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L'industrie française se porte-t-elle aussi mal qu'on le croit ?
L'industrie française se porte-t-elle aussi mal qu'on le croit ?
©Reuters

Au fond du trou

La 3e édition de la semaine de l'industrie débute ce lundi. L'objectif de cet événement, porté par le ministère du Redressement productif, est de promouvoir ce secteur et de susciter les vocations.

Jean-Louis  Levet et Jean-Pierre Corniou

Jean-Louis Levet et Jean-Pierre Corniou

Jean-Louis Levet est économiste.

Son dernier livre est Réindustrialisation j'écris ton nom, (Fondation Jean Jaurès, mars 2012). Il est également l'auteur de Les Pratiques de l'Intelligence Economique : Dix cas d'entreprises paru chez Economica en 2008 et GDF-Suez, Arcelor, EADS, Pechiney... : Les dossiers noirs de la droite paru chez Jean-Claude Gawsewitch en 2007.

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : PSA Peugeot-Citroën, Renault, Goodyear ou encore Arcelor Mittal. Les plans sociaux se sont succédés ces derniers mois, détruisant plusieurs milliers d'emplois. L'industrie française se porte-t-elle aussi mal qu'on le croit ? Existe-t-il des secteurs industriels français qui réussissent mais dont le succès serait masqué par les péripéties des entreprises en difficultés ?

Jean-Louis Levet :Le positionnement globalement difficile de l’industrie française ne doit pas bien sûr occulter une diversité des situations. Dans un contexte de croissance atone au niveau national et européen, il ne faut pas négliger les comportements des entreprises, en particulier celles qui ont toujours cherché à innover, à se remettre en cause, à se réinventer, y compris dans des activités considérées il y a encore peu comme irrémédiablement condamnées. Citons quelques exemples : les entreprises du secteur textile ont revu complètement l’organisation de leur production et sont devenues pour certaines très créatives, misant sur le fast fashion (multiplication des collections). D’autres se sont spécialisées dans le tissu technique, très utilisé au quotidien : couches pour bébés, équipements sportifs et de sécurité, filets horticoles, géotextiles pour filtrer, drainer et renforcer le sol, implants médicaux, etc. Cette filière technique a ainsi créé 7000 emplois depuis 2005, quand les activités textiles traditionnelles faiblement innovantes en détruisaient 20 000 dans la même période.

Citons aussi l’industrie du cuir, laquelle avec 8000 PME et 80 000 emplois, maintient ses compétences, exporte 90% de sa production et est devenue la 2e exportatrice mondiale, en se refocalisant sur les marchés du luxe. De même, les entreprises de l'électroménager croissent de 5% par an, en jouant sur la qualité, l’innovation et le design : qui aurait cru cela après le naufrage de Moulinex ? Même les entreprises de la chaussure exportent encore 80 millions de paires en 2011, essentiellement en Europe et l’industrie du meuble, en s’automatisant, à quasiment fait disparaître les très fortes différences de coût avec les producteurs chinois.

Et puis il y a aussi les activités qui mettent à profit les nouveaux besoins : hébergement médico-social, filières propres, recyclage des déchets, etc. Donc pas de fatalité !

Jean-Pierre Corniou :Certes l’industrie française a perdu de sa substance au cours de la décennie 2000. Mais la France reste un des rares pays au monde à être capable de produire pratiquement tous les biens et les services de l’économie moderne, dans les secteurs traditionnels comme dans les secteurs de pointe. L’industrie représente 14% de la valeur ajoutée et fin 2012, employait 2,867 millions de salariés, contre 3,8 millions en 2000, soit 13% de la population active. Elle a perdu plus de deux millions d’emplois en vingt ans, plus par amélioration de la productivité que par effet de la délocalisation. En 2012, 35000 emplois ont été perdus. Mais il faut toujours rappeler que l’industrie génère des emplois de service, qui ont été externalisés depuis longtemps, tant pour la conception que pour la maintenance. L’industrie reste la locomotive qui tire l’emploi tertiaire et génère les revenus. Certes les fermetures d’usines symboliques marquent les esprits, mais il y a en France en 2013 des secteurs très compétitifs, même dans l’industrie classique. Prenons Michelin dans l’industrie automobile qui s’est imposé comme une marque mondiale synonyme de haute qualité et améliore sa marge opérationnelle en 2012 par rapport à 2011. Prenons Airbus qui peine à trouver de la main-d’œuvre spécialisée dans le Sud-Ouest. Les métiers en tension sont traditionnellement ceux de chaudronnier, soudeur et mécanicien, mais aussi d’ingénieur. Citons Gemalto qui a cru de 9% en 2012 dans son secteur de la sécurité des transactions numériques, qui comprend aujourd’hui 40% d’activité logicielle. N’oublions pas le succès de sociétés intermédiaires comme Seb (4 milliards de CA) ou Somfy (1 milliard) qui ont une empreinte mondiale en gardant une base solide en France.

L'industrie française est-elle entrée dans une phase de transition "schumpeterienne" caractérisée par des secteurs en crise qui licencient pour laisser place à de nouvelles industries innovantes ? Qu'est ce que cela révèle sur l'évolution de l'industrie et du tissu industriel français ?

Jean-Louis Levet : Il n’y a pas, comme les exemples que nous venons de citer le montrent, de lois universelles qui feraient que des activités sont inexorablement vouées à disparaître, et d’autres qui émergeraient. Toute entreprise, quel que soit son secteur d’activité, connait à un moment ou à un autre de sa vie, des difficultés. Regardez le cas d’Alstom : l’effectif du groupe est passé de 110 000 personnes en 2003 à 65 000 trois ans plus tard, à la suite d’une accumulation de difficultés qui l’a conduit au bord du gouffre, pour ensuite progressivement remonter à 90 000 personnes ! PSA, aujourd’hui, est un peu dans le même cas, ce qui ne signifie pas qu’il va disparaître ! Dans ces deux cas, l’Etat a aidé les deux groupes.

Le problème à l’échelle de l’ensemble de notre industrie est de sortir d’un modèle de productivité qui durant plusieurs décennies a été basé sur l’optimisation de l’existant, la recherche d’économies d’échelle, la réduction des coûts, à un modèle de productivité fondé sur la créativité et l’entrepreneuriat. C’est cette transition que le pays doit réussir, avec la mobilisation de tous les acteurs. Ce qui signifie en particulier une politique d’investissement ambitieuse pour inventer notre avenir.

Jean-Pierre Corniou : La mécanisation, puis l’automatisation et enfin l’informatisation ont cassé depuis les années 1970 le lien linéaire entre le volume de travail et le volume de production. La croissance économique s’est construite par la réduction du volume de travail, qui est le produit du nombre de travailleurs par la durée du travail pour une technique donnée. Ce processus a progressé avec la robotisation qui a conduit à un accroissement de la qualité et à la réduction tant de la pénibilité du travail que du nombre de travailleurs. Les mutations sont longues et incomplètes, il y a des poches de résistance à l’innovation, qui finit toujours par l’emporter, le cycle de diffusion de l’innovation s’accélérant constamment. Il a fallu plus de 70 ans pour électrifier la France, mais  à peine une quinzaine d’années pour totalement la convertir au téléphone mobile, à l’Internet, au web et à l’e-commerce. Elle s’adapte et mue comme ses compétiteurs, mais notre système social tend à dramatiser ce phénomène car on a tardé à adapter nos outils de gestion sociale pour accompagner ces mutations par une logique partenariale de flexi-sécurité.

29 400 emplois industriels ont été détruits en 2012 et 40 000 serait menacés cette année dans le secteur industriel selon l'Insee. Les emplois perdus dans l'industrie pourront-ils être recréés à l'avenir ? En quoi les emplois dans le secteur industriel français de demain seront différents de ceux d'hier et d'aujourd'hui ?

Jean-Louis Levet : L’innovation dans les activités matures, de nouvelles ruptures technologiques dans des activités liées à de forts besoins en croissance (mobilité, information, santé, énergie, etc), sont en train de diversifier puissamment les métiers dans l’industrie et les services aux entreprises qui se combinent de plus en plus ; quant aux entreprises, elles doivent mobiliser un grand nombre de leviers pour être compétitives. Autant d’opportunités pour nos jeunes. Encore faut-il considérer comme fondamental, l’orientation scolaire, l’interface entre le système éducatif et le monde de l’entreprise, la formation en alternance : là est l’enjeu majeur pour notre pays.

