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Cet étrange paradoxe qui nous voit incapables de trouver le ton juste pour parler de sexe avec les adolescents alors même que le sexe s’affiche désormais partout sans tabou
©Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Génération porno

La sexualité n'a plus rien de tabou : la pornographie est devenue accessible à tous, nombreux sont ceux qui cachent un sex-toy au fond d'une commode et chacun peut faire le plein de conseils sexo dans les colonnes des magazines féminins. Et pourtant, les jeunes paraissent toujours aussi mal informés en matière de relations sexuelles.

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Nous vivons dans une société hyper-sexualisée. La pornographie est accessible à tous, les moyens de contraception ce sont multipliés, les livres érotiques font partis des meilleures ventes, et les magazines féminins regorgent de chroniques sexo. Si le sexe n'est plus vu comme étant un sujet tabou, comment expliquer que les adolescents ou les jeunes adultes soient toujours aussi mal informés à ce sujet ? N'est-ce pas paradoxale ?

Michelle Boiron : Pour illustrer votre question je prendrais pour exemple une jeune fille de 13 ans vivant à Bordeaux. Elle a subi des injures dans les toilettes de son établissement scolaire et les a dénoncées. Elle reconnaît et banalise une consommation de toute la classe, fille comme garçon, de sites pornos. En parallèle elle est amoureuse d'un jeune garçon de son âge avec lequel elle se contente de "bisous" et aussi de se tenir par la main comme de jeunes enfants amoureux. Cela ressemble à un petit flirt bisounours, une initiation progressive d'un début de sexualité en cohérence avec leur âge.

En revanche, elle souhaite un peu gênée, poser une question au sujet d’une pratique de frottement qu’elle pratique pour se « faire plaisir » et qui l’inquiète.  A la simple évocation de son sexe pour lui permettre de prendre conscience, et apprivoiser  cette zone, elle manifeste un dégoût radical et rédhibitoire.

Elle a un comportement de petite fille, pour le frottement (voir théorie sexuelle de Freud) et pour sa relation avec son petit copain. Cela pourrait être paradoxale eu égard à ce qu’elle a vu comme scènes.

Sa sexualité avec un tiers semble bloquée et figée par la sidération éprouvée lors du visionnage de films pornos. Le virtuel « excitatoire » a semble-t-il provoqué chez elle un dégoût de son propre corps par identification à ces femmes actrices porno. Et en même temps la recherche d’excitation s’est initiée par symptôme de frottement et est fixée par la persistance de regarder du porno (comme tout le monde).  

On est dans un phénomène en miroir qui provoque chez la jeune adolescente l'incapacité de se distancer de ce qu’elle a vu dans le virtuel.  Son cerveau a enregistré une scène traumatique effractante. On est dans le paradoxe d’une sexualité virtuelle crue sans lien ni émotion, le frottement (qui la culpabilise et l’inquiète) et la réalité d’un flirt d’ado. Cette pratique inadaptée pour s’initier à la relation sexuelle, conduit les enfants soit à se couper de leur corps pour ne pas qu’il soit assimilé à ce qu’ils ont vu, (comme pour cette jeune fille), soit à singer les codes du porno comme d’autres adolescents et vivre des scènes « hard ».

Un apprentissage dans la vraie vie est nécessaire pour apprivoiser une sexualité de découverte et qui est par nature évolutive.

Alors que la libération sexuelle a débuté il y a plus de 50 ans, et que le mouvement #MeToo vient d'avoir lieu, comment expliquer que les jeunes garçons et les jeunes filles se sentent toujours obligés de coller à certains stéréotypes (l'homme fort, très habile sexuellement et la femme plus passive, sexy etc) ? La pornographie est-elle à la source de ces étiquettes ou il-y-a-t-il d'autres facteurs explicatifs ? 

Les mœurs ont fait évoluer les représentations de la sexualité et certaines pratiques jugées perverses, deviennent standards. La question de la normalité est comme jamais présente, là où les comportements sexuels sont devenus publiques. La norme : «être performant» a atteint aussi les jeunes. Mais qui voudrait être «ordinaire» dans un monde où la performance s’étend à tous les domaines ? Alors quand il s’agit de sexualité, la tiédeur n’est pas très excitante. Il est recommandé d’être froid ou bouillant ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on commence à voir des comportements entre excès et abstinence. Pour les adolescents, la performance peut paralyser et différer le passage à l’acte ou bien basculer prématurément vers une addiction au porno. Cette addiction sans produit est accompagnée de symptômes de  passivité et d’isolement, très nocif pour tous les addicts et tout particulièrement pour la période de l’adolescence qui est un séisme en soi. 

Enfin, si les colonnes sexo des magazines féminins et l'éducation sexuelle n'ont pas réussi à mettre fin à cette désinformation, comment faire en sorte que les jeunes se sentent plus à l'aise et mieux informés ?

Il me semble indispensable de redonner aux jeunes enfants et aux adolescents le goût de la découverte de leur corps au fur et à mesure de leur évolution psychique et physique pour tendre vers une harmonie tête émotion et sexe avec des partenaires de leur âge. On a pensé à tort qu’on pouvait impunément remplacer ce processus progressif  par un bain toxique violent et cru d’images pornos virtuelles.

On peut leur expliquer que l’acte sexuel sera toujours la rencontre de deux êtres qui se séduisent, de deux corps qui s’apprivoisent, d’émotions partagées, d’un chemin de découvertes progressives pour arriver à une vraie jouissance qui se termine par un apaisement et un bien être abyssal. La jouissance est évidemment importante.  Aujourd’hui les jeunes filles, savent que leurs mères ont fait un long chemin et n’accepte plus d’être traitée de «peine à jouir». Elles revendiquent le plaisir partagé, veulent être partie prenante, n’acceptent plus d’endosser les stigmates de la passivité. En revanche cela leur donnent aussi  la pression d’y parvenir coûte que coûte ! D’où la curiosité d’aller y voir sur la scène du film porno…Et d’en singer les codes. Ce qui est un moyen délétère et nocif pour la plupart d’entre elles. Comment devenir une femme ? Les mères ont un rôle à jouer.

Dans le même temps le jeune adolescent  subit  lui aussi une pression forte d’une position virile sans que soit pris en compte sa vulnérabilité, son manque d’expérience dans la vraie vie et la rencontre avec une jeune fille réelle. Les pères ont un rôle à jouer.

Il a lui aussi pour seule notice ce qu’il a visionné dans les films pornos ! Cela crée chez les adolescents l’anxiété de la performance pour un acte qui devrait rester intime privé. Alors comment abolir une partie de ces idées récentes mais déjà enkystées dans les comportements sexuels des adolescents ?

Il n’est pas question de revenir en arrière sur l’avancée des technologies mais peut être leur apprendre à déconnecter, se faire confiance et reprendre le chemin de la découverte de la relation sexuelle avec ce qu’ils sont et ne pas demander le chemin de l’orgasme aux acteurs pornos ! Réserver des temps sans tablette, sans être branché, privilégier la communication réelle à défaut du virtuel. Un seul mot d’ordre : « Débranchez vous ! »

Avant que n’existe les applications pour les trajets il y avait une blague qui circulait : « Pourquoi les hommes ne demandent jamais leur chemin ? » La réponse : « Avez-vous déjà vu un spermatozoïde demander son chemin ? » On peut réfléchir à cette évidence qui se perd…dans le virtuel et la technologie…

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