Colère des agriculteurs : ce qui est justifié dans leurs revendications, ce qui l'est moins <!-- --> | Atlantico.fr
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Les agriculteurs protestent contre un cumul de taxes.
Les agriculteurs protestent contre un cumul de taxes.
©Reuters

Faux débat ?

Les agriculteurs lancent jeudi 21 novembre leur opération de blocage de la capitale, répondant ainsi à l'appel de plusieurs syndicats locaux pour contester l'écotaxe et la réforme de la PAC. Un fait qui peut étonner quand on sait que le monde agricole continue de bénéficier dans l'ensemble des largesses de Bruxelles.

Claude Fouquet

Claude Fouquet

Claude Fouquet est un ancien haut fonctionnaire français.

Diplômé de l'Ecole nationale d'administration, il a travaillé dans plusieurs cabinets ministériels et fut ambassadeur en République dominicaine.

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Atlantico : A l'appel du FDSEA d'Ile de France, nombre d'agriculteurs sont décidés à mettre en place un blocus de Paris jeudi 21 novembre pour protester contre "un cumul de taxes et de revendications" qui étoufferait la profession. Peut-on dire que cette révolte est particulièrement légitime au regard des politiques agricoles des récents gouvernements ?

Claude Fouquet :La FDSEA ne fait rien sans l’accord de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), dominée par les plus gros agriculteurs. Xavier Beulin, son actuel président, cultive cinq cents hectares, alors que la taille moyenne de nos exploitations est dix fois moindre. Il est aussi président de la Société Financière de la Filière des Oléagineux, Sofiproteol, une entreprise ensituation de rente, selon la Cour des comptes, du fait d’un quasi-monopole sur le biodiesel qui coûte 3 milliards par an. L’Europe produit plus de la moitié des biocarburants du monde, alors qu’on sait qu’au total ils émettent plus de gaz à effet de serre que le gazole. Les terres consacrées en Europe à la production de biocarburants pourraient nourrir 127 millions de personnes. Surnommée « la pieuvre verte »,Sofiproteol vend aussi plus de la moitié des herbicides épandus en France.

Il est vrai que taxes et réglementations découragent les agriculteurs et éleveurs, mais ce n’est pas nouveau. Notre politique agricole favorise les plus gros agriculteurs. 

Par ailleurs, 200 agriculteurs ont manifesté mardi 19 au soir à Chartres pour protester contre la réforme de la Politique Agricole Commune, mesure qui semble être le principal catalyseur des mécontents. Cette fronde contre un projet qui délesterait le secteur céréalier de 30 millions d'euros par an est-elle justifiée ? 

Les plus gros agriculteurs, céréaliers et producteurs de betteraves, sont certainement favorisés. Le redéploiement actuel des aides leur est défavorable. C’est pourquoi ils protestent. Ceci dit, devons-nous continuer à verser d’énormes subventions pour faire en Picardie du sucre de betterave beaucoup plus cher que le sucre de canne ? Produire une calorie alimentaire en Europe nécessite environ six calories (pétrole, nitrate, pesticide, etc.), alors qu’en Afrique une seule suffit. La Politique agricole commune (PAC) gêne les importations d’aliments et ruine les cultivateurs africains par l’aide alimentaire distribuée là-bas gratuitement ou à prix bradés. Notre pouvoir d’achat augmenterait considérablement si entraient librement bananes d’Amérique centrale, boeuf argentin, fleurs de Colombie, mangues d’Equateur ou soja et oranges du Brésil.

Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, a souhaité mettre en avant le peu de légitimité des syndicats concernés par le blocus, ces derniers n'étant en fait que des instances départementales. Peut-on dire que le mouvement actuel fait état d'un ras-le-bol généralisé du monde agricole ?

Disons plutôt que les syndicats agricoles tentent de profiter du mécontentement actuel et de la faible popularité de nos gouvernants. L’échec de la PAC n’est pas un phénomène nouveau. Alors qu’elle était supposée encourager agriculteurs et éleveurs à rester sur leurs terres, l’exode rural s’accélère et nous en avons chaque année de moins en moins. Seulement 466 000 en 2010, contre un million en 1988. En avril 2012, la FNSEA elle-même estimait qu’il ne restait que 341 000 exploitations professionnelles. Mais en appliquant des critères réalistes, par exemple un revenu moyen par actif correspondant au SMIC, il y a aujourd’hui moins de 250 000 exploitations professionnelles.

Les raisons pour lesquelles les politiques dirigistes entraînent d’énormes gaspillages sont bien connues. Au lieu de laisser produire en fonction de la demande, des milliers de fonctionnaires prétendent diriger de Bruxelles ou Paris la production et en assurer l’écoulement, soit à l’étranger, par un dumping coûteux pour nous et dommageables dans les pays pauvres, où il ruinent les producteurs locaux, soit tout simplement en détruisant les aliments, comme on l’a fait pour le beurre et le lait.

De manière plus générale, peut-on dire que les agriculteurs font partie d'une catégorie socio-professionnelle fondamentalement désavantagée ?

La grande majorité des agriculteurs qui travaillent en couple ont un très bas niveau de vie. Pour 2012, seulement que 4.500 exploitants ont reçu chacun plus de cent mille euros, alors que les 304.000 autres n’ont eu que 22.300 euros en moyenne, ce qui ne laisse que 1.858 euros par mois. Peut-on imaginer politique plus inégalitaire ?

Il est des dépenses publiques bénéfiques, mais ce n’est pas le cas de la PAC dont les principaux bénéficiaires ne sont ni agriculteurs ni éleveurs. La PAC augmente le coût de notre nourriture, ampute notre niveau de vie et coûte chaque année au contribuable au moins 33 milliards de subventions, auxquels s’ajoutent les surprix payés par tous. En effet, nous payons deux fois, comme contribuables et comme consommateurs, aux dépens du niveau de vie de tous. Selon Eurostat, les produits alimentaires sont en France 10% plus chers que la moyenne européenne. Mais, même si nous sommes les champions des surprix, c’est aussi toute l’Europe qui les paie, surprix dépendant des tarifs douaniers (entre 18 et 28%) et surtout de multiples interdictions et obstacles non tarifaires créant la rareté et donc la cherté des aliments.

Selon l’OCDE ces surprix correspondent à une taxe implicite de 25% imposée aux consommateurs européens. Evaluation basse, semble-t-il. Comparant Etats-Unis et Union européenne, un think tank a calculé que, quand le consommateur américain paie ses aliments 10% plus cher à cause du protectionnisme, le consommateur européen les payent 42% plus cher, soit plus du double de la TVA. Si l’on applique ce pourcentage à la seule consommation alimentaire des ménages telle que calculée par l’INSEE pour 2012, soit 199,6 milliards, on obtient 83 milliards de surprix.[1] Au total, notre politique agricole coûte donc aux contribuables 33 milliards au titre des subventions et 83 milliards payés par les consommateurs, soit un total de 116 milliards.

Que proposez-vous alors ?

Puisque, à l’évidence, la PAC a échoué, il faut trouver autre chose. Nous pourrions à la fois baisser la dépense publique, arrêter l’exode rural et ouvrir nos frontières, tout en augmentant le pouvoir d’achat et donc le niveau de vie de tous les Français. Pour cela j’ai proposé d’aller jusqu’au bout de la logique du Régime de paiement unique (RPU) instauré en 2006. Remplaçons le maquis bureaucratique de 300 subventions – trop souvent favorables à des intérêts particuliers -- par une seule primecorrespondant par exemple à deux SMIC net, car la plupart des exploitants travaillent en couple. Au total, pour 250 000 professionnels, cela ne coûterait que 6,7 milliards, au lieu des actuels 33 milliards de subventions et des 83 milliards de surprix.

Tous nos paysans auraient ainsi un revenu garanti, et cela d’une manière égalitaire, alors qu’actuellement la moitié des subventions est concentrée sur moins de 10 % de bénéficiaires, les principaux n’étant ni agriculteurs ni éleveurs. Cela augmenterait le niveau de vie de tous les Français qui paieraient moins cher leur nourriture. Cela bénéficierait aux contribuables et satisferait les défenseurs de l’environnement. Libérés d’une paperasserie qui prend un tiers de leur temps, nos exploitants seraient payés, non pas à ne rien faire, mais comme gardiens de la nature, de nos terroirs et de nos paysages, avec toute liberté pour produire ce qu’ils veulent, sans autre contrainte que de résider sur place, leur présence limitant les incendies et préservant la biodiversité. Point ne serait besoin de régulations détaillées, mais de directives écologiques simples : débroussaillage, économie d’eau, limitation des engrais chimiques, des pesticides et de la pollution des nappes phréatiques.


[1] Insee – 5201, au 15 mai 2012

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