Chute de la natalité : voilà pourquoi il est si difficile de la comprendre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Aux deux tiers de l'année 2023, les naissances ont baissé de 7% par rapport à 2022.
Aux deux tiers de l'année 2023, les naissances ont baissé de 7% par rapport à 2022.
©LOIC VENANCE / AFP

Complexe

Aux deux tiers de l'année 2023, les naissances ont baissé de 7% par rapport à 2022.

Laurent Toulemon

Laurent Toulemon

Laurent Toulemon est chercheur à l'Institut national d'études démographiques (INED) et responsable de l'unité de recherche "Fécondité, famille, sexualité" du même institut. Ses domaines de recherche portent notamment sur l'étude des structures familiales en France.

Voir la bio »

Atlantico : La natalité en forte baisse en France, comment vous l’expliquez ?

Laurent Toulemon : Le niveau n’est pas si bas par rapport à d’autres pays et aux projections centrales de l’INSEE.

Le niveau de 2022 est de 1,8 enfant par femme. C’est une baisse par rapport à 2021 et cette tendance va probablement se prolonger sur 2023. Même si la baisse est importante depuis 2014, le niveau n’est pas si bas que ça car elle a été plus tardive et plus limitée que chez nos voisins européens

Le niveau actuel correspond à ce que l’INSEE appelait « son scénario central » dans les projections de population à horizon 2070. Avec une population de 67 millions en 2021 et avec 70 000 de solde migratoire par an ce qui était l’hypothèse centrale, la population française se stabiliserait au milieu des années 2040 et diminuerait très légèrement pour s'établir à 68,1 millions en 2027; avec un solde migratoire de 120 000 personnes par an (hypothèse haute de migrations), la taille de la population pourrait remonter et s’établir à près de 72 millions en 2070.

Donc le niveau de 1,8 enfants par femme est un peu plus bas que le niveau du remplacement. Mais il n’est pas extrêmement bas. Donc, est-ce qu’il faut expliquer la baisse ou expliquer le fait qu’on est à un niveau plus élevé que nos voisins ? ou bien expliquer que la baisse est limitée par rapport à celle de nos voisins ?  

Parlons des évolutions démographiques et de ses mystères justement. Prenons l'exemple du baby-boom qui a démarré en 1942, en plein milieu de la guerre. C'est une période où la vie était dure. Et pourtant, il y avait beaucoup de naissances. Pourquoi c'est différent aujourd'hui ? 

Personne n’avait prévu le baby-boom. A la fin des années 40, la fécondité avait énormément augmenté. Nous sommes passés de 600 000 à 900 000 naissances. Beaucoup de démographes, Alfred Sauvy le premier, minimisaient le baby-boom. Ils disaient que c’était un effet de rattrapage après la guerre. Mais en fait, le niveau restait bas. Parce que l’INED avait été créée dans un but pro-nataliste. Sauvy avait peur de tuer « la poule aux œufs d’or ». SI la natalité augmentait, on n'aurait plus besoin de l’INED. Le baby-boom a donc surpris tout le monde. Aujourd’hui, on est en paix. Les femmes ont accès à des méthodes efficaces de contraception. Elles ont recours à l’IVG si elles ne souhaitent pas mener une grossesse à terme. La comparaison ne me paraît donc pas pertinente. 

En revanche, on peut se comparer à nos voisins européens. On voit qu’il y a eu une certaine convergence de la fécondité européenne alors que depuis la fin du baby-boom, depuis 1975 ; chaque pays, chaque région européenne, suivait son histoire séparément des autres. Les pays d’Europe du sud et de l’est ont une politique familiale faible. Le niveau de fécondité s’est beaucoup effondré dans des sociétés assez traditionnelles alors que dans les années 60 on croyait que dans les pays catholiques d’Europe du sud la fécondité resterait plus élevée grâce à des relations familiales plus traditionnelles. Et c’est le contraire qui s’est passé ! La fécondité s’est stabilisée en Europe du Nord et de l’Ouest, elle a continué à baisser en Europe du Sud. Les pays d’Europe de l’Est ont suivi le même chemin mais plus tardivement. Depuis 2010, la fécondité s’est effondrée dans les pays du nord beaucoup plus qu’en France. 

Les explications sont nombreuses. Les démographes du nord considèrent qu’il y a 2 aspects.  Ils constatent un affaiblissement de l’Etat providence social démocrate qui est assez important dans ces pays et une crainte du réchauffement climatique. Les jeunes ont une espèce d’éco anxiété qui leur fait retarder la venue de leurs enfants. Là, on est dans des effets de calendrier (l’effet tempo). On ne sait pas si les jeunes qui retardent la venue de leurs enfants vont finir par se décider à 35 ans à faire des enfants. Est-ce qu’il pourrait y avoir un baby-boom à l’avenir ? Pourquoi pas, dans la mesure où nous n’avons pas été capable de prévoir celui des années 40. 

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des pays d’Europe du sud et encore plus les pays d’Asie du sud-est où la fécondité est à des niveaux très bas. 1,3 enfant, parfois même moins d’un enfant par femme comme à Taïwann ou en Corée. A des niveaux aussi bas, il y a un problème d’équilibre à long terme parce que la population est divisée par deux tous les 30 ans et par huit en un siècle. Et là, il y a un peu l’angoisse de la disparition. Ce qui entraîne un vieillissement très prononcé et un bouleversement très important des équilibres économiques et sociaux. Alors qu’en France, avec des niveaux de 1,8, nous ne sommes pas du tout dans cette situation. Il va y avoir un vieillissement. C’est normal, c’est la conséquence du baby-boom. Les personnes de 75 ans et plus vont augmenter, c’est inévitable. La population va vieillir, nous allons revenir à un certain équilibre. Sur le long terme, nous ne sommes pas du tout menacés d’un vieillissement accéléré ou bien d’une disparition de la population de la France. Pour résumer, nous ne sommes pas dans une situation d’alerte. On est dans une situation plutôt basse. Mais, on est quand même dans une situation où les perspectives de population à l’horizon de 50 ans ne sont pas du tout une baisse marquée de la population.

Ces évolutions démographiques, qu’en savons-nous vraiment ? Est-ce qu’il reste des mystères à percer ? Des évolutions que nous n’arrivons pas à expliquer ?

Concernant la fécondité, il reste effectivement deux mystères. Le premier - "pourquoi les gens continuent de faire des enfants ?" - alors que d’un point de vue épanouissement personnel, ce n’est pas forcément une très bonne idée. Et deuxièmement, quand on essaye d’expliquer les mouvements de la fécondité, il y a beaucoup de causes qui peuvent justifier de faire des enfants ou pas. Les conséquences qui sont anticipées sont des conséquences sur le très long terme. C’est très difficile d’un point de vue empirique de mettre en face des causes et des effets. 

Prenons un exemple. Il y a eu une diminution des allocations familiales et une diminution des plafonds de réduction d’impôts pour les personnes aux revenus les plus élevés en 2014 et il y a eu aussi une baisse de la fécondité.  Ces deux phénomènes ont été simultanés dans le temps. Pour autant, la fécondité n’a pas baissé davantage pour les personnes qui étaient touchées par ces mesures que pour les autres. Ce qui n’est pas étonnant puisque les personnes qui sont dans les 5% les plus riches, ce n’est pas en leur baissant de 200 ou 300 euros leurs revenus qu’on va les inciter à ne pas faire d’enfants s’ils ont envie d’en faire. Mais, il peut y avoir un effet indirect sur l’ensemble de la population se disant que si on commence à diminuer les allocations familiales pour les plus riches, demain ce sera peut-être pour eux. Cet effet de contagion est très difficile à mesurer. Surtout si des gens modifient leurs comportements à partir d’une mesure qui ne les touche pas. Cela veut dire qu’on ne peut pas le mesurer scientifiquement. 

Lorsque l’on compare la France avec les autres pays développés, on observe que la fécondité est plus élevée quand les politiques familiales sont fortes et stables sur le long terme. Quand il n’y a pas de politique familiale ou des politiques sans lendemain, alors la population n’a pas vraiment confiance dans le soutien du pays aux familles et la fécondité reste basse ou baisse. Les politiques familiales ont donc très probablement un effet sur la natalité, mais la politique éducative aussi. En France, si nous avons une école gratuite et obligatoire qui commence tôt ; ce n’est pas pour des raisons pro-natalistes. C’est pour des raisons d’égalité des chances et de lutte contre les inégalités sociales. Cela participe très probablement à une fécondité haute alors qu’il ne s’agit pas d’une politique pro-nataliste explicite.

A contrario, il y a des pays notamment en Asie du sud-est où il y a des politiques volontaristes, pro-natalistes qui ont été mises en place mais qui consistent d’une certaine façon à ramener les femmes à la maison. Les femmes n’en ont pas envie. Conclusion : une politique nataliste généreuse, si elle ne s’accompagne pas d’une amélioration dans la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes ; ça ne marche pas bien. C’est ce que l’on voit aussi dans les pays d’Europe du sud.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !