Moins 15 % en Allemagne et plus 5% en France : mais comment expliquer cet écart gigantesque du nombre d’enfants de moins 3 ans sur les deux territoires au cours des 15 dernières années ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Moins 15 % en Allemagne et plus 5% en France : mais comment expliquer cet écart gigantesque du nombre d’enfants de moins 3 ans sur les deux territoires au cours des 15 dernières années ?
©Reuters

Démopression

Les différences de politiques publiques ou de pratiques culturelles créent de fortes disparités de naissance entre les différents pays de l'Union européenne.

Atlantico : Par rapport aux années 2000, les Allemands connaissent un recul de la natalité de 14% tandis que la France a connu une hausse de 4,8%. La Roumanie a connu une baisse de 21%, tandis que la Suède affiche une augmentation des naissances de 27,6%. Comment expliquez-vous cette disparité des natalités en fonction des pays ? Est-elle due uniquement à des pratiques culturelles ?

Laurent Chalard : L’évolution du nombre de naissances dans un territoire donné est le produit de trois facteurs : le niveau de la fécondité, l’héritage démographique inscrit dans la pyramide des âges et les flux migratoires. Selon leur combinaison, les évolutions peuvent être fortement différenciées. Par exemple, au court de la période étudiée, la Suède bénéficie de la combinaison favorable de trois facteurs, c’est-à- dire une hausse de la fécondité, l’arrivée de générations plus nombreuses en âge d’avoir des enfants et une très forte immigration, d’où une progression importante du nombre de naissances. A contrario, à l’autre extrémité du spectre, en Roumanie, deux facteurs apparaissent défavorables, les générations en âge de procréer sont moins nombreuses et le pays subit une très forte émigration, ce qui contribue à l’effondrement du nombre des naissances, d’autant que si la fécondité remonte légèrement, elle demeure inférieure au seuil de remplacement des générations.

Ces évolutions depuis 2000 ne sont que partiellement liées à des changements dans les pratiques culturelles, étant donné les impacts du facteur migratoire et des héritages inscrits dans la pyramide démographique dans l’évolution des naissances dans les pays concernés. Seule la fécondité relève en partie de pratiques culturelles. Le léger regain constaté en Suède et en France, outre l’impact considérable de l’immigration, s’explique par la générosité des politiques familiales en Suède et par la combinaison de l’effet positif des 35 heures et d’une acceptation sociétale du fait que les femmes ayant des enfants puissent travailler en France.

Lors du Sommet de Barcelone en 2002, les Etats membres de l'UE ont pris l'engagement de mettre en place des systèmes d'accueil pour au moins 33% des enfants de moins de trois ans dans chacun des pays. En 2014, cet objectif a été atteint à 70% au Danemark et 40% en France. Comment les politiques familiales peuvent-elles encore encourager les naissances ? Quels sont encore les obstacles que l'on rencontre ? Et sur quel autre modèle européen la France pourrait-elle s'appuyer ?

Il convient de rappeler que l’Europe se caractérise dans sa globalité par une fécondité fortement abaissée (autour de 1,5 enfant par femme), sensiblement en-dessous du seuil de renouvellement des générations (2,06 enfants par femme), à l’origine d’une forte diminution des naissances dans de nombreux pays du continent depuis la fin des Trente Glorieuses. En conséquence, l’Union européenne a assez tôt compris l’enjeu d’une politique nataliste pour essayer de redresser la courbe des naissances. Cependant, les mesures prises jusqu’ici sont très en-dessous de l’ampleur de l’enjeu car ce n’est pas tant une question de capacité d’accueil des enfants ou de fiscalité inadaptée qu’une question de mentalité : donner l’envie aux Européens d’avoir plus d’enfants dans le contexte d’une société hyper-individualiste qui fait apparaître les enfants comme une charge pour de nombreux couples.

Les principaux obstacles sont donc d’ordre politique, c’est-à-dire l’incapacité que nos gouvernants ont à saisir l’ampleur de la crise démographique européenne, ce qu’avait déjà bien montré en son temps Alfred Sauvy. Sans incitations massives et campagnes de communication informant des conséquences néfastes de la dénatalité à long terme pour le maintien de la position des pays européens sur l’échiquier international, les politiques natalistes n’atteindront pas leur objectif, qui est de rapprocher l’indice de fécondité du seuil de renouvellement des générations. En effet, il convient que les élites dirigeantes européennes comprennent que la mise en place d’une politique nataliste n’a pas pour objectif de faire croître à tout prix un continent aux densités de population déjà relativement élevées, mais juste de maintenir un équilibre démographique permettant d’assurer la pérennité de son modèle de développement économique.

A l’heure actuelle, le seul modèle européen de politique familiale viable se retrouve sur ses franges, c’est-à-dire en Russie, pays qui a connu une crise démographique d’une gravité extrême, ce qui a conduit les autorités à mettre en place une politique nataliste extrêmement poussée, avec des aides financières sans commune mesure avec ce qui se fait en Europe de l’Ouest et une propagande médiatique particulièrement efficace. Si la fécondité demeure encore sous le seuil de remplacement des générations, à 1,78 enfant par femme en 2015, elle s’est fortement redressée par rapport au niveau catastrophique de 1999, qui était de 1,16 enfant par femme, et les dernières tendances augurent d’une poursuite de la hausse car les jeunes femmes ont déjà au même âge mis au monde plus d’enfants que leurs aînées, même si cela ne contribuera probablement pas à une augmentation des naissances du fait de l’héritage de la dénatalité des années 1990.

Les disparités économiques d'Est en Ouest et du nord au sud en Europe ont-elles des répercussions sur les naissances en fonction des pays ?

Non, les disparités économiques entre les Etats européens n’ont pas de conséquences directes sur le niveau des naissances sur la période étudiée puisque les principaux facteurs de différences de natalité relèvent des mentalités et non de l’économie, c’est-à-dire que sur la période étudiée les naissances n’évoluent pas particulièrement plus favorablement dans les pays dynamiques que dans ceux qui ne le sont pas. En effet, les naissances ont baissé dans des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas à l’économie plutôt dynamique alors qu’elles ont légèrement progressé en France, où le chômage est bien plus élevé. Il n’y a pas de règle générale en la matière.

Par contre, il existe des conséquences indirectes des disparités économiques sur le volume des naissances par l’intermédiaire de l’immigration, c’est-à-dire que les jeunes qui quittent les pays les moins riches du continent, tels que la Roumanie, ont des enfants dans les pays où ils se rendent. Il y a donc d’une certaine manière des transferts de naissances. La baisse du nombre de naissances constatée en Roumanie s’explique en partie par le fait qu’un certain nombre de naissances roumaines se produit en Espagne et en Italie, destinations privilégiées des Roumains.

D'un point de vue géopolitique, des événements extérieurs peuvent-ils encourager les naissances dans les pays ? Quels autres exemples dans l'histoire ?

L’histoire démographique montre que les principaux facteurs de stimulation des naissances sont le produit de chocs psychologiques dans l’ensemble d’une population liée à un évènement traumatisant, c’est-à-dire une guerre, comme ce fut le cas avec le baby boom qui a suivi la Seconde Guerre Mondiale, ou une épidémie très meurtrière (ce qui n’a plus eu lieu depuis bien longtemps dans les pays développés), voire dans des contextes très spécifiques l’existence d’une menace existentielle, comme c’est le cas en Israël, où les naissances progressent régulièrement du fait de la perception par les populations juives de la faiblesse de leur nombre par rapport à la masse démographique arabe qui les entoure. En effet, le nombre de naissances juives y a augmenté de 44% entre 2000 et 2015 grâce en partie à une augmentation inédite de la fécondité pour un pays développé, au niveau de 3 enfants par femme dans les années 2010.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !