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Come-back en politique : de Napoléon à François Hollande, pourquoi tant d'inconstance dans les faveurs des Français ?
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Bonnes feuilles

Du départ honteux en solitaire au retour glorieux du "rassembleur", le come-back en politique présente autant d'étapes stratégiques à ne pas manquer que de pièges à éviter. Extrait de "Come-back ! - Ou L'art de revenir en politique" (2/2).

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Le comeback politique est loin d’être une spécificité italienne. Au contraire, l’éternel retour du Cavaliere stupéfie d’autant plus l’Italie que, durant cinquante ans, elle avait été habituée à l’inamovibilité du pouvoir, dominé par les caciques de la Démocratie chrétienne. Le phénomène se retrouve dans toutes les démocraties où les passions politiques sont portées par de forts clivages partisans, où l’enjeu électoral est marqué par la personnalisation de la vie publique. En France, il a une ampleur exceptionnelle. La longévité politique y est constituée de continuels allers et retours qui font sans cesse passer l’homme public de la lumière à l’ombre et de l’ombre à la lumière. Un homme politique, en France, ne peut pas être déclaré définitivement mort.

Prenons les grands noms qui, dans les manuels scolaires, scandent l’histoire de la République, ceux qui restent dans la mémoire collective et qu’on érige en exemple : la plupart ont chuté de leur piédestal, ont connu l’épreuve de la solitude, ont lutté pour revenir au premier plan. Il suffit pour s’en convaincre de passer en revue la liste des présidents de la Ve République.

Chef du Gouvernement provisoire, de Gaulle démissionne en 1946 et attend vainement qu’on le rappelle. Il tente de reconquérir le pouvoir avec le RPF mais échoue, contraint à une longue traversée du désert qui s’achève avec le retour éclatant de 1958. Pompidou, dont la popularité irrite le Général, est obligé, en 1968, de renoncer à Matignon. Il connaît l’isolement avant que la démission de de Gaulle, en 1969, ne lui dégage la route de l’Élysée. Si Giscard d’Estaing a longtemps été épargné par la défaite, son échec brutal, en 1981, ouvre une décennie où il se bat pour obtenir sa revanche. Mitterrand, lui, n’a pas vécu une mais deux traversées du désert. Opposant à de Gaulle en 1958, déshonoré par le scandale de l’Observatoire en 1959, il parvient à s’affirmer comme le leader de la gauche en 1965. Mais 1968 lui est fatal. Faisant preuve de précipitation en proclamant le pouvoir vacant et en se portant candidat à la succession de de Gaulle, il est balayé par le retour du Général. Pestiféré dans son propre camp, rejeté par l’opinion, il lui faut tout rebâtir jusqu’en 1981. Chirac, pour sa part, est considéré en 1988, après sa défaite à l’élection présidentielle, comme un homme politique fini. En 1995, la route de l’Élysée lui est barrée par la « trahison » de Balladur. Pourtant, il revient de l’enfer et accomplit son dessein. Nicolas Sarkozy est mort deux fois : en 1995, promis à Matignon en cas de victoire de Balladur, il est mis sur la touche par les chiraquiens victorieux ; en 1999, revenu à la tête du RPR, il est contraint à une nouvelle traversée du désert que provoque son fiasco aux élections européennes. On connaît la suite, mais peut-être pas encore la fin. Quant à François Hollande, qui, en 2008, aurait parié sur ses chances d’accéder à l’Élysée après son piteux départ de la direction du PS ?

Pourquoi tant d’inconstance dans les faveurs des Français ? Doit-on l’imputer à leur rapport émotionnel à la chose publique ? Faut-il y voir l’empreinte du dolorisme de la culture catholique ? En tout cas, les Français ont toujours vénéré les hommes politiques bardés de cicatrices, portant les stigmates de la souffrance, endurcis par l’épreuve, assagis par le malheur. Méfiants à l’égard de leur ambition personnelle, ils croient malgré tout à leur rédemption, se montrent toujours prêts à pardonner et à oublier. Les Français aiment l’homme politique qui s’effondre, parce qu’ils pourront l’aider à se relever. Ils vibrent à la victoire lorsqu’elle a le goût de la revanche. Ils ne se lassent pas des histoires politiques aux allures d’épopée, où le récit mêle trahison, vengeance et merveilleux. Sceptiques à l’égard des systèmes politiques, ils pensent qu’un homme porté par la Providence peut accomplir des miracles et changer leur destin.

L’homme providentiel rappelé par le peuple unanime transporté d’émotion : tel est le comeback rêvé par tous, le retour le plus glorieux, celui qui efface toutes les humiliations et offre la plus belle des revanches. Modèle rêvé, modèle en grande partie légendaire, tant la part de la volonté du sauveur de la patrie est grande dans son retour par rapport à celle des attentes populaires. À ce titre, le formidable retour de l’Empereur en 1815, qui est le premier comeback réussi de la France contemporaine, est doublement édifiant. D’une part, le discours et les dispositifs qui l’exaltent offrent la source d’un imaginaire qui alimentera tous les grands retours ultérieurs du roman national. De l’autre, l’épisode, dans les faits, montre de manière exemplaire le rôle actif que joue l’homme providentiel dans l’accomplissement de son destin. En s’échappant de l’île d’Elbe, Napoléon n’a-t-il pas forcé la Providence ? Il est alors beaucoup moins attendu qu’il ne veut bien le dire et que ne le prétendent ses admirateurs. En fin calculateur, il ne se risque pas à prendre la route directe de la vallée du Rhône qui mène à Paris. Il évite soigneusement les grandes villes, où il se sait impopulaire, et notamment Marseille, ruinée par le blocus continental. L’anticipation, la connaissance du terrain, la maîtrise de l’information sont des préalables pour assurer le retour.

Quant au discours, il est très semblable aux tonalités qu’on entendra plus tard. Lorsqu’il débarque au golfe Juan, le 1er mars 1815, Napoléon déclare : « Ma vie vous était et devait encore vous être utile. » Devoir, abnégation, désintéressement… S’il revient, c’est exclusivement parce qu’il répond à l’appel des Français : « Dans mon exil, j’ai entendu vos plaintes et vos vœux (…) Vous accusiez mon long sommeil ; vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie. » Dépourvu de rancune, il n’a nulle intention de se « venger », affirme-t-il à Paris, le 21 mars. Éloigné, isolé, il a changé, il a compris, il a appris la sagesse : « J’ai trop aimé la guerre, je ne la ferai plus (…). Je veux régner pour rendre notre belle France libre, heureuse et indépendante… Je veux être moins son souverain que le premier et meilleur de ses citoyens. » Reste, une fois revenu, à nourrir la légende de l’homme guidé par la Providence. Qui mieux qu’un prêtre docile pourrait la propager ? Le 26 mars 1815, jour de Pâques, le curé de Cosne, dans la Nièvre, s’adresse ainsi à ses ouailles : « Le Héros, le Sage Législateur, le Bienfaiteur de la France, le Grand Napoléon que l’envie et la trahison avaient exilé loin de nous, est de retour pour consommer notre bonheur (…) Napoléon a paru au milieu de la France comme l’Ange du Seigneur pour la sauver. » L’Empereur, s’enthousiasme encore le prêtre, apporte au pays sa « Résurrection politique ».

Ce sont bien évidemment une ambition hors du commun et la passion du pouvoir qui sont les moteurs de l’homme politique. Comme le disait François Mitterrand sur Radio Monte-Carlo en novembre 1972 : « Il faut avoir de l’ambition. L’homme politique doit avoir l’ambition du gouvernement, ou ce n’est pas un homme politique. Les hommes politiques qui ont pour ambition d’être soussecrétaires d’État, ce ne sont pas des hommes politiques, mais des gagne-petit. Ce sont des gens pour qui la politique est une carte de visite avec standing social et amour-propre satisfait, pour plaire dans le petit milieu dans lequel ils vivent. Ce ne sont pas des responsables qui s’intéressent à la France, à la place de la France dans le monde. » Dans Ouest-France, le 18 août 2012, Jacques Le Guen, député UMP battu aux législatives, présente sous un angle différent le ressort du métier : « L’engagement politique est une drogue. Quand on l’arrête, on ressent le manque. Vivre au rythme de la République est très excitant. »

Extrait de "Come back ! - Ou L'art de revenir en politique",  Christian Delporte (Editions Flammarion), 2014. Pour acheter ce livre cliquez ici.

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