l'Asie donc de renforcement des alliances avec les alliés traditionnels de l'Amérique comme le Japon ou la Corée du Sud, ils ont aussi renoué des liens avec le Vietnam par exemple, bien que communiste. Aujourd'hui, on peut dire que la politique de Donald Trump, qui, même si elle paraît un peu erratique, conserve quand même cette même logique puisque les Américains mènent des patrouilles militaires en mer de Chine pour dénier à Pékin toute souveraineté sur les îlots qu'ils revendiquent. Et puis d'autre part, on peut même interpréter le sommet avec Kim Jung-un comme une forme de réengagement américain dans la région parce qu'effectivement si la Corée du Nord s'engage dans une discussion avec Washington et Séoul, c'est une manière de la désolidariser de son allié chinois.

Sur le long terme, il sera difficile pour les Américains de contrôler la puissance militaire chinoise parce qu'elle est en extension constante mais ce "long terme" sera tout de même long à venir parce qu'aujourd'hui les positions des Etats-Unis sont très assurées en Asie avec quand même une présence militaire et politique qui est forte. Mais inévitablement la rivalité est là, et on peut voir par exemple les Philippines hésiter entre les deux blocs chinois et américain.

Ainsi, la rivalité est évidente mais on peut imaginer des scénarios de coopération avec la constitution d'une sorte de G2 – un dialogue sino-américain- qui aurait pour objet d'essayer d'éviter les crises. D'une certaine manière, c'est ce que l'on voit avec la Corée du Nord parce que les Chinois semblent avoir exercé une forte pression économique sur Pyongyang pour qu'elle change un peu sa politique et aille vers plus de coopération avec les Américains. En même temps que les Chinois entretiennent ces ambitions qui les opposent aux Américains, il ne faut pas oublier que ces derniers restent leurs premiers clients et leur premier foyer de placement avec les achats de bons du Trésor américain. Les liens sont très importants et pour l'instant l'espoir que l'on peut avoir est que ces intérêts économiques l'emportent sur la rivalité politique.

Comment l'Europe se positionne-t-elle dans cette dynamique entre États-Unis et Chine ?

L'Europe voit un peu les choses de loin parce que la rivalité sino-américaine s'exerce surtout dans le Pacifique mais incontestablement, là aussi, l'Europe voit cette influence chinoise se manifester. On la voit presque aux frontières de l'Europe, au sud on voit la Chinafrique se développer – les investissements chinois en Afrique sont de plus en plus importants – alors que l'influence européenne régresse dans le même temps sur le continent africain. On voit aussi les Chinois commencer à être un acteur important à l'est de l'Europe, ils nouent des relations privilégiées avec un État comme la Serbie, ils investissent en Grèce compte tenu des difficultés économiques du pays et puis on les voit aussi arriver au nord avec l'arctique. Il y a toute une politique chinoise de routes de la soie arctique avec le développement de bases scientifiques dans certaines îles, et ils sont aussi intéressés par l'indépendance du Groenland qui pourrait devenir une sorte d'allié régional dans les zones polaires. On voit un peu partout cette influence chinoise encercler l'Europe et à terme, même s'il y a évidement des aspects positifs à cette influence, il y a aussi un défi politique que l'Europe devra relever.

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