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Ces vertus majeures de Maurice Genevoix dont Emmanuel Macron tente de se revêtir
©Georges BENDRIHEM / AFP

Panthéonisation

Emmanuel Macron préside ce mercredi l’entrée au Panthéon de l’écrivain Maurice Genevoix. L'attitude d'Emmanuel Macron, transformant la panthéonisation de femmes et d'hommes illustres en "produit politique", affaiblit-elle les hommages et la portée de ces commémorations ?

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico.fr : En transformant la pantheonisation de grands hommes -et femmes- en produit politique à consommation immédiate, Emmanuel Macron affaiblit-il les hommages rendus en utilisant les qualités perçues des uns et des autres pour sa com’ du moment ?

Damien Le Guay : L’entrée au Panthéon d’un « grand homme » a toujours une fonction politique. Il ne faut pas s’en étonner. Allons-même plus loin, cette entrée, à chaque fois, a une double fonction : faire entrer un héros dans le cercle restreint des plus illustres serviteurs de la « Nation reconnaissante » ; et faire entrer dans l’histoire celui qui fait entrer le héros – ou du moins se proposer de le faire. Les mérites de l’impétrant sont grands : il sert toujours une grande cause, vient avec tout un aréopage autour de lui, et s’est mis au service de la Nation. Mais, bien entendu, ces trois qualités rejaillissent (telle en est du moins l’intention) sur le Président qui est à la manœuvre. Ces cérémonies sont comme un double baptême national : celui du mort et celui du Président en exercice. N’oublions pas que ce bâtiment était religieux avant que d’être stricto sensu dédié à devenir le paradis de la Nation. N’oublions pas qu’en mai 1981, pour baptiser son septennat, François MITTERRAND, seul à seul avec l’Histoire, est venu déposer des roses, au Panthéon, sur les tombes de Jean MOULIN, Jean JAURES et Victor SCHOELCHER, sans doute pour se « purifier » des péchés historiques qu’on aurait pu lui reprocher : lui qui avait été décoré de la Francisque par Pétain ; lui qui n’a jamais été accepté pleinement dans la famille des socialistes et l’était devenu sur le tard ;  lui qui avait été si longtemps, comme ministre de l’Intérieur, partisan de l’Algérie-Française et donc peu soucieux de l’indépendance des peuples asservis. Triple purification politique. Le Président Mitterrand fit quatre cérémonies qui toutes eurent cet effet boomerang de sacralité historique. En 1987, il fit entrer René Cassin, puis en 1988, Jean Monet, en 1989, pour célébrer la Révolution Française, L’Abbé GREGOIRE, G Monge et Condorcet, et pour finir, en 1995, Pierre et Marie CURIE. A chaque fois, il s’agissait de se donner à lui-même un brevet de vertu politique.  Avec Cassin, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme ; avec Monet, l’Europe en construction que Mitterrand parachevait ; avec les trois de 1989, la Révolution française, comme si seule la gauche au pouvoir pouvait réconcilier la France avec son inauguration révolutionnaire. Et pour finir, avec les deux CURIE, la promotion de la femme et tous les combats féministes.

Alors, ne soyons pas naïf ! Dire qu’il y a un message subliminal dans une panthéonisation n’est en rien un procès d’intention, mais une simple évidence politique. Maurice GENEVOIX fut un grand écrivain. Il suffit de le lire pour s’en convaincre avec son superbe style classique, dépourvu de grandes idées ou de généralités psychologiques, mais soucieux de mettre en scène les actions de ses personnages par lesquels ils se révèlent tels qu’ils sont en vérité. Pas d’introspection, pas d’état d’âme, mais, des gestes, des paroles, des situations, des rencontres. Mais surtout, l’écrivain possède ce génie du détail significatif, des dialogues révélateurs et des paysages de pleine nature. Cela devrait suffire ! Cela devrait être les seules raisons de son entrée au Temple de la Nation reconnaissante. Mais nous sommes en France où, pour ces sujets de reconnaissance (les statues, la plaque des rues, les commémorations, les timbres-postes..) tout est politique. Et tandis qu’on déboulonne à tour de bras des héros de l’histoire, considérant qu’ils ne sont pas assez modernes et trop de leurs temps (ce qui en dit plus long sur l’arrogance des temps présents, que sur les manquements des dits héros), Maurice GENEVOIX faits son entrée macronienne au Panthéon. Alors, en toute bonne foi, posons-nous cette question : Quelles sont les vertus de Maurice Genevoix que souhaite célébrer le Président Macron pour mieux s’en revêtir ? J’en vois trois. D’une part : un patriote d’une nation à défendre coûte que coûte ; un écologiste sans trompette ni tambour ; un homme couvert d’honneurs et qui pourtant fut révolutionnaire à sa manière.

Le patriote. Son entrée fracassante dans le monde de littérature, se fit avec « Ceux de 1914 », récit sans concession (au point d’avoir été pour partie censuré par l’armée lors des premières parutions) de ses années de guerre, de ces mille et une histoires de cette « camaraderie » fracassée par la grande guerre. Non pas la France des généraux et des Maréchaux d’Etat-major, assez insensible aux nombres de morts et aux dégâts humains, mais celle des soldats sur le terrain, des Français comme tout le monde, du petit peuple des poilus. Tous ils se battent pour la France, se font trouer la peau et, dans les tranchées, « font France » dans la cohésion fraternelle. Non pas la France d’en haut, mais celle d’en bas. Macron qui vient de l’Etat-major des élites énarchiques souhaitait, dans son projet présidentiel, faire venir la décision d’en bas, faire monter la France d’en bas, faire remonter la volonté des petites gens pour mieux permettre au chef de l’incarner. Lui qui est Foch, il voudrait nous convaincre qu’il est encore un Genevoix !

L’écologiste. A partir de Raboliot (prix Goncourt 1925), Genevoix fut le grand écrivain des petites gens des campagnes, du peuple des forêts et des poissons de rivière, tous en liens les uns avec les autres, avec, pour l’homme, un souci de fraternité et de vigilance bienveillante. Nulle exploitation destructrice, nulle domination, nulle destruction, mais un constant émerveillement pour tous ces mystères et toutes ces beautés offertes par la Nature. De toute évidence, il fut écologiste avant l’heure – même si son aspect petit bourgeois de province, et sa place éminente dans les institutions littéraires, l’empêchèrent d’être reconnu comme tel. Non pas un écologiste échevelé ou un écologiste gauchiste, mais, un écologiste tranquille. Non pas un donneur de leçon, mais un artiste soucieux de rendre compte du nécessaire grand équilibre de la nature et de la vocation humaine – plus protectrice que prédatrice. Non pas une écologie politique en forme de cheval de Troie pour mieux cacher ses analyses marxistes pures et dure, mais, à l’opposé de ce que l’écologie est devenue, une écologie de douceur. On voit bien que sur ces sujets-là, le Président est plutôt du coté d’une écologie sans parti pris, sans fureur révolutionnaire, sans surenchère, sans ces mises en garde ulcérées à la Greta. Il est plus du côté d’une intelligence verte sans toutes ces grandes leçons données à nos concitoyens pour mieux les incriminer. Maurice Genevoix était-il un écologiste macronien avant l’heure, ou Emanuel Macron souhaite-il montrer, avec Maurice Genevoix, la juste manière d’aborder l’écologie ? Sans doute va-t-il vouloir nous convaincre un peu des deux, lui qui est partisan du « en même temps ».

Le sur- galonné révolutionnaire. Maurice Genevoix, à la fin, ressemblait à un maréchal soviétique, avec des décorations en grand nombre, des titres ajoutés les uns aux autres, des fonctions innombrables. Membre de l’Académie-Française en 1946, puis secrétaire perpétuel de cette institution, double grand-croix (du mérite et de la Légion d’honneur), commandeur des arts et lettres et des palmes académiques, couronné de nombreux prix, récompensé de mille manières. Ne parlons pas de ses interventions plus que fréquentes, dans l’émission Apostrophe. Tout couvert de guirlandes, de breloques et médailles, on aurait dit un vrai sapin de Noël des gens-de-lettres. Cette surcharge décorative lui fit perdre, aux yeux de tous, et surtout de la jeune génération post-1968, toute capacité à être entendu. Ce qu’il était devenu cachait ce qu’il disait. Trop de gloire étouffe la vérité des textes. Il était trop du système, dans le système, au cœur des institutions, pour représenter une alternative. Or, ne disait-il pas, dans les années 1970, que le modèle de la société de consommation s’épuisait, que le tout-bagnole éloignait les gens de la Nature et qu’il fallait changer de point de vue et en revenir aux choses simples et vraies. Le président Macron, au sommet de l’Etat, enrubanné d’honneurs, propre sur lui, avec sa tête de premier de la classe (ce qu’il fut) n’avait-il pas intitulé son premier livre, publié en 2016, pour lancer sa campagne, « Révolution » avec pour sous titre « c’est notre combat pour la France ». Voudra-t-il nous convaincre que si Genevoix était révolutionnaire, lui aussi l’est - même si cela ne saute pas aux yeux ? Sans doute.          

Le Cercueil de Maurice Genevoix, enterré au cimetière de Passy à Paris, a été exposé aux Eparges, près de Verdun, lieu où le soldat fut blessé en 1914 avant de passer une nuit à l’École normale supérieure à Paris, où il fut élève, avant de rejoindre le Panthéon. Est-ce nécessaire de faire autant circuler un cercueil que l’on souhaite honorer ?

Parlons-nous d’un mort comme les autres, ou d’un parcours de commémorations successives ? Maurice Genevoix connait ici une « itinérance mémorielle », semblable à celle faite par le Président Macron en 2018 pour célébrer le centenaire de la Grande Guerre. Cela se comprend. Ceux qui entrent au Panthéon y entrent avec un bout de France, un bout du peuple. « Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège../.. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle » disait André Malraux avec un panache inégalé jusqu’alors, quand il fit entrer Jean Moulin au Panthéon. Et il précise qu’il va rejoindre dans ce bâtiment « Carnot avec les soldats de l’an II », et « Victor Hugo avec les Misérables » et « Jaurès veillée par la justice ». Ceux qui entrent au Panthéon n’y entrent jamais seuls. C’est la règle. Ce voyage du cercueil est alors nécessaire. C’est comme si Maurice Genevoix, une toute dernière fois, rendait visite à ses compagnons disparus dans le tohu-bohu de la Grande Guerre - cette grande faucheuse militaire qui fit un million et demi de mort français entre 1914 et 1918 et dix millions en tout. Il vient les réveiller de leurs sommeils mémoriels, et tout ce petit monde sera introduit, par le président de la République, dans le temple froid de la grande mémoire patriotique. Aux Eparges, que de souffrance, de morts, de traumatismes, d’agonies tragiques, de gamins éventrés par les obus allemands, pour être resté là des mois durant, sans être relevé. Et tout cela pour quoi ? Rue d’Ulm, il croisera, entre autres, la présence de Charles Péguy, mort dans les premiers jours de la guerre, pour mieux l’emmener, lui aussi, au Panthéon tout proche – Péguy qui devrait y être, de plein droit, depuis bien longtemps et qui, souhaitons-le, un jour, fera son entrée solennelle ici. 

Et puis, autre avantage de cette itinérance mémorielle, puissent les nouveaux élèves de l’Ecole Normale, biberonnés aux théories de la grande déconstruction, du racialisme positif, des identités de genre et autres luttes intersectionnelles, être confrontés à la vraie histoire de France, afin qu’ils puissent mesurer le lourd tribut patriotique payé par les anciens – le tribut du sang et des larmes, et des fiertés nécessaires quand des adversaires viennent nous détruire !                 

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