Châlons-en-Champagne face aux coupes dans les dépenses publiques : cas d’école de réformes nécessaires mais menées de manière désastreuse<!-- --> | Atlantico.fr
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Châlons-en-Champagne apprenait mercredi 15 octobre la suppression de sa base militaire.
Châlons-en-Champagne apprenait mercredi 15 octobre la suppression de sa base militaire.
©Maxppp

Coup de rabot

Châlons-en-Champagne apprenait mercredi 15 octobre la suppression de sa base militaire et de 1000 emplois avec elle. La réforme territoriale et la baisse des dotations d’État menacent également cette ville de 45 000 habitants. Un choc de réformes nécessaire mais qui nie les difficultés auxquelles sont confrontés certains territoires.

Benoist Apparu

Benoist Apparu

Benoist Apparu est un homme politique (UMP). Il est actuellement député de la Marne et maire de la ville de Châlons-en-Champagne. Il a été ministre délégué chargé du logement de février à mai 2012

 

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Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Benoist Apparu, vous avez été reçu mercredi 15 octobre par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui vous a annoncé la fermeture du 1er Régiment d'artillerie de marine (RAMa) et de l'état-major de la 1ère Brigade mécanisée basés dans votre ville à Châlons-en-Champagne. Pourriez-vous détailler les répercussions locales d'une telle décision ?  

Benoist Apparu : J'accueille évidemment mal cette nouvelle. Sur le plan économique, c'est 1 000 emplois directs de perdus et 700 emplois indirects. 3 000 habitants en moins à Châlons-en-Champagne en comptant les familles, et les conséquences économiques que cela suppose : fermeture de classes, les commerces vont souffrir économiquement, tout comme le BTP qui connaît déjà une situation difficile, etc. 

Châlons-en-Champagne a véritablement un ADN militaire. C'est une ville de garnison depuis trois siècles, qui a toujours connu beaucoup de militaires dans un territoire dont l'essence même, sa culture, est la guerre. C'est une région où depuis 1 500 ans toutes les armées se sont affrontées, d'où sa faible identité culturelle en-dehors de l'armée (le patrimoine architectural est inexistant de fait, les populations ont sans cesse été déplacées, etc.).

Je comprends et partage les restructurations militaires. Je partage avec mon groupe politique (l'UMP) la nécessité d'une réduction du nombre de fonctionnaires. La plupart fonctionnent selon le principe du Not in my back yard (Nimby, "pas de ça chez moi" ndlr), cela n'est pas mon cas. Pour nuancer, la réforme est certes nécessaire, mais doit être juste. - 5% d'effectifs pour toutes les garnisons, oui, mais - 100% pour Châlons-en-Champagne, non ! C'est la condition d'acceptation des efforts à produire.

La loi de programmation militaire 2014-2019 n'est pas une nouveauté, et vous êtes vous-même partisan de la diminution des dépenses publiques... Comprenez-vous les arguments avancés par le gouvernement dans le cas de Châlons-en-Champagne ? Avez-vous anticipé les effets de la fermeture de la base militaire, de manière à les compenser ? 

Benoist Apparu : Evidemment, nous avions anticipé la chose. Nous avons engagé des pétitions au niveau local, des manifestations, j'ai même rencontré le Premier ministre et le ministre de la Défense...

J'entends les arguments avancés, mais les conteste. Je vous renvoie à l'injustice des efforts supportés par certains territoires au profit des autres. Qui plus est, tout dépend de la réalité des territoires. 1 000 emplois en moins dans une ville de 45 000 habitants, cela n'a pas le même effet que dans une ville de 500 000 habitants. Qui plus est, 1 000 habitants en moins sur un territoire à démographie positive, ce n'est pas la même chose que dans un territoire à démographie négative... Je suis même prêt à accepter l'idée selon laquelle il ne serait pas possible de raboter les bases militaires de 5% sur l'ensemble du territoire français. Mais dans ce cas, autant raboter davantage dans les villes où les suppressions de postes seraient plus indolores

La projection sur les milieux économiques pèse aux alentours de 15 millions d'euros de perte. Côté école, 200 enfants en moins... Nous subissons déjà la désindustrialisation depuis 40 ans, avec le départ des populations que cela suppose... Il suffit. Je précise en passant que le quart Nord Est est la seule région à perdre des habitants.

