Cette étrange apathie occidentale face aux pulsions guerrières saoudiennes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Cette étrange apathie occidentale face aux pulsions guerrières saoudiennes
©Reuters

On en parle ?

Personne ne parait préoccupé par l’étonnante hubris guerrière qui s’est emparée de l’Arabie saoudite ces dernières années. Les Occidentaux semblent subir la fascination du regard du serpent comme ils l’eurent en d’autres temps face aux nazisme naissant. Pourtant la séquence diplomatique et belliqueuse saoudienne est impressionnante.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

Voir la bio »

Les troupes du royaueoccupent depuis le 14 mars 2011 le petit émirat de Bahreïn pour y rétablir la monarchie sunnite contestée par une révolution démocratique du « printemps arabe ».Il est vrai que 90% de la population bahreïnie est chiite et la monarchie sunnite. La chose s’est donc faite sous couvert de l’accord de défense liant les pays du Conseil de Coopération du Golfe. Riyad a retiré ses modestes 17 avions de combat engagés contre Daech depuis que ses forces armées sont engagées en mars 2015 dans une guerre de bombardement aérien au Yémen qui a déjà fait plus de 6000 morts et plusieurs dizaines de milliers de victimes. L’Air Force saoudienne a mobilisé une centaine d’aéronefs contre les Houtis chiites qui semblent donc un ennemi plus menaçant que Daech et surtout que Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) que la CIA considère portant comme la plus dangereuse des franchises du défunt Ben Laden. Enfin Riyad a mis sur pied le 15 décembre 2015 une « coalition arabe contre le terrorisme » réunissant 34 pays essentiellement tournée contre l’Iran. L’Algérie a refusé d’y adhérer expliquant par la voie de son porte-parole qu’elle ne souhaitait pas rallier une coalition menée par le pays qu’elle regarde comme la principale source du salafisme qui a causé les 10 ans de la guerre civile.

La délire guerrier de la dynastie saoudienne se double aujourd’hui d’un autoritarisme régional à l’encontre du Qatar. Riyad, après avoir rompu toutes relations diplomatiques et commerciales avec Doha, a mis près de 15 jours avant de lancer le 22 juin un ultimatum en 13 points qui n’est pas sans rappeler celui lancé par Hitler contre la Tchécoslovaquie : accepter l’inacceptable sinon la guerre ! Celui-ci est doublé d’un embargo radical et total qui rappelle celui qui a été imposé à l’Irak de Saddam Hussein. Mais ce dernier avait été adopté par l’ONU et pas par un pays accompagné de ses affidés.

Comment expliquer cet activisme irraisonné ?

D’abord par la complaisance occidentale. Ce n’est pas la première fois que les analystes occidentaux détournent le regard devant la réalité de la diplomatie saoudienne. Les services saoudiens qui géraient l’aide américaine aux Moudjahidine afghans lors de la guerre contre les Soviétiques. Riyad fait équipe avec le maréchal pakistanais Zia ul‑Haq enorientant celle‑ci vers les plus radicaux des chefs de guerre (Abdul RasulSayyaf, Gulbuddin Hekmatyar), comme le signalaient déjà les services français. Le pays a ainsi dépensé plus de 4 milliards de dollars pour soutenir les moudjahidinesdont 1 milliard $ surtout pour implanter des madrasas wahhabites destinées aux jeunes Afghans réfugiés dans la zone tribale du Pakistan. Les madrasasdéobandi, originaire du sous-continent indien doivent faire de la place aux madrasas d’Arabie saoudite. Il en sortira les taliban (étudiants en théologie islamique) dont Riyad reconnut immédiatement le nouveau régime en même temps que le Pakistan et les Émirats arabes unis.

Complaisance occidentale aveugle aujourd’hui encore !Délicat respect diplomatique de la souveraineté saoudienne lors de la décapitation de 47 personnes (dont un haut dignitaire chiite) en octobre 2014 ;mutisme total sur la répression à Bahreïn (5 morts lors de la dernière manifestation et interdiction d’un parti laïc Waad évidemment accusé de « terrorisme ») ; silence assourdissant sur les 5000 victimes de bombardements saoudiens (y compris sur un hôpital de MSF le 15 aout 2016…). L’épidémie de choléra apparue en avril 2017 au Yémen n’a pas fait changer la ligne diplomatique française, ni cesser les livraisons d’armes au client saoudien. Enfin la visite du président Trump peu de temps avant l’ultimatum lancé contre le Qatar et la désignation commune de l’Iran comme principale « source du terrorisme » procède de cette même fascination occidentale aveugle à l’égard des wahhabites. Preuve en est qu’aucune troupe saoudienne ne participe à la guerre contre Daech, le monstre créé par le docteur Frankenstein wahhabite, et qu’aucune capitale occidentale ne s’en étonne.

Il y a aussi sans doute le rôle personnel joué par le nouveau Prince héritier Mohamed Bin Salman, déjà vice premier ministre et ministre de défense. La jeunesse de l’homme (31 ans) est souvent présentée par les analystes comme un gage de modernité. Mais comme tous ses prédécesseurs il est un pur produit du système éducatif saoudien, simplement diplômé de Droit de l’Université islamique de Riyad. (Quel professeur aurait pu lui mettre une mauvaise note ?). Il est le facteur belligène du système directement impliqué dans la guerre au Yémen et dans la tension avec l’Iran. Il sait séduire les investisseurs et les décideurs occidentaux avec ses promesses de modernisations économiques et de privatisations décrites dans le plan « vision 2030 ». Repartir de Riyad avec une lettre d’intention (pas un contrat) mentionnant un gros chiffre (380 milliards $ pour Trump mais seulement 10 milliards $ pour Manuel Valls) suffit à faire taire les éventuelles préoccupations démocratiques. Pourtant le pays est structurellement irréformable et n’a pas les moyens de ses ambitions, coincé entre sa politique de bas prix du pétrole pour affaiblir l’Iran et le gaz de schiste américain, et ses promesses d’acquisition largement lancées à ses protecteurs.

Le différend avec le Qatar repose sur un certain nombre de facteurs objectifs dont la relation avec les Frères musulmans soutenus par Doha mais dénoncés comme « groupe terroriste » par Riyad. Le soutien apporté par certains intérêts qatari à des groupes radicaux en Syrie peut aussi faire l’objet d’accusations fondées mais quand celles-ci émanent de princes wahhabites, on croit rêver !En France si l’Arabie a une image déplorable qu’elle tente de corriger en passant d’énormes contrats avec les 4plus grosses sociétés de relations publiques françaises, le petit émirat lui-même wahhabite, est lui-même plombé par les relations ambiguës entretenues avec l’ancien président de la république.

Faut-il donc s’en mêler ? La visite de Le Drian est discrète et se limite à des bons offices, mais la région se divise autour de l’embargo saoudien : la Turquie qui construit une base militaire dont Riyad demande la fermeture dans son ultimatum, a fourni des garanties de sécurité à Doha et de l’approvisionnement. L’Indonésie, le Pakistan et la Malaisie ont refusé de rompre leurs liens avec Dohapuisque le premier effet de l’embargo sera très certainement l’expulsion des travailleurs immigrés. Le front espéré par Riyad ne prend pas corps et Riyad ne semble pas se satisfaire d’avoir eu le soutien public d’Avigdor Lieberman le ministre ultra-orthodoxe des affaires stratégiques du cabinet Netanyahou.

La redistribution diplomatique dans la région nécessiterait une remise à plat à laquelle les stratèges occidentaux ne se sont pas préparés.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !