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Come-back : comment bien réussir son retour en politique
©Reuters

Bonnes feuilles

Du départ honteux en solitaire au retour glorieux du "rassembleur", le come-back en politique présente autant d'étapes stratégiques à ne pas manquer que de pièges à éviter. Extrait de "Come-back ! - Ou L'art de revenir en politique" (1/2).

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Faire parler de soi

Le 13 octobre 1954, un frisson traverse les rédactions des journaux parisiens : la rumeur dit que de Gaulle et Mendès France, alors président du Conseil, vont se rencontrer. Ils se verront à Boulogne, chez André Malraux. Le bruit est exact. L’initiative de ce tête-à-tête revient à Mendès France. Edmond Michelet et Jacques Chaban-Delmas ont servi d’intermédiaires. Les journalistes qui campent devant le domicile de Malraux en seront pour leurs frais car, au dernier moment, devant les fuites, le lieu de rendez-vous change. Le Général reçoit le président du Conseil à l’hôtel La Pérouse. « Comment changer le régime, comment donner du tonus au pays ? » demande Mendès France. « J’ai essayé de changer le régime, vous ne m’avez pas beaucoup aidé et j’ai échoué. Quant à vous, vous n’êtes même pas résolu à essayer », répond de Gaulle. La conversation ne débouche sur rien, mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est la fuite, c’est que toute la presse évoque la rencontre, et donc parle de de Gaulle. Qui a vendu la mèche ? On l’ignore. Mais l’indiscrétion ne déplaît pas au Général.

Autant on n’imagine guère le général de Gaulle s’abaisser à solliciter de lui-même les journalistes pour faire parler de lui, autant Raymond Poincaré a toujours écrit dans les journaux et ne manque jamais l’occasion de rappeler son compagnonnage avec les hommes de presse. Il en connaît beaucoup, directeurs ou journalistes. À peine a-t-il quitté l’Élysée qu’il reprend contact avec eux, les reçoit, les invite à dîner, renoue la vieille complicité. Défilent chez lui Adrien Hébrard, qui dirige Le Temps, réputé le mieux informé de Paris, Henry de Jouvenel, le patron du Matin, qui voisine avec le million d’exemplaires quotidiens, Léon Bailby, directeur de L’Intransigeant, le grand quotidien du soir, les frères Baschet qui possèdent L’Illustration, prestigieux magazine illustré, Marcel Hutin, de L’Écho de Paris, le journal de la droite catholique, et d’autres encore. Voici des alliés potentiels pour un retour rapide aux affaires. Voilà des supports de presse précieux pour développer ses idées et les faire connaître. Articles bimensuels dans La Dépêche de Toulouse ou Excelsior, tribunes dans Le Temps, papiers dans l’élitiste Revue des deux mondes, la plume de Poincaré s’active, tandis que, chaque semaine, les feuillets de ses nombreux discours sont fournis aux journaux, de Paris ou de province, pour y être reproduits et commentés. L’omniprésence médiatique de Poincaré impressionne, à une époque qui ne connaît ni la radio ni la télévision.

À défaut d’avoir un accès si facile aux journaux, il est utile d’en connaître le fonctionnement pour susciter leur curiosité. Après sa défaite de 1981, Valéry Giscard d’Estaing sait que les médias vont s’interroger : que va faire Giscard ? Veut-il, peut-il revenir ? Dès la fin de l’été 1981, il va donner aux journalistes du grain à moudre. Le 15 août, il s’installe rue François-Ier, où sont désormais ses bureaux. Les caméras sont présentes pour filmer un ancien chef de l’État bronzé, détendu et applaudi. Le 10 septembre, il reçoit à dîner des responsables de l’UDF, Bernard Stasi, Didier Bariani, Jean-François Deniau, et le fait savoir. La presse en parle, en effet. Le 5 octobre, il se dit bouleversé par l’assassinat de Sadate, « un ami personnel ». Le 17 décembre, il déjeune à l’hôtel Lutetia avec des députés de l’UDF. Il laisse à peine passer la trêve des confiseurs. Le 13 janvier 1982, il est déjà de retour, venant soutenir à Paris Jacques Dominati, candidat à une élection législative partielle. À l’occasion, il fait une déclaration politique : « Nous adoptons des positions inverses des grands pays occidentaux. Les Français doivent être informés par une opposition qui s’organise. » Le 22 avril, il donne une interview au journal italien Epoca et décoche une petite phrase, avec la certitude qu’elle sera reprise dans tous les médias français : « J’en suis aux dernières couleurs du veuvage. » Alors, chers confrères, il va revenir ? Le 12 mai, il organise un déjeuner-débat avec des chefs d’entreprise. « La première règle de l’unité est de ne pas chercher à diviser, ni en coupant la France en classes, ni en cherchant à opposer les Français comme des adversaires sociaux, ni en cherchant à présenter le pouvoir d’aujourd’hui comme l’ennemi irréductible du pouvoir d’hier. » Le 1er juin, Le Quotidien de Paris publie un article de Stéphane Denis, fruit d’une conversation avec Giscard d’Estaing. Une nouvelle petite phrase attire l’attention : « Si je vois que je puis concourir à redonner à la France un grand dessein, je m’y efforcerai… S’il devait y avoir le retour à un grand dessein, je pourrais l’animer. » Le 13 juin, à la tribune du congrès du Parti républicain, composante de l’UDF, il lance : « Il faut réconcilier le libéralisme et le rêve. »

Pour un homme qui se veut discret, encore dans le « veuvage », on le voit et on l’entend beaucoup. L’arme de Giscard, ce sont les médias qui le suivent dans une communication très calculée, alimentée de formules soigneusement distillées et d’événements qui l’accompagnent. Il ne lui manque plus qu’une grande émission de télévision. Elle a lieu le 16 septembre 1982 : il est l’invité de « L’Heure de vérité ». Giscard d’Estaing est sans doute l’homme politique de sa génération qui a le mieux compris la télévision. Il confirme que la défaite n’a pas émoussé son talent. Cette émission, il l’a préparée, répétée, pour qu’elle domine l’actualité de la rentrée politique. La rentrée est-elle « sa » rentrée ? « Ce n’est pas une rentrée », dit Giscard d’Estaing. « J’ai parlé au printemps. Je parlerai de temps en temps. J’ai dit tout à l’heure que mon rôle n’était pas de participer au débat politique, mais que c’était d’être une voix qui s’exprime sur l’intérêt de la France. » Donc, lui demande Josette Alia, vous n’aurez pas de rôle politique actif ? « Si, répond l’ex-président. J’aurai un rôle politique actif, mais en fonction des circonstances. Pour l’instant, je ne suis candidat à rien. »

Pas une rentrée, candidat à rien « pour l’instant », juste la volonté d’« être utile »… Pour l’émission, Giscard a tout de même rodé quelques formules, comme les « déçus du socialisme » qu’il convient de rassembler ou le « grand bond en arrière » qu’a connu la France depuis mai 1981. Le meilleur est cependant pour la fin lorsque, regard face caméra, il s’adresse aux téléspectateurs : « J’ai été ému et heureux de vous retrouver ce soir. » Cet « au revoir » prometteur à la télévision efface le précédent, catastrophique, au lendemain de l’échec.

Alain Juppé prépare également son retour avec les médias mais, nouvelles technologies obligent, il tient un blog, ouvert en septembre 2004 sur les conseils de son épouse Isabelle. De l’autre côté de l’océan Atlantique, il lui permet de maintenir le contact avec ses partisans, mais surtout, peut-être, avec les journalistes qui le consultent régulièrement : le blog de Juppé cumule tout de même cent quarante mille visites mensuelles en 2006 ! Mais rien ne vaut la presse traditionnelle pour faire passer ses messages, à commencer par Sud-Ouest. Le 2 septembre 2005, le quotidien bordelais consacre un long article à l’exilé. « La vie politique nationale ne me manque pas du tout, même si je la suis dans la presse quotidienne. Mais Bordeaux, toujours autant », dit Juppé. Que fera-t-il dans dix mois ? « Je n’ai jamais dit que je ne referais pas de la politique, mais je n’ai pas dit quand. Je viens de passer le cap de la soixantaine. Le business, je n’y connais rien et ce n’est pas mon truc. L’enseignement, ça me plaît, certes, mais la vraie vie, c’est la politique. » En se relançant à Bordeaux ?

Se retrouver au centre des médias est l’ambition légitime de l’homme soucieux de revenir au premier plan du jeu politique. Il suffit parfois d’une bonne intuition et d’un concours de circonstances favorable pour la satisfaire. C’est ce qui arrive à Nixon, en novembre 1966, en pleine campagne électorale de mi-mandat. Le nouveau président du Parti républicain a fait de la politique étrangère son cheval de bataille. Très critique à l’égard du sommet de Manille, organisé par le président Johnson pour trouver une solution à la guerre du Vietnam, il rédige un texte que reproduit le New York Times. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais lors d’une conférence de presse, Johnson, piqué au vif, s’en prend très violemment à Nixon, l’éternel perdant qui n’a aucune leçon à donner. La presse ne pouvant résister à une polémique, l’ancien vice-président devient, en quelques jours, la vedette des journaux. ABC l’invite aussitôt dans la célèbre émission « Issues and Answers », et le Parti républicain lui demande de prononcer une allocution de trente minutes que, dans le cadre de la campagne électorale, NBC retransmet dans son intégralité. Comme Nixon le note dans ses mémoires : « Les éditorialistes et les chefs de rubrique qui, dans le passé, avaient eu si peu de ménagements pour moi défendaient mon honneur contre l’attaque excessive de Johnson. » Le président des États-Unis, par sa maladresse, a non seulement réconcilié les médias avec Nixon, mais a aussi relancé sa carrière. L’intéressé en demandait-il autant ?

Extrait de "Come back ! - Ou L'art de revenir en politique",  Christian Delporte (Editions Flammarion), 2014. Pour acheter ce livre cliquez ici.

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