Chrétiens d’Irak : cette fois-ci c’est vraiment la fin<!-- --> | Atlantico.fr
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Un chrétien d'Irak vu de dos assistant à un baptême.
Un chrétien d'Irak vu de dos assistant à un baptême.
©Reuters

Pour qui sonne le glas

La montée en puissance de l'EIIL et l'application de la Charia dans sa forme la plus extrême réserve un avenir des plus sombres aux chrétiens de la région, qui jusqu'ici ne vivaient pas sous les meilleurs auspices. Pour échapper au pire, ils s'installent en Occident quand ils en ont les moyens, et les autres, dans un premier temps, fuient Mossoul.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Vous êtes l'auteur de "Pourquoi on tue des chrétiens dans le monde aujourd'hui ? : La nouvelle christianophobie" (Éditions Maxima Laurent du Mesnil, 2011) : où en sont aujourd'hui les chrétiens d'Irak ?

Alexandre del Valle : Les Chrétiens d’Irak sont extrêmement inquiets, depuis la prise de Mossoul par l’EIIL et la percée foudroyante des insurgés jihadistes sunnites qui ont pris d’assaut la plaine de Ninive, où vivent de nombreux chrétiens. Ceux-ci ont peur plus que jamais, et il est clair que leur avenir s’assombrit chaque jour. Mais leur avenir est menacé depuis des années et leur situation s’est détériorée depuis les années 1990 déjà, lorsque, dans le contexte de la première guerre du Golfe voulue par l’administration Bush Père, ils ont été accusés d’être “de même religion que les Croisés américains”... A cet égard, j’ai toujours pensé que la présence d’un chrétien comme Tarek Aziz auprès de l’ex-dictateur laïque sunnite et bassiste Saddam Hussein, n’était pas la "preuve de la tolérance des musulmans d’Irak" mais plutôt la preuve que la seule voie possible pour les chrétiens désireux d’échapper à la dhimmitude et à la Charià était de s’acoquiner, comme leurs frères de Syrie, avec un régime autoritaire nationaliste anti-islamiste.

Hélas, les Occidentaux ont préféré remplacer ce régime baassiste certes autoritaire mais identifiable et relativement laïque par le chaos du multiculturalisme communautariste et de l’intégrisme religieux… Depuis, les fantasmes de Bush fils qui accusait l’Irak d’être un foyer jihadiste d’Al-Qaïda est devenu plus qu’une réalité et les islamistes ont pour objectif de créer un Califat-Emirat salafiste destiné à faire table-rase de tout le passé préislamique et chrétien de l’Irak puis une terre vidée de ses chrétiens… Bref, je crains pour toute cette région une "solution finale" des Chrétiens, solution qui est en cours depuis le début des années 2000 et qui a déjà fait fuir vers le Kurdistan, la Turquie, la Jordanie, le Liban et surtout vers les pays occidentaux la majorité des Chrétiens d’Irak… Les Chrétiens d’Irak étaient plus de 1,2 million à la chute du régime de Saddam Hussein… ils ne sont maintenant que 400 000, répartis entre la plaine de Ninive, notamment à Qaraqosh, qui compte 50 000 habitants en majorité chrétiens, puis vers la zone kurde de Kirkouk et à Bagdad. Depuis quelques semaines, 1000 chrétiens ont été tués dont 7 prêtres et un évêque...

Comment peut-on expliquer la différence de véhémence à l'égard des chrétiens que l'on peut constater entre chiites et sunnites ?

Globalement, pour un chrétien, vivre dans une République islamique n’est jamais la panacée, puisque la Charià dans son application totalitaire voulue par les jihadistes comme dans sa version "intégriste" conforme à la Charià sunnite classique prévoit au mieux l’infériorité juridique, l’humiliation et le racket financier (jizya) permanent de l’Infidèle nommé Ahl al-Dhimma ("gens du pacte ou de la protection"). Mais il est clair que, "à islamistes égaux", les Sunnites et a fortiori les Salafistes sont bien plus intolérants que leurs homologues chiites qu’il s’agisse des Mollahs iraniens ou de leurs "frères" libanais du Hezbollah ou d’Irak. Il suffit de constater qu’en Arabie saoudite les Chrétiens n’ont aucun droit à la liberté de culte, tandis qu’en Iran, les chrétiens de rite oriental (arméniens ou assyro-araméens) sont plutôt libres dans les limites que l’on sait bien sûr. Il en va de même pour les Chrétiens de Syrie ou du Liban, qui sont bien plus libres que les chrétiens du Pakistan ou des pays du Golfe. Ceci vient du fait que le Sunnisme est un islam monothéiste bien plus intransigeant que le chiisme qui est fondé sur la vénération d’Ali et de nombreux "saints", ce que le monothéisme rigoureux sunnite ne peut pas accepter.

Depuis le début de l'occupation américaine en Irak, les chrétiens habitant la ville de Mossoul, récemment prise par les islamiste de l'EIIL, sont passés de 35 000 à quelques milliers aujourd'hui. Comment expliquer que l'arrivée des Américains en 2003 coïncide avec le début des départs des chrétiens ?

L’explication réside dans ce que j’ai dit au début : les Chrétiens sont accusés d’être les "cinquièmes colonnes", les "agents" des "envahisseurs-croisés" occidentaux du seul fait qu’ils ont en commun la religion chrétienne. Certes, ceci est un raccourci monstrueux et en aucun cas une justification ou une excuse. Mais l’assimilation entre chrétiens orientaux et Occidentaux américains démonisés (et même parfois avec Israël) est le nouveau carburant de ce que j’appelle la "nouvelle christianophobie". 

La situation des chrétiens était-elle plus sûre sous le régime de Saddam Hussein ?

Bien sûr ! puisque le régime Bassiste, issu d’un parti créé par le Chrétien syrien Michel Aflaq, était au départ nationaliste et laïque, donc totalement opposé à l’islamisme qui est foncièrement théocratique et internationaliste ! Mais il ne faut pas pour autant idéaliser - comme le font trop d’Occidentaux pro-nationalistes arabes – le régime baassiste, qu’il s’agisse de la version irakienne passée de Saddam Hussein ou de sa version Assad-alaouite de Syrie. Disons que les Chrétiens étaient plus libres et même protégés dans la capitale irakienne sous Saddam, ils étaient instrumentalisés politiquement, mais ils étaient tout de même des "citoyens de seconde zone" (dhimmis) en dehors de la capitale qui les protégeait. Au sein de la population musulmane, chiite ou sunnite arabe, ils restaient des Mécréants méprisables et connaissaient déjà des phénomènes de persécution, surtout en milieu sunnite arabe. 

Quelles sont les destinations principales de ces exilés religieux ?

Beaucoup ont émigré au Liban depuis les années 1990 et en Turquie depuis les années 2000, où ils ont été accueillis par les chrétiens assyro-chaldéens catholiques ou orthodoxes qui parlent comme eux la langue du Christ, l’araméen. On en retrouve un nombre significatif à Istanbul et au Liban. Mais beaucoup ont également émigré en Occident, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou de l’Australie pour les plus fortunés ou de la Suède ou même de la France et de la Belgique. Sur le plan interne, on observe aussi un fort mouvement d’exil intra-irakien qui part de Mossoul, ou d’autres régions prises par les jihadistes, vers la ville chrétienne de Qaraqosh (300 familles y ont trouvé refuge) et en général vers le Kurdistan irakien. Ces seules dernières semaines, des milliers de chrétiens se sont enfuis de Mossoul pour se rendre en zone kurde. Ceux qui ont eu le courage ou ont été contraints, faute de moyens, de rester à Mossoul, vivent dans la terreur totale et sous le joug totalitaire de la Charià appliquée désormais à tous par l’EIIL…

Le Kurdistan ne sera-t-il pas à terme une cible de l'EIIL, dont l'ambition est de former un pays englobant la Syrie et l'Irak ? Quelle autre pays de la région pourrait accueillir les chrétiens irakiens sur le long-terme ?

Les objectifs mégalomaniaques de l’EIIL, qui est comme Al-Qaïda une nébuleuse islamo-terroriste et criminelle à la recherche de territoires de non-droit, sont une chose. L’EIIL peut enregistrer des victoires-éclairs dans des zones mixtes ou majoritairement sunnites où ils bénéficient de complicités populaires et tribales et du savoir-faire de sunnites revanchards anciens de l’armée bassiste voulant en découdre avec les Chiites au pouvoir. Mais avant de soumettre la zone du Kurdistan irakien, les Jihadistes même les plus barbares peuvent se lever tôt le matin tous les jours et ils peuvent rêver longtemps ! Car les Peshmergas kurdes sont extrêmement bien entraînés et équipés et ont des centaines de milliers de soldats en réserve. Comme on l’a vu dans la région de Kirkouk, les forces kurdes ont montré ces derniers jours leur capacité de résistance face aux jihadistes arabes. Ils sont animés par un élan nationaliste-séparatiste et sont au contraire en train d’essayer de profiter du démembrement de l’Etat central pour accélérer leur indépendance de facto déjà entérinée… Les Kurdes sont donc une autre paire de manche, et les Islamistes jihadistes n’ont pas plus réussi à les soumettre que leurs homologues syriens n’ont réussi à en découdre avec les Kurdes du Nord de la Syrie…   

Lire également le nouveau livre d'Alexandre del Valle : Le complexe occidental : Petit traité de déculpabilisation, L'artilleur, Toucan Essais, 2014.

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