Quand un territoire est en déclin démographique, le rôle de l'Etat est de compenser, pas d'accompagner. Le rôle de l'Etat, c'est de conduire une politique d'aménagement du territoire. Quand les militaires m'assurent qu'ils cherchent des bassins à forte population pour le recrutement, je trouve cela contre-intuitif.

La ville de Châlon-en-Champagne a-t-elle obtenu des compensations susceptibles d'attirer de nouveaux acteurs économiques sur votre territoire ?

Benoist Apparu : Le seul élément évoqué est une compensation financière. Et le risque, c'est que l'Etat nous aide à reconvertir les 40 hectares de friches de la caserne en éco quartier ou autre... Excellente idée pour des territoires en progressions démographique qui ont besoin de construire des logements, mais dans un terrritoire en dépression démographique, c'est inutile ! Ma seule ville compte déjà 10% de logements vacants.

Ce dont j'ai besoin, dont mes administrés ont besoin, ce sont des emplois, donc des compensations économiques : que les agences administratives situées à Paris se délocalisent, que les 12,5 milliards d'euros de participation dans les entreprises liées au secteur de la défense servent à leur implantation industrielle dans des territoires qui en ont besoin, que l'Etat se décide enfin à développer la plateforme aéroportuaire de Vatry. J'adresse en ce sens un courrier au Président, ainsi qu'au Premier ministre.

Le possible choc des réformes et la double peine pour Châlons-en-Champagne constituent-ils un cas d'école ? L'Etat pouvait-il anticiper ?  

Gérard-François Dumont : Deux types de décision de l'Etat sont ici recensées. Et celle qui concerne l'armée est assez surprenante, puisqu'il semblerait qu'il n'y ait eu aucune véritable anticipation, même si cette décision s'inscrit dans la loi de programmation militaire 2014-2019. Autrement dit, lorsque l'Etat souhaite supprimer 1000 emplois dans l'armée sur un territoire, il devrait anticiper cette décision en essayant de mettre en oeuvre des solutions pour que le territoire n'en paye pas les conséquences.

Par exemple, dans le cas de Châlons-en-Champagne, un atout économique considérable n'a jamais été vraiment favorisé : l'aéroport de Fret de Vatry dont le développement était possible, sous condition d'un encouragement de l'Etat. C'est une erreur colossale. Contre exemple, à Lacq cette fois-ci. L'épuisement des réserves de gaz a été anticipé cette fois, et tout a été fait pour attirer de nouveaux acteurs économiques sur le territoire. 

Concernant la réforme territoriale qui est un mécano institutionnel, Châlons-en-Champagne n'est pas en réalité une capitale régionale complète, dans la mesure où de nombreux services régionaux ne sont pas basés dans la capitale juridique, mais à Reims (le rectorat, l'INSEE, etc.). Le projet de créer une région CALA (Champagne-Ardennes, Lorraine et Alsace) déboucherait sur une relocalisation du Conseil régional. Ce qui est inquiétant pour Châlons-en-Champagne, c'est moins ce changement de localisation que l'impossibilité d'être mieux gouvernée pour renouer avec l'attractivité économique.

En effet, ce mécano institutionnel est en réalité une double centralisation. J'en veux pour preuve le discours de M. Cazeneuve qui répète qu'il s'agit de renforcer le pouvoir des Préfets, et donc de renforcer les pouvoirs au niveau de l'Etat. Le second risque de centralisation est régional. La façon de gouverner ce nouveau vaste territoire (CALA) se traduirait par des décisions prises dans le centre politique régional sans logique de subsidiarité. Là réside la double peine de Châlons-en-Champagne !

Dans le cadre de la réforme territoriale, la ville pourait également perdre la Préfecture de région... L'Etat osera-t-il le choc des réformes au détriment de la rationnalité économique et de la préservation de Châlons-en-Champagne ?

Benoist Apparu : Nous sommes en effet Préfecture de région et disposons d'un ensemble de structures territoriales qui regroupent 1 200 emplois. Des emplois désormais menacés. Raison pour laquelle je pensais que l'Etat aurait l'intelligence de ne pas nous toucher sur le plan militaire. Et ce n'est pas faute d'avoir répété à Manuel Valls ou à l'Elysée que les deux réformes allaient se percuter.

Mais non, l'Etat fonctionne en tuyaux, chaque ministère conduit ses réformes sans se concerter avec son voisin. Une fois que la carte de la réforme territoriale sera définitivement votée et la nouvelle région CALA (Champagne-Ardennes, Lorraine et Alsace) créée, la Préfecture de région sera attribuée à Châlons-en-Champagne, Metz ou Strasbourg. Le risque de double peine est donc réel.

Toujours sur la réduction des dépenses publiques, l'Etat devrait abaisser ses dotations aux collectivités locales. La troisième peine pour Châlons-en-Champagne ?

Benoist Apparu : Je suis un des rares élus de droite à reconnaître que la réduction des dotations de l'Etat aux collectivités locales me semble normale. Nous contribuons à hauteur de 20% aux dépenses publiques, et devrions contribuer dans les mêmes proportions à la réduction des déficits publics. C'est difficile certes, mais cela me paraît normal.

Reste qu'il faudrait que tout le monde soit traité de la même manière... Là où je conteste les choix opérés, c'est quand ils sont injustes. Et pour Châlons-en-Champagne, cela commencerait à faire beaucoup.

Poursuivre des réformes nécessaires selon pareille logique n'est-il pas contre-productif, voire irrationnel sur le plan économique ?

Gérard-François Dumont : Cela va à l'encontre de la dynamique des territoires. En réalité, la peine est triple, car en outre, l'Etat a décidé de diminuer ses dotations aux collectivités territoriales, et notamment à Châlons-en-Champagne. Si seulement ces diminutions de dotation servaient à baisser l'endettement de l'Etat (et donc ses frais financiers) ou pour conduire des investissements sur des territoires en difficulté économique, ce ne serait pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Mais ces diminutions de dotation serviront en réalité à des dépenses de fonctionnement ! Comme il faudra compenser cette absence d'argent provenant des bienfaits économiques de l'investissement, une augmentation des impôts locaux sera inévitable, soit une diminution du pouvoir d'achat des familles qui habitent sur le territoire, et une dynamique moindre des commerces locaux.

Le gouvernement s'est engagé dans des logiques erronées : l'idée que l'avenir économique français résidait dans les métropoles. Cette idéologie de la métropole ne correspond pas à une bonne connaissance de la réalité géographique. Paris est la métropole la plus peuplée de l'Union européenne, pourtant cela ne garantit pas une attractivité économique en hausse constante. Paris perd périodiquement des sièges sociaux, des directions internationales d'entreprises, etc. L'entrepreuneuriat et la capacité à créer des entreprises ne sont pas dépendants de la taille démographique des territoires. Il faudrait en réalité permettre aux territoires d'améliorer leur gouvernance.

Reste toutefois à régler le problème des dépenses en hausse pour les collectivités territoriales...

Gérard-François Dumont : Depuis la décentralisation de 1982, il n'a été question que de centralisation et il n'a pas été permis aux territoires d'être bien gouvernés. Le rapport de la Cour des comptes souligne que les collectivités territoriales ont trop augmenté leurs dépenses. Mais quelles en sont les causes ? L'Etat a en réalité imposé aux collectivités territoriales les 35H, supprimé la journée de carence des fonctionnaires, revalorisé les salaires, forcé aux journées de formations continues, réformé les rythmes scolaires... Mais il n'assume plus ses fonctions régaliennes (la sécurité n'est plus seulement assurée par la police nationale et gendarmerie nationale sur les territoires). Tout cela augmente de fait le budget des collectivités territoriales.

Le problème est d'engager les réformes utiles, et non celles qui aggravent la situation des territoires. En ce sens, il faut engager la décentralisation pour que les territoires puissent gérer leurs ressources humaines, n'aient pas besoin en permanence d'autorisations étatiques dans l'élaboration de projets. Faut-il rappeler que les collectivités territoriales sont enfermées dans 400 000 réglementations ? Une collectivité territoriale, quel que soit le projet qu'elle veuille réaliser, doit en passer par des dossiers administratifs considérables, ne serait-ce que pour l'obtention d'autorisations de l'Etat et dont les délais ne sont pas précisés. Exemple vécu : une entreprise de 450 salariés ferme, le Conseil régional met au point une formation pour ces personnes afin qu'elles trouvent un nouvel emploi. Pour pouvoir le faire, il lui faut une autorisation de l'Etat. La réponse interviendra deux ans après...

Encore un exemple avec Châlons-en-Champagne, son avenir repose soit sur la participation de l'Etat à des projets de reconversion de Châlons-en-Champagne, soit sur la base de projets élaborés localement. Ce qui suppose évidemment une latitude plus grande laissée aux pouvoirs locaux. Dans tous les cas, il faut repenser l'attractivité économique locale.

Et au-delà de la décentralisation, quelles mesures mettre en oeuvre pour une réforme efficace en faveur des territoires ?

Gérard-François Dumont : En plus de la décentralisation, dont nous avons déjà parlé... Il est intéressant de noter que nous n'avons plus de politique nationale d'aménagement du territoire. Elle devrait exister, au sens où c'est le rôle de l'Etat de réaliser l'égalité des territoires. Aujourd'hui, l'Etat s'est défaussé par exemple sur la question de l'égalité numérique des territoires. Or réaliser l'économie numérique devrait être une priorité.

Il faut ensuite supprimer les doublons entre Etat et collectivités territoriales. La décentralisation a conduit à la transmission de compétences aux collectivités territoriales, mais l'Etat n'a pas transmis les personnels et les moyens correspondants. Il les a gardés. En particulier lors de l'acte 2 de la décentralisation conduite en 2004. Cela est prégnant en matière d'aménagement du territoire, en matière culturelle, ou pour l'éducation nationale, etc.

Enfin, il faudrait assouplir l'intercommunalité. L'Etat l'a conçue comme une fin, alors qu'elle devrait être un moyen. Elle est différenciée et complexe, qui plus est : communauté de communes, communauté d'agglomérations, communauté urbaine ou encore la métropole. Les citoyens d'ailleurs ne s'y retrouvent même pas. Du point de vue de la diversité des territoires, il conviendrait de créer un statut unique d'intercommunalité, qui pourrait être adaptée à la réalité de chacun des territoires. 

En conclusion, la présente réforme porte un risque de double décentralisation, et est ruralicide. Il faut permettre aux acteurs locaux de penser global et d'agir local, plutôt que de les étouffer avec des règlementations tatillonnes.

Benoist Apparu, en tant qu'ancien ministre, quel regard portez-vous sur les politiques d'aménagement du territoire conduites par l'Etat ?

Benoist Apparu : L'Etat ne s'est pas préoccupé depuis 30 ans de l'aménagement des territoires. J'en veux pour preuve la fusion entre la délégation à l'aménagement du territoire et celle de la cohésion sociale et des banlieues. Autrement dit, la vision de l'aménagement des territoires repose sur le diptyque centre-ville et périphérie.

Or, il y a des phénomènes géographiques et démographiques très différents de ceux qu'étudie l'Etat depuis 30 ans. Si je peux me féliciter d'une chose quant à mon passage au ministère du logement, c'est d'avoir réussi à faire comprendre que construire des logements en zones tendues était une idée louable, mais qu'elle l'était déjà moins moins dans les zones détendues. En d'autres termes, contruire, oui, mais dans des territoires qui en ont besoin. Et tous ces phénomènes sont malheureusement sous-étudiés depuis plus de 30 ans dans les ministères. Dans les politiques publiques, tout le monde raisonne selon des chiffres qui dépeignent la France comme un territoire uniforme. C'est dramatique ! 

J'attends de l'Etat qu'il se projette à 20 ou 30 ans, qu'il inscrive sa réflexion dans des projections de long terme. D'ailleurs les phénomènes démographiques à court terme ne signifient rien. L'Etat doit penser à long terme, plutôt que de persister à conduire la tête dans le guidon.

Propos recueillis par Franck Michel

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