Ces sondages palestiniens qui montrent que les Gazaouis ou les habitants de la Cisjordanie n’ont pas tout à fait le regard sur leur situation que certains leur prêtent<!-- --> | Atlantico.fr
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Un enfant brandit le drapeau du Hamas tandis que d'autres brandissent l'emblème du Fatah, lors d'une manifestation le 27 octobre.
Un enfant brandit le drapeau du Hamas tandis que d'autres brandissent l'emblème du Fatah, lors d'une manifestation le 27 octobre.
©HAZEM BADER / AFP

Vox Populi

Un récent sondage, mené avant l'attaque du 7 octobre, montrait que seuls 29 % des habitants de Gaza soutenaient le Hamas. Il y avait également un très fort mécontentement envers l’autorité palestinienne en Cisjordanie ; et la majorité des sondés étaient partisans d’une solution à deux Etats.

Henry Laurens

Henry Laurens

Henry Laurens est historien et universitaire, spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe depuis 2003.

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Atlantico : En juillet dernier, d'après un sondage du Palestinian Center for public opinion, un Gazaoui sur deux était en colère contre la gouvernance du Hamas. 72% des habitants de Gaza estimaient même que le Hamas était incapable d'améliorer la vie des Palestiniens à Gaza. Quelle était la vision des Palestiniens à l’égard du Hamas avant la récente guerre avec Israël, avant le 7 octobre ? 

Henry Laurens : Les habitants de Gaza n’étaient pas satisfaits vis-à-vis du Hamas car la situation économique était très mauvaise. Il y avait une augmentation continue de la misère. Un article de Foreign Affairs publié le 25 octobre confirme cette tendance, notamment grâce à des données obtenues par le Arab Barometer.

Ce récent sondage a notamment été mené en Cisjordanie et à Gaza entre le 28 septembre et le 8 octobre. 44 % des habitants de Gaza disaient qu’ils n’avaient aucune confiance envers le Hamas. Seuls 29 % des sondés étaient pour le Hamas. Pour la Cisjordanie, il y avait également un très fort mécontentement envers l’autorité palestinienne. 

Pour la bande de Gaza, 39 % des habitants étaient en situation de misère en 2011. Ce chiffre est monté à 59 % en 2021.  En « temps normal », 70 à 75 % de la population de Gaza est en situation de privation alimentaire. 75 % disent qu’ils sont à court d’argent et que leurs fins de mois sont impossibles alors qu’ils étaient 51 % en 2011. Les habitants font porter la responsabilité de la situation à Gaza au Hamas.

La majorité des sondés étaient aussi partisans d’une solution à deux Etats.

La ligne radicale n’était donc pas majoritaire dans la bande de Gaza, selon ces sondages.    

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Le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas a-t-il pu changer cette réalité ?

Les Gazaouis ont été très éprouvés ces dernières décennies. L’image symbolique du 7 octobre à Gaza a été la destruction du mur à la frontière avec Israël. Les Gazaouis sont habitués à une certaine forme de résignation. Les Gazaouis n’ont pas été consultés avant l’opération menée par le Hamas. Pourtant, le Hamas les a exposés à des représailles de l’armée israélienne.

Dans un sondage réalisé en juillet par le Palestinian Center for public opinion, on apprend que les Gazaouis étaient favorables à des élections libres et équitables. Les Palestiniens veulent-ils changer de dirigeants ? Sont-ils naïfs de croire que le Hamas va accepter cette évolution ?

Il y a eu une tentative l’année dernière. Un accord de réconciliation avait été obtenu. Pour la première fois depuis 2006, des élections allaient pouvoir se tenir. Cet accord était patronné par l’Egypte. Mais les responsables de l’autorité palestinienne ont eu peur de perdre les élections. Dans le jeu électoral en Palestine, il n’y avait pas que le Fatah et le Hamas. Ils ont donc décidé de faire machine arrière en prétendant que comme les Israéliens interdisaient aux personnes de Jérusalem de voter, il y avait des chances pour que l’élection ne soit pas valide, selon l’autorité palestinienne. Le processus électoral a donc été interrompu.

L’autorité palestinienne a saboté les élections à l’époque. Ils avaient peur de les perdre. L’issue du vote et le sacre du Hamas restait pourtant incertain, selon les sondages. Le Hamas est plus populaire en Cisjordanie qu’à Gaza. Le Fatah prédomine à Gaza. Ces échanges croisés sont connus et bien documentés.

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Concernant les autres forces politiques, il y a la gauche palestinienne, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui est sur une ligne dure par rapport à Israël. Elle est plutôt l’alliée des islamistes dans le combat contre Israël mais pourtant, cette organisation s’apparente à un mouvement social et se revendique de Marx et de Lénine et pas du Coran.  

Il existe aussi une nébuleuse composée de personnalités issues de la société civile et qui pèse un certain poids électoral. Ils ne sont pas liés au Fatah, au Hamas, etc. Ces personnes prônent la désobéissance civile. Il est difficile de connaître leur force réelle. Mais ce courant existe depuis deux ou trois décennies. Ces personnes ne souhaitent pas être affiliées au Fatah et au Hamas.

Que faut-il penser de l’indépendance des instituts de sondage en Palestine ?

Les différents instituts de sondages en Palestine sont fiables. De nombreux sondages ont aussi été réalisés par le Pew Research Center. Ils contribuent à donner une assez bonne perspective de l’opinion publique du Moyen-Orient.

Dans une récente interview, le chef du Hamas, Ismaël Haniyeh, assume avoir besoin de voir couler « le sang des femmes, des enfants et des vieillards de Gaza » pour que « l’esprit de révolution et de détermination des Palestiniens se réveille »… Au regard de ce discours, des fractures vont-elles avoir lieu au sein des habitants de Gaza et vis-à-vis de leur vision du Hamas ?

Les Gazaouis ne sont pas en position de penser. Actuellement, ils sont en position de survie. Pour l’instant, leur survie est en jeu.

Face à cela, la communauté internationale a tenté de se mobiliser et s’est donnée bonne conscience. 65 camions d’aide humanitaire ont été autorisés à passer sont arrivés à Gaza. Il en faudrait 300 par jour.

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Point étonnant de ce sondage... en juillet dernier, 47% des habitants de Gaza se disaient d'accord avec l'affirmation selon laquelle, je cite, "ce serait mieux pour nous si nous faisions partie d'Israël que dans des territoires dirigés par l'autorité palestinienne". Les Gazaouis sont-ils lucides ou résignés ?

Ce nouveau discours s’est installé depuis quelques années. Certains Gazaouis sont convaincus que la solution à deux Etats ne peut pas fonctionner. Le fait d’intégrer et de faire partie d’un Etat unique a été envisagé. Cela changerait en profondeur la région. Or les solutions à un ou deux Etats posent néanmoins des problèmes et suscitent de vives critiques auprès de tel ou tel partisan.

Organiser des élections libres et équitables, est-ce quelque chose que le Hamas peut envisager pour les Palestiniens ou est-ce un danger de mort pour l'organisation ?

Les Gazaouis étaient pour la tenue des élections. Mais l’autorité palestinienne a finalement décidé d’annuler le scrutin.

Les Gazaouis attendent beaucoup de leurs voisins, l'Egypte et la Jordanie. Que pensent les Egyptiens de la situation ? Que pensent les Jordaniens ? Peuvent-ils être des acteurs de paix dans ce conflit ?

L’Egypte a très peur de la situation en Israël et à Gaza. L’Egypte se méfie du Hamas et des Frères musulmans. Il y a déjà eu une insurrection islamiste dans le Sinaï. Le régime égyptien l’a réprimée avec une extrême brutalité.

Le Hamas et Gaza ont constitué une rente pour l’Egypte. Cela permet de justifier l’aide américaine.

L’Egypte et le Qatar servent d’intermédiaire. Le Qatar n’a pas besoin de l’argent américain. Cette action doit permettre de valoriser le Qatar sur la scène internationale. Doha était notamment au cœur de la médiation entre les talibans et les Etats-Unis et maintenant le Qatar s’occupe de la crise des otages israéliens à Gaza afin d’essayer de libérer un maximum d’entre eux.   

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Les Egyptiens, à travers leurs services de renseignement, servent d’intermédiaire avec Israël et les Américains. La population égyptienne est farouchement nationaliste comme l’ont démontré les critiques après la rétrocession des îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite. L’Egypte n’a pas souhaité ouvrir ses frontières pour accueillir les habitants de Gaza qui tentent de fuir les combats depuis le 7 octobre. Des centaines de milliers de Palestiniens se seraient précipités. L’Egypte risquait de perdre le Sinaï.

Quels pouvaient être les griefs de la population avant le conflit pour que ces sondages soient si négatifs vis-à-vis du Hamas ?

Les principaux griefs concernaient l’extension de la misère et l’impression qu’il n’y avait pas de futur. Il n’y a pas d’accès à l’eau. Ces conditions interrogent sur le sort et l’avenir des habitants de Gaza dans les décennies à venir. 

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