Jean-Pierre Corniou : Il y a dans le processus d’ajustement de l’emploi une constante : un noyau dur de salariés subsiste alors que l’intérim assure la flexibilité. Ce sont donc les salariés en intérim, qui représentant 45% des salariés de l’industrie, qui souffrent le plus des ajustements, mais aussi bénéficient le plus rapidement de la reprise.

En dehors des fermetures de sites industriels, rien n’est jamais définitif. Une usine peut parfaitement être modernisée, restructurée, adaptée pour améliorer ses performances et répondre à la demande. L’industrie est par nature mouvement. L’innovation technique est continue et notre retard en matière de robotisation peut parfaitement être rattrapé si on investit à bon escient dans des produits attractifs. Le design français, l’ingénierie française ne sont pas en retard sur les autres pays du monde, on peut parfaitement réussir sur toute la chaîne de valeur. Mais il faut admettre que le modèle fordiste qui entraînait de fortes concentrations de populations ouvrières sur un même site est totalement dépassé dans l’économie du XXIe siècle, numérisée et basée sur une l’entreprise étendue. Il faut de toute évidence continuer à adapter notre droit du travail à une situation mouvante sans renoncer à réconcilier en permanence efficacité, compétitivité et équité. Nous sommes loin du modèle de l’après-guerre, il faut que les institutions françaises l’admettent pour construire un nouveau modèle social audacieux, comme l’accord entre partenaires sociaux commence à en ouvrir la voie.

L'industrie française a t-elle encore un avenir sur son propre territoire ? Notre l'économie est-elle adaptée au développement industriel ?

Jean-Pierre Corniou :Le territoire national a cessé depuis longtemps d’être la référence en matière industriel car les flux d’échanges multilatéraux sont indispensables à la concrétisation des progrès techniques. Aucun pays ne peut être seul en avance comme la Grande-Bretagne a pu l’être au début du XVIIIe siècle. La mondialisation industrielle n’est donc pas prête de s’arrêter car elle est nécessaire. Les entreprises françaises sont présentes physiquement dans le monde ce qui contribuent à leur performance économique. Il y aura toujours plus d’interpénétrations industrielles et de coopérations, parce que les coûts d’investissement élevés dans les domaines de l’aéronautique, de la défense, de l’automobile, de l’énergie, de la chimie pharmacie impliquent le montage de partenariats industriels transcontinentaux. Mais aussi chaque pays cherche à fixer l’emploi et exige des contreparties industrielles locales à ces accords. C’est le cas, par exemple, de l’Inde pour le Rafale, mais aussi du partage d’activités chez Airbus.

Certaines activités moins capitalistiques, à changements rapides, comme les industries de la mode, peuvent parfaitement exploiter le potentiel de compétences du territoire français en ayant un marché mondial. On observe ainsi un retour de l’industrie, très mobile, des montures de lunettes dans ses terres historiques du Jura, car on constate que les cycles de conception et diffusion d’articles de mode impliquent des livraisons en flux tendu que la massification imposée par la production en Chine ne permet pas.

Enfin on va voir naître des activités industrielles nouvelles à partir de start-ups qui apportent des solutions innovantes et séduisantes comme le français Withings qui a révolutionné le banal pèse-personnes en le dotant de capacités logicielles et en a fait un auxiliaire majeur de la gestion de son capital santé individuel. Quatre start-ups françaises ont ainsi raflé les prix de l‘innovation au Consumer Electronic Show de Las Vegas en 2013. Cinq appareils français figurent parmi les meilleures ventes d’appareils connectés de l’Apple Store… aux Etats-Unis.

Enfin, il faut considérer qu’une grande partie des articles standards fabriqués en grande série pourra être relocalisée dans des unités locales plus petites grâce à la rupture technique que constituent les imprimantes 3D qui ne cessent de se perfectionner.

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