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Comment l'Iran demeure le principal sponsor du terrorisme au monde
©Reuters

Ayatollah

Dans son rapport annuel, le département d'Etat américain a désigné l'Iran comme principal sponsor du terrorisme mondial. De son côté, le Guide suprême iranien a écarté toute coopération avec les Etats-Unis sur les crises qui secouent la région. Le signe qu'en dépit de la levée des sanctions, la normalisation des relations irano-américaines sera un processus long et douloureux.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Le département d'Etat américain (l'équivalent de notre ministère des Affaires étrangères) a désigné dans son rapport annuel l'Iran comme le principal sponsor du terrorisme mondial. Quels sont les groupes terroristes soutenus, financés, et/ou fondés par Téhéran ? A quel point l'Iran contribue-t-il à l'instabilité régionale par ce soutien au terrorisme ?

Alain Rodier : Il est tout à fait vrai que l’Iran a utilisé par le passé le terrorisme comme moyen d’action, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Tout d’abord, le régime des mollahs a employé ce moyen pour museler toute velléité d’opposition à l’intérieur puis à l’extérieur. Ce sont donc d’abord des Iraniens "déviants" qui ont été les premiers visés. En France, nous nous rappelons de l’assassinat à l’arme blanche le 6 août 1991 de Chapour Bakhtiar, le dernier  sous le Chah Mohammad Reza Pahlavi.

Dès la Révolution, la prise d’otages de l’ambassade américaine (1979-1981) a été un exemple flagrant des actions terroristes dirigées contre les "ennemis extérieurs". Ensuite, les attaques lancées au Liban, en particulier contre les contingents américain et français le 23 octobre 1983, ont démontré que Téhéran utilisait ce que l’on a alors qualifié de "terrorisme d’Etat" pour le distinguer du terrorisme issu de groupes indépendants. Parallèlement, l’Iran a systématiquement ciblé son ennemi désigné, Israël, et ses intérêts à l’étranger. Les opérations terroristes les plus marquantes ont été dirigées contre la représentation diplomatique israélienne à Buenos Aires en Argentine en 1992 et l’Association mutuelle israélite en Argentine (AMIA) en 1994. La plus récente est celle de Bulgarie du 18 juillet 2012 qui a tués cinq ressortissants israéliens et leur chauffeur local sans parler des 32 malheureux blessés. Au Proche-Orient, Téhéran a multiplié les opérations terroristes contre l’Etat hébreu, souvent par mouvements palestiniens ou Hezbollah libanais interposés. Il a en particulier financé le Jihad islamique palestinien (JIP) et, jusqu’au déclenchement de la révolution syrienne, le Hamas. Comme ce mouvement a condamné ouvertement la conduite répressive du régime syrien, le soutien de Téhéran, grand allié de Damas, a été suspendu. Il est possible que le temps passant, l’Iran ait repris une certaine aide au Hamas.

Le Hezbollah est un cas particulier. Sa vitrine civile, qui participe directement à la vie politique libanaise, n’est plus reconnue comme "terroriste" par beaucoup d’Etats en dehors des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de l’Australie et d’Israël. Par contre, sa branche militaire est considérée comme "terroriste" par les Etats cités précédemment et l’Union Européenne, la Ligue arabe, etc. Cela est la conséquence directe de l’intervention du Hezbollah en Syrie depuis 2011 où, soit dit en passant, ce mouvements enregistre de nombreuses pertes ce qui tend à prouver qu’il est aux premières lignes.

Avec la logique qui les caractérise, les Américains - suivis par la majorité des pays occidentaux - considèrent que le régime de Bachar el-Assad est lui-même "terroriste". En conséquence, l’Iran qui le soutient est assimilé à un de ses "sponsors". Washington n’a tout de même pas encore poussé l’argumentation jusqu’à déclarer la Russie comme "terroriste" mais avec ce qui se passe aussi en Ukraine et en Europe, nous n’en sommes plus bien loin.

Par contre, pas un mot sur les Saoudiens et les Qataris pour leur soutien au salafisme pour les premiers et aux Frères musulmans pour les seconds. Il est vrai que l’on ne base pas une politique étrangère sur la morale mais sur ses intérêts. Personne ne semble trouver d’inconvénient majeur à ce que l’Arabie saoudite, le Qatar plus la Turquie, soient les "sponsors" du Front Al-Nosra, le bras armé d’Al-Qaida "canal historique" en Syrie. La mémoire des attentats du 11 septembre 2001, de Madrid en 2004, de Londres en 2005, et de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de Paris en janvier 2015 semble être un peu brumeuse. Il faut dire que le Front Al-Nosra aurait reçu pour consigne de ne pas étendre pour l’instant ses combats en dehors de la Syrie. Son émir, al-Joulani, l’a même avoué lors d’une interview : cela changera s’il en reçoit l’ordre (du docteur al-Zawahiri). Les Américains,qui avaient clamé l’existence d’une cellule spéciale au sein du Front Al-Nosra chargée des opérations terroristes à l’étranger (baptisée Khorasan) lors du début de leurs bombardements en Syrie, semblent l’avoir temporairement oublié, surtout depuis l’intervention de Moscou en septembre 2015. Les Russes sont aimablement priés d’éviter de frapper les rebelles "modérés" qui combattent le "terroriste" Assad et, bien que le Front Al-Nosra soit exclu de la trêve conclue en début d’année, il leur est aussi demandé d’éviter de le bombarder car ce mouvement est trop noyé au sein de ses confrères "modérés". D’ailleurs, il semble également se passer des choses étranges sur le Golan dont la frontière est théoriquement hermétiquement fermée par Israël. A savoir que, par souci humanitaire, de nombreux blessés sont soignés dans les hôpitaux israéliens. La majorité d’entre eux seraient des rebelles renvoyés au combat dès leur guérison. Il se pourrait que parmi eux, il y ait un certain nombre de membres du Front Al-Nosra… Cette information n’est, bien sûr, pas confirmée. Par contre, il convient de comprendre que pour l’Etat hébreu, l’adversaire prioritaire reste l’Iran.

Le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a récemment déclaré : "C'est une grand erreur de faire confiance à la Grande-Bretagne et au Grand Satan (...). Nous ne coopérerons pas avec l'Amérique sur les crises régionales. (...). Leurs buts dans la région sont opposés aux nôtres à 180°". La levée des sanctions et l'accord sur le nucléaire iranien ont-ils été sans effets sur la relation irano-américaine ? Pourquoi la relation entre l'Iran et les Etats-Unis, sans aller jusqu'à la normalisation, n'est-elle pas davantage empreinte de coopération et de confiance ?

A propos de la Grande-Bretagne, le guide suprême de la Révolution l’a qualifié de "diable"… La réaction de Téhéran est venue après la publication du rapport du Département d’Etat. Elle peut donc être considérée comme une "réponse du berger à la bergère". En fait, Washington, qui a négocié avec Téhéran un accord sur le nucléaire, tente par tous les moyens de calmer l’ire que cet accord - considéré comme scélérat - a provoqué en Israël et en Arabie saoudite. Le rapport est donc le "prix à payer" pour faire "avaler la pilule" aux dirigeants de ces grands alliés des Etats-Unis.

La confiance entre Téhéran et Washington (et inversement) est complètement absente. Alors, nous sommes encore très loin de toute coopération effective. Même les pays européens se méfient et tardent à investir en Iran de peur que les Américains ne viennent les sanctionner après coup pour ne pas avoir respecté tel ou tel alinéa des règlements qu’ils édictent pour régir la planète. Cela n’a d’ailleurs pas empêché Boeing d’obtenir un début d’accord pour la vente d’une centaine de longs courriers au détriment d’Airbus. De là à penser que les règles sont faussées par les Etats-Unis eux-mêmes, il n’y a pas loin.

Le fait que les intérêts des deux parties au Proche-Orient soient à l’opposé n’est pas étonnant. Washington veut se désengager pour consacrer ses efforts à l’Extrême-Orient tout en préservant Israël, Téhéran veut étendre son influence sur l’arc chiite (Iran, Irak, une partie de la Syrie et du Liban, Bahreïn, Yémen) en se faisant le chantre de la cause palestinienne – et pourtant les Palestiniens sont presque exclusivement sunnites  contre l’Etat hébreu.

Les propos du Guide et l'activisme terroriste iranien pourraient-ils remettre en question l'accord sur le nucléaire, notamment après l'élection présidentielle américaine ? Et dans le cas contraire, comment les relations entre les deux pays pourraient-elles évoluer ?

Le Guide reste un conservateur qui voit toujours en Washington le "Grand Satan". Il se fera donc un plaisir d’ordonner le redémarrage du programme nucléaire militaire quand il le jugera bon. Personnellement, je doute d’ailleurs que les dirigeants iraniens, dans leur ensemble, y aient réellement renoncé. L’important pour eux, c’est que cela ne se sache pas. Certes, Hassan Rohani, le président actuel, est présenté comme un "modéré". En dehors du fait que ce n’est pas lui qui a le pouvoir final de décision mais bien l’Ayatollah Ali Khamenei, c’est oublier un peu vite que c’est sous la présidence du très "modéré" Mohammad Khatami (1997-2001) que le programme nucléaire militaire iranien aurait réellement démarré. Sans entrer trop dans la technique, si les recherches semblent avoir cessé en ce qui concerne une charge nucléaire (1), ce n’est pas le cas pour les vecteurs que sont les missiles balistiques. Plusieurs essais ont eu lieu en mars 2016 attirant de nouvelles sanctions financières de la part de Washington.

Tout va maintenant dépendre du futur président des Etats-Unis. Pour l’instant, ni Donald Trump, ni Hillary Clinton ne me semblent être des modérés. Ils chassent tous les deux sur les terres des néoconservateurs, même si Hillary Clinton s’en défend (par exemple, elle avait approuvé l’intervention américaine en Irak pour détruire les armes de destruction massive de Saddam Hussein).

Cela dit, sur le terrain, des problèmes se posent. Les Américains doivent se demander "qui est l’ennemi ?". En Irak, il semble qu’ils aient le même que le régime en place à Bagdad et que les Iraniens qui interviennent directement, particulièrement dans la bataille de Falloudja. Le major-général Qassem Souleimani, le chef de la force Al-Qods des pasdarans (le Service Action des gardiens de la Révolution) y a été photographié à grand renfort de publicité. La force Al-Qods et son chef sont classés comme "terroristes" par Washington et objets de sanctions par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela n’empêche pas au très médiatisé général iranien, qui a un air de ressemblance avec Sean Connery dans le film Octobre Rouge, de se rendre de temps en temps à Moscou pour y faire son rapport. En Syrie, le problème se pose aussi. Le distinguo entre "terroristes" et rebelles combattant le régime "terroriste" de Bachar el-Assad est difficile à faire. Washington reproche d’ailleurs à Moscou de bombarder certaines des ses "ouailles". Moscou réplique en affirmant que les Américains n’ont toujours pas fourni les renseignements qui permettent de les identifier clairement.

Pour résumer cet imbroglio très compliqué, il semble que la politique des Etats-Unis est illisible, même de leur propre aveu, par de nombreux Américains eux-mêmes. Des membres du Département d’Etat viennent de signer une pétition demandant le bombardement de positions du régime syrien et donc, indirectement, engagent un processus guerrier contre la Russie (2). La politique belliciste menée vis-à-vis de Moscou relève maintenant de l’hystérie (heureusement, le président Poutine garde -pour le moment- son calme légendaire). La suite de l’élection présidentielle aux Etats-Unis est porteuse de très grandes inquiétudes car, dans les deux cas de figure envisagés (Clinton ou Trump), les "néocons" seront aux manettes. Mais pour une fois, ne donnons pas de leçons : est-ce que la politique étrangère de la France est plus compréhensible ?

  1. (1). Il semble que les Iraniens en étaient à la phase d’amorçage, de miniaturisation et de résistance à différentes contraintes mécaniques et thermiques provoquées lors de le rentrée dans l’atmosphère.
  2. 2. qui est en train de renforcer son dispositif militaire en Syrie après un retrait très relatif.

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