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50 ans après, l’Algérie est
toujours obsédée par 
les souvenirs de sa révolution
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Passé (pas) simple

Ce jeudi avait une signification particulière pour l'Algérie, qui fêtait les 50 ans de son indépendance, consécutive aux Accords d'Evian (18 mars 1962). Mais après un demi-siècle, une partie de la population semble toujours fortement marquée par les souvenirs de sa révolution, au point de freiner le développement politique et constitutionnel du pays...

Peut-on affirmer que le passé d'une nation, avec son cortège de mythes et de légendes, commande ses conduites et ses représentations du présent ? La réponse est oui, car il n'est pas un pays qui puisse revendiquer une identité propre, culturelle ou politique, sans remonter dans le temps et sans puiser l'inspiration de son action présente dans les référents constitutifs de sa personnalité initiale. Or, l'Algérie indépendante ne déroge pas à cette règle générale. Les souvenirs de sa Révolution dite "glorieuse" ou "héroïque" pèse d'un poids lourd sur les comportements et les imaginaires politiques et sociaux. Il en est ainsi de la politique intérieure comme extérieure de l'Etat. Elle est tributaire de ce passé surchargé d'images, d'affects et de souvenirs.

Les générations, nées aussi bien en 1954, date du déclenchement de la guerre d'indépendance, que celles nées à l'indépendance, en 1962, sont marquées par ces souvenirs qui leur ont été enseignés à l'école ou transmis par la propagande officielle ou par le milieu familial. La conduite de la politique intérieure et extérieure du pays menée depuis l'indépendance par "la famille révolutionnaire" s'en ressent. L'un des principes fondamentaux qui déterminent la politique extérieure, notamment, est celui de "l'autodétermination des peuples" à disposer d'eux-mêmes, concept de droit international adopté par la charte des Nations-Unies, et dont l'Algérie indépendante a fait un de ses chevaux de bataille sur la scène internationale depuis les années soixante. D'où s'explique son soutien actif aux causes palestinienne, sahraouie et, auparavant, à tous les mouvements de libération de l'Afrique et de l'Asie contre les colonisateurs européens. Ces soutiens ont été faits au nom justement de la "Révolution " algérienne …

Quoique les hommes qui aient présidé au destin de l'Algérie depuis l'indépendance ne soient pas tous issus de la Révolution, et que bon nombre d'entre eux n'avaient jamais tiré une seule balle contre le colonisateur français, l'idée qu'ils ont de la Révolution et de ceux qui l'ont déclenché demeure cependant sanctifiée. Les souvenirs de cette révolution magnifiée, et qui peuple les imaginaires politiques et sociaux, sont  diversement vécus et perçus par les acteurs. Pour les uns, la Révolution est un acte fondateur de la nation ayant permis le recouvrement de l'identité nationale usurpée ou niée naguère par le colonisateur. Pour les autres, elle n'est que le moyen par lequel les dirigeants passés et actuels s'efforcent de se donner une légitimité politique, au détriment de la légitimité que confère le suffrage universel.

Pourtant, le  souvenir de la guerre d'Algérie ne détermine pas à lui seul la politique intérieure et extérieure du pays. D'autres paramètres "idéologiques"  et géo-politiques entrent en ligne de compte, et parmi ceux-ci le nationalisme ombrageux et le sentiment de grandeur, deux traits qui confèrent un caractère atypique à la politique officielle algérienne, qui ne se prête toujours pas à l'analyse rationnelle, tant elle oscille entre une politique active et "progressiste" en direction de l'extérieur et une politique faite d'autoritarisme et d'archaïsme en direction de l'intérieur. Cette dichotomie s'observe à travers, notamment, la conduite mesurée, et souvent fort subtile des dirigeants au plan des règlements de contentieux avec les Etats étrangers, et une conduite quelque peu abrupte ou brouillonne en matière de gestion politique économique et sociale interne…

De la récurrence à l'effacement des souvenirs de la guerre  de l'indépendance

Les souvenirs de la "Révolution" dite "glorieuse" ont commencé à s'estomper dans l'esprit des Algériens à partir de l'arrivée de Chadli Bendjedid  à la tête de l'Etat, en 1979. Celui-ci avait tenté d'abolir des textes officiels et des discours politiques les vocables révolutionnaires hérités de son prédécesseur, Haouari Boumediene, en leur substituant un langage plus édulcoré et qui se voulait surtout "libéral".  Le socialisme était répudié au profit de "l'économie de marché", du moins au niveau du discours. Les références à la Révolution se faisaient moins récurrentes et moins obsessionnelles qu'auparavant.

La volonté de démanteler l'héritage de Boumediene était évidente. Les islamistes encore dans les langes, et les conservateurs de tout acabit qui en voulaient à Boumediene pour sa politique prétendument "communiste", avaient accueilli avec sympathie la politique anti- socialiste inaugurée par Bendjedid dont l'un des premiers actes était de laisser se développer les "mosquées anarchiques" d'où allaient sortir les islamistes radicaux qui formeront à partir de 1989 les plus gros contingents du Front Islamique du Salut ainsi que tous les groupes islamiques armés surgis à leur suite.

La décennie noire (1990-1999) marque une remise en cause radicale du système politique algérienne et une désacralisation de ses référents révolutionnaires. A la légitimité "révolutionnaire" et néo-laïque, se substituait la légitimité religieuse qui se fondait entièrement sur les dogmes de l'islam : le Coran etla Sunna(la tradition).

Bouteflika et ses tentatives de réactiver les souvenirs révolutionnaires

Après la déposition de Bendjedid par l'armée, accusé à juste titre d'avoir été en connivence avec les islamistes, puis son remplacement par le Haut Comité d'Etat qui sera présidé par Boudiaf, rappelé de son long exil avant d'être assassiné le 29 juin 1992, par un tireur "isolé" d'après la version officielle, les souvenirs qui se rattachaient jusqu'alors à la geste "héroïque", à la Révolution"glorieuse" commençaient peu à peu à perdre de leurs valeurs symboliques aux yeux de la majorité des Algériens, notamment jeunes. Mais bientôt, cependant, ces souvenirs qui couvaient encore sous la cendre allaient resurgir en s'entretenant au feu de la passion d'un nouvel acteur, sorti presque du néant, et projeté au devant de la scène politique algérienne.

Tiré de son exil doré passé entre la Suisse et les Pays du Golfe, l'ex-ministre des Affaires Etrangères de Boumediene, Abdelaziz Bouteflika, est ramené au bercail et se voit dès lors confié la destinée de l'Algérie. Présenté comme l'homme providentiel, le sauveur de la nation algérienne en perdition, Bouteflika en profite d'abord pour prendre sa revanche contre ceux qui l'avaient contraint, au lendemain de la mort de son patron, à effectuer une longue et douloureuse traversée du désert: il commence tout d'abord à disgracier ceux qui l'avaient écarté ou contribuer à l'écarter de la course pour le pouvoir en 1979, et à faire taire tous les concurrents potentiels, à commencer par ses vieux compagnons du Conseil de la Révolution, comme Chérif Belkacem, alias Djamel, entre autres.

Ensuite, et pour se faire "aimer"  et plébisciter par les Algériens qui ne le connaissaient pas et qui n'avaient jamais entendu parler de lui avant son irruption soudaine sur les écrans de télévision nationale et internationale, il produisait des discours fleuves dans lesquels il se représentait comme étant l'un des premiers "officiers de l'ALN" et que tous les autres officiers de l'armée qu'il avait en face ne lui allaient pas à la cheville, s'ils n'étaient pas tout bonnement des "ignares" comparés à lui!

Pour avoir l'appui qu'il lui manquait, Bouteflika, en homme imaginatif, retors et rompu à toutes les ficelles politiques, s'était empressé de réactiver les souvenirs dela Révolution tout en réhabilitant les noms de ses inconditionnels précédemment disgraciés par le régime de Bendjedid, auquel Bouteflika le revenant vouait peu de sympathie. Battre le rappel de tous les anciens Moudjahidine refoulés à la lisière du pouvoir ou réduits au silence par ses prédécesseurs, glorifier la Révolution et ses héros, morts et vivants, mobiliser toutes les ressources de l'islam, y compris l'islam hétérodoxe (les soufis ou mystiques de l'islam) que les islamistes radicaux vouent aux gémonies, au service de sa politique dite de clémence ou de "réconciliation" nationale, vilipende rla France en lui exigeant de "se repentir" pour ses crimes commis en Algérie, tels sont les actes marquants par lesquels le nouveau président, plutôt coopté que démocratiquement élu au suffrage universel, a réussi à mettre en coupe réglée l'Etat et la nation.

La révolution algérienne comme rabâchage et comme discours de légitimité

En l'absence d'une légitimité politique, et donc d'une représentation politique authentique, l'Algérie officielle, aussi bien que populaire, se trouve condamnée à ruminer des souvenirs et à produire des discours plus grandiloquents que grandioses sur la Révolution, dont les pionniers sont censés combler par leur seule présence les vides constitutionnels en matière de gouvernance. Pourtant, l'Algérie dispose d'une Constitution moderne, bien qu'elle comporte dans certaines de ses dispositions des règles et des lois inspirées de la Charia islamique, qui se télescope avec le droit positif et la loi informelle, mais qui se fonde néanmoins sur les seuls antécédents révolutionnaires qui ont force de loi.

L'exaltation de ce passé révolutionnaire, ce retour sur le passé mythique et mythifié n'est cependant pas le fait de la majorité des Algériens, et surtout pas de cette jeunesse qui en constitue la majorité écrasante; il est le fait des lobbies politiques (anciens moudjahids, vrais et faux, d'idéologues intéressés, d'intellectuels et de journalistes en mal de promotion ou de reconnaissance et qui tentent d'exploiter "la matière révolutionnaire" pour réécrire ou discourir sur l'histoire dela Révolution et de ses "héros"). Certes parmi cette pléthore d'écrivains, d'intellectuels et de journalistes, il en est qui s'insurgent contre cette exploitation excessive de la mémoire, et cette volonté manifeste de capter l'héritage de la révolution  au profit de ceux qui prétendent en être l'incarnation vivante pour perpétuer leur pouvoir ou leurs privilèges à la tête ou à l'ombre de l'Etat.

J'ai sous les yeux le quotidien arabophone El Khabar daté du 3 et  4 juillet 2012 où plusieurs intellectuels, journalistes ainsi que d'anciens responsables du FLN débattent de "la légitimité révolutionnaire" dont ils contestent l'imposition, tout en plaidant pour une nouvelle légitimité fondée sur les urnes et les compétences. Le quotidien francophone El Watan n'est pas en reste: les intellectuels qu'il a conviés à s'exprimer sur le sujet sont tous ou presque unanimes pour déclarer qu'il est temps désormais de substituer à cette légitimité révolutionnaire qui s'apparente à une véritable usurpation du pouvoir par une poignée d'individus, une légitimité constitutionnelle.

C'est dire que les Algériens, dans leur écrasante majorité, sont las d'entendre les mêmes rengaines, et n'accordent aucune once de crédit aux discours tenus par certains sur la Révolution, surtout lorsque ce discours leur apparaît en décalage par rapport aux pratiques des acteurs, et aussi par rapport à leur vécu et expérience. Même les discours sur les crimes de la France et de ses supposés "génocides" perpétrés en Algérie ne prennent plus, et pour beaucoup d'Algériens, tout cela fait partie d'un passé dont ils ne veulent plus entendre parler. Ils souhaiteraient tourner la page et regarder résolument vers l'avenir en laissant "les morts enterrer leurs propres morts".  En effet, beaucoup, surtout parmi les jeunes, ne rêvent que d'une chose : obtenir un visa et se rendre au plus vite en France pour ne plus revenir en Algérie.

Au chapitre de la "mémoire" et surtout du "repentir" exigé en 2004 par le président Bouteflika à la France, les choses ont changé depuis. Cette revendication n'estt plus de mise et le ton officiel est à l'apaisement, ce qui prouve que le Algériens ne sont pas toujours en phase avec leurs dirigeants en ce qui concerne la question de mémoire et les souvenirs dont ils ignorent les enjeux véritables. De l'exigence du "repentir", on en est venu finalement à l'idée d'un nécessaire dialogue objectif et apaisé entre les deux pays. A la veille des élections législatives du 10 mai dernier, le président Bouteflika a, dans un discours prononcé à Sétif, à l'occasion de la commémoration de la sanglante répression de mai 1945, déclaré que "seule une lecture objective de l'histoire, loin des guerres de mémoire et des enjeux conjoncturels, est à même d'aider les deux parties à transcender les séquelles du passé douloureux pour aller vers un avenir où règnent confiance, compréhension, respect mutuel et partenariat bénéfique."

Mais rien ne préjuge cependant des réactions à venir des partisans du "devoir de mémoire" qui sont nombreux de part et d'autre dela Méditerranée…

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