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Ces savants qui ont eu raison trop tôt : comment Léonard de Vinci pratiquait illégalement la dissection de cadavres humains pour percer tous les mystères de l'anatomie
©DR

Bonnes feuilles

Laurent Lemire brosse le portrait d’une vingtaine de savants, y compris les plus célèbres d’entre eux, pour leur re­donner leur juste place. Car, sans eux, les choses ne se seraient peut-être pas déroulées de la même manière. Extrait de "Ces savants qui ont eu raison trop tôt", publié aux éditions Tallandier (1/2).

Laurent Lemire

Laurent Lemire

 Laurent Lemire est journaliste au Nouvel Observateur et à Livres Hebdo. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le siècle d’Albert Einstein (2008) et Les savants fous (2011).

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Pourtant l’innovation de ces dessins va bien au-dela de leur valeur esthetique. Leonard a pratique la dissection d’une trentaine de cadavres, discretement, en franchissant les interdits religieux et moraux alors en vigueur. En revelant le corps dans sa plus scrupuleuse intimite, l’artistedepasse les conventions. Il est tellement dans son sujet qu’il en devient marginal. ≪ Leonard rompt avec cette tradition et va au-dela des canons de l’anatomie artistiquelorsqu’il tente d’apprehender la “matiere molle” qu’etudient les medecins et les philosophes de la nature : les systemes cardiovasculaire, digestif, urinaire, reproductif, l’ame et ses qualites vitales et psychologiques10…≫ Par ce devoilement du corps qui implique pour lui un devoilement du monde, Leonard se lance un defi sans fin. Ce sont moins les conclusions qu’il en tire – elles serontcontestees – que ce qu’il montre qui est fascinant. Il montre ce qui n’est pas montrable, justement. Le dessein passe par le dessin. Le dessin explore le monde. Pour une raison bien simple : ≪ La physiologie est absente du bagage scientifique des artistes de la Renaissance11. ≫

Leonard va donc s’attacher au fonctionnel. Dans l’edition qu’il a faite des dessins anatomiques dans les annees 1960, Pierre Huard12 explique que Leonard s’interesse aux structures anatomiques selon le mouvement des parties du corps auxquelles elles appartiennent. C’est son cote ingenieur. La notion de mecanique est essentielle poursaisir le projet. Ces dessins executes entre 1489 et 1519 sontstupefiants et ils auraient pu avoir une influence decisive sur le developpement de l’anatomie. Mais Vinci ne les montra qu’a peu de gens et ses amis les conserverent comme des reliques. L’artiste ne souhaitait pas faireetalage de ses travaux, d’autant que le pape Jules II, grand amateur de ses tableaux, goutait peu ces dissections.

C’est pourquoi il entoura ses recherches de codes et de complications stenographiques pour les rendre encore plus indechiffrables. Il inventa une serrure pour proteger ses observations et ne laissa la cle a personne. Peut-etre meme n’en avait-il pasprevu… Ainsi, ce n’est que trois siecles plus tard que la diversite cosmique de son esprit fut appreciee a sa juste valeur. Car Leonard ne se contente pas de dessiner au plus pres. Il entreprend une recherche plus generale sur les rapports entre l’ame et le corps, en prenant soin toutefois de ne pas trop contredire le modele de Galien. Pour cela, il fait appel a des disciplines qui n’ont pas toutes un rapport evident avec le croquis, en dehors de la geometrie des proportions : la statique, la dynamique et la physique des fluides. Il en vient ainsi a se figurer le corps comme la ville et reciproquement. L’etude de la circulation des fluides l’amene a envisager un projet de cite ou la circulation des eaux assure l’hygiene. Les proportions humaines font bien plus qu’entrer dans sa conception architecturale. Le corps est le modele de l’architecture. Et il assimile ce qu’on ne voit pas, ce qui est cache, mais essentiel a la vie. L’architecture s’impose comme l’enve‑loppe de la ville. Comme le vetement, elle se montre tout en cachant ce qu’il y a dedans. On comprend mieux Freud qui leve le voile sur le refoulement chez Leonard.

Alors qu’une des caracteristiques de la Renaissance est de montrer, il concoit un systeme voile. A l’instar de ses dessins anatomiques, sa ville est sinueuse. Pas de voies larges et rectilignes. Vinci bricole dans le tortueux, l’inavouable. En cela il est bien encore dans la scolastique dont parlait Duhem. L’homme est mesure de toute chose. Et cette chose est trop complexe pouretrepresentee sans precaution d’emploi. D’ou cette tentation de rendre ses textes hermetiques alors que ses dessins sont d’une precisioninouie. ≪ Les rapports de Leonard avec les disciplines scientifiques traditionnelles sontetonnants d’originalite. Leonard tente d’abord, autant qu’il le peut, de comprendre les savoirs theoriques, puis il les transpose dans un autre domaine et les exprime sous une forme nouvelle, tant par le langage de communication qui devient surtout “visuel”, que par le texte et le format dans lesquels il les inscrit. ≫

Extrait de "Ces savants qui ont eu raison trop tôt", de Laurent Lemire, publié aux éditions Tallandier, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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