CNR : L’étrange fascination de la guerre chez Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil national de la refondation débute ce jeudi à Marcoussis.
Le Conseil national de la refondation débute ce jeudi à Marcoussis.
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Refondation

Emmanuel Macron lance ce jeudi le Conseil national de la refondation (CNR) à Marcoussis. L'Elysée souhaite trouver "une nouvelle méthode" pour rebâtir et réformer avec l'ensemble des acteurs du pays (citoyens, associations...).

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Le Conseil national de la refondation doit s’ouvrir ce jeudi à Marcoussis. Que cherche véritablement Emmanuel Macron avec ce CNR version 2022 ?

Jean Petaux : Le fait que votre question précise la « version » du CNR (2022 par rapport à celle qui a vu le jour le 27 mai 1943) répond, partiellement à votre interrogation. Emmanuel Macron, s’inspirant de l’exemple du Conseil National de la Résistance, dont le premier président fut Jean Moulin, organe rassemblant tous les partis politiques de la IIIème République, les syndicats existant avant-guerre et les principaux mouvements de la Résistance, a voulu placer son initiative sous le « parrainage » de cet « illustre » prédécesseur. Le CNR de 1943 a produit un programme politique, économique et social unique en son genre, très progressiste, influencé aussi bien par le communisme, la social-démocratie, le catholicisme social réservant une part importante à l’Etat érigé au rang de stratège, de reconstructeur et de réformateur, autant dire un Etat-Providence. Ce programme, intitulé « Les Jours heureux », dont le titre a servi de slogan principal à la campagne présidentielle de Fabien Roussel, candidat du PCF à la présidentielle de 2022, n’a pas grand-chose à voir avec la politique engagée depuis 5 années et demies par le président Emmanuel Macron. Mais il reste que le « nom » rappelle de bons souvenirs à celles et ceux qui ont de la mémoire, une culture politique et qui, pour une part importante, constituent les rangs de l’opposition présidentielle. Avec la contrepartie de cette « généalogie » : la comparaison n’est pas du tout, dans l’esprit de ces Français, en faveur de la politique gouvernementale… Et ils n’ont pas vraiment tort !

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On peut aussi considérer que ce Conseil National de la Refondation, jusque dans ses initiales, révèle, à nouveau, une véritable obsession chez Emmanuel Macron. Celle de la guerre. Entre le « nous sommes en guerre » qui a surpris tous les Français lors de l’intervention télévisée qui marquait le début du confinement pour cause de COVID, le 17 mars 2020, et, à nouveau, le récent « nous sommes en guerre » à propos des restrictions énergétiques consécutives à la guerre entre la Russie et l’Ukraine (dont, jusqu’à plus ample informé, la France n’est pas co-belligérante), la répétition est frappante. Elle mérite qu’on la pointe. Raymond Aron a dit, cruellement, mais tellement justement, que « Giscard n’avait pas le sens du tragique ». En le paraphrasant on peut dire que « Macron en a l’ambition ». Comme si cet homme parvenu au sommet de l’Etat sans aucune expérience des crises, des guerres, et même de la « gestion » des attentats de masse et de leurs conséquences, cultivait la recherche des conflits guerriers  et que, faute d’en trouver, en imaginait les simulacres. Sans doute pour acquérir une stature à la mesure de ces situations exceptionnelles. Dans cette perspective, réinventer le CNR, c’est tenter de s’approprier une part de la mythologie résistantialiste pour mieux conjuguer le présent au temps de la Libération et de ses espoirs. Même si tout cela transpire l’artifice et le banalement réchauffé. Sans doute l’objectif principal d’Emmanuel Macron est-il, encore une fois, de « rassembler » au-dessus et par-dessus les partis politiques dont il estime, là aussi, qu’ils sont en « coma dépassé » depuis son élection de 2017, voire, au vu des résultats respectifs des deux candidates des deux « grands partis de gouvernement », encore en 2022. Sauf que la seule fois où cette expression de « coma  dépassé » a été utilisée par lui-même c’était  au sujet de l’OTAN. La guerre, la vraie celle-là, opposant l’Ukraine à la Russie, l’a rattrapé depuis. Et l’OTAN, loin d’être l’organisation plus que comateuse qu’elle était devenue selon lui, a retrouvé une seconde jeunesse, en s’élargissant même à deux Etats scandinaves sur lesquels personne n’aurait parié une couronne ou un euro qu’ils adhéreraient sans coup férir à l’organisation militaire intégrée du Traité de l’Atlantique nord : la Suède et la Finlande. Par analogie on verra bien que les partis politiques français ne sont pas morts et que les institutions parlementaires entendent bien jouer leur rôle. En dehors du CNR pour l’instant…

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Emmanuel Macron a déclaré mettre la santé et le "défi de l'accès aux soins" au coeur du CNR. Une quelconque refondation peut-elle naître avec cette orientation ?

Jean Petaux : Le fait qu’une instance de débats et de discussions se mette en place dans le pays, en un temps de doutes, de remises en cause de tout ce qui a fait le « modèle français » depuis 1945 (lire à ce sujet l’excellent dernier essai de David Djaïz, « Le Nouveau modèle français », Allary éditions, sept. 2021) n’est pas du tout un fait négatif. Tout au contraire. La question de l’accès aux soins est essentielle. Mais elle n’est pas, hélas, la seule question stratégique qui se pose à la France, aux responsables politiques du pays (dans le sens le plus large de l’expression) et aux Français. Soit une instance nommée CNR est, par nature, pluridisciplinaire et multi-scalaire, car la « refondation » ne peut s’envisager que dans la multiplicité des problèmes identifiés, pris en compte et, autant que possible, traités ; soit ce n’est pas le cas et cette même refondation est bancale, hémiplégique ou tout simplement avortée. On a le sentiment qu’en « rabattant » le champ de « son » CNR sur la question de l’accès aux soins, le Président de la République et son entourage de spin doctors (dont le dernier arrivé dans la boucle, Frédéric Michel, est en quelque sorte « l’idéal-type »… avec des guillemets car on sait bien, depuis Weber, que dans la réalité cette catégorie analytique n’existe pas) essaient de sauvegarder les apparences d’une structure vagissante, majoritairement rejetée par celles et ceux qui pouvaient la faire vivre, en choisissant un terrain plutôt consensuel, au moins dans l’énoncé. Car qui peut, sauf à être un pur provocateur, être hostile à un « accès aux soins le plus accessible possible » ? Tout cela pourrait bien ressembler au énième « comité Théodule »… On ne saurait que trop recommander au lecteur de la présente chronique de regarder dans les archives de l’INA l’extrait du discours du Général de Gaulle prononcé en plein air à Orange le 25 septembre 1963 et dont voici une courte transcription : « « Mais de cela, le général de Gaulle ne s’est jamais beaucoup occupé. L’essentiel ... l'essentiel pour lui, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l'essentiel pour le Général de Gaulle, président de la République française, c’est ce qui est utile au peuple français, ce que sent, ce que veut le peuple français ». Moment d’éloquence gaullienne remarquable, comme très souvent, ou de Gaulle, tel César, parle de lui à la troisième personne du singulier et « sort » une trouvaille rhétorique qui va entrer illico dans les manuels d’Histoire contemporaine…

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En particulier sur la santé, le gouvernement a déjà organisé le Ségur et autres plans pour s’atteler au problème. N’est-ce pas aujourd’hui la volonté politique qui manque ?

Jean Petaux : La volonté politique ne suffit pas aujourd’hui. Il faut aussi trouver et dégager les moyens qui vont avec. Or la particularité du moment c’est que tout devient prioritaire aujourd’hui : la politique de défense, la transition environnementale et énergétique, la question de la dépendance et du grand âge, le modèle de retraites par répartition, l’enseignement… Sans parler de la conjoncture économique et financière. Comment, dans un tel amoncellement de contraintes et d’enjeux, sur l’agenda politique, hiérarchiser les demandes ? D’autant que la société française a perdu une grande partie de ce qui constitue le « tissu social » avec des corps intermédiaires capables de « médiatiser » (au sens d’ « intermédier ») les demandes (les « inputs » dirait-on avec les tenants de l’analyse systémique). Ces fameux « gate-keepers » (les « portiers ») qui, syndicats, grandes associations, ONG, etc., ont pour fonction d’agréger les demandes, de les canaliser et de les hiérarchiser avant qu’elles ne soient prises en compte et traitées par la « boite noire » du système politico-administratif et ressortent en autant de « outputs ». Le Président et son entourage se retrouvent, encore une fois, face à une sorte d’aporie : voulant instaurer le dialogue pour désamorcer en amont les crises potentielles et trouver, collectivement à défaut de consensuellement, des solutions, ils espèrent et inventent des instances qu’ils veulent médiatrices en ne parvenant pas à faire fonctionner celles qui existent déjà… L’erreur consisterait à leur faire porter la totalité de la responsabilité de cette contradiction qui n’est pas loin d’être indépassable. Toute la société française est bloquée. C’était le constat de Michel Crozier et de la sociologie des organisations au début des années 70… Autant dire que cela ne date pas de 2017 !

Emmanuel Macron a eu du mal à convaincre les différents acteurs de l’intérêt de participer, le coup de communication est-il tombé à l’eau ?

Jean Petaux : Pas forcément. Même si l’autre signification de CNR pourrait aussi être « Communiquer pour Neutraliser les Refus ». S’il y a des absents, et non des moindres (on pense au président du Sénat ou aux formations politiques des oppositions), le premier syndicat de France, la CFDT, a accepté de « venir », sans cacher son scepticisme, et, après avoir dit « non », les trois grandes associations d’élus (AMF, ARF et ADF) ont fini, avant-hier, par accepter de se faire « tordre le bras ». Le Président semble vouloir peser de tout son poids politique dans ce dossier. Sous la Cinquième République cela reste encore une variable importante. Le succès, et donc la pérennité du CNR, modèle 2022, ne tient sans doute que dans cette formule : « Produire des solutions positives ou périr ».